Faire tomber les préjugés

Vendredi, huit heures du matin,devant mon miroir. Comment m’habiller pour aller dans un squat ? Comment m’habiller pour aller passer ma première journée d’observation dans le centre de sans-papier Place Stéphanie ? Il faudra qu’ils aient confiance en moi, qu’ils veulent m’intégrer et me faire découvrir leur monde. J’opte donc pour un jeans et des baskets… Relax.

Assise dans le tram, je commence à m’interroger sur ce que je vais trouver là-bas. Je m’imagine un endroit sale et sombre, peuplé d’hommes transpirant l’alcool et l’ennui… Voilà la triste image que m’inspirait un squat avant de mener cette enquête.

Arrivée place Stéphanie, je ne peux m’empêcher de relever le paradoxe … Un squat qui côtoie le grand luxe des magasins de l’Avenue Louise. On frôle l’ironie. Et puis le voilà, le moment où tous mes préjugés s’effondrent. J’entre dans « La Maison des Migrants », et contrairement à tout ce que je pouvais m’imaginer, je suis accueillie par des gens charmants et souriants dans un endroit propre et entretenu. Après m’être présentée et avoir expliqué le but de ma visite, on m’a assigné Saad, un jeune marocain sans-papier, comme guide pour toute la journée.

Au fil de la visite du centre et de ses habitants, chacu des préjugés que j’avais pu avoir, construit par les médias et par l’imaginaire social « bien pensant » de notre société, furent détruit un par un. Les migrants sans-papier que j’ai eu l’honneur de rencontrer sont des personnes sympathiques et dynamiques, ouvertes à la culture européenne, rêvant de plus d’intégration et d’autonomie dans notre pays. Ils ne sont pas ici comme des parasites voulant profiter du système comme on l’entend si souvent. Mais comme des hommes et des femmes,en quête d’un monde meilleur et prêt à tout pour l’obtenir, même si pour cela, il faut passer des mois voire des années dans une situation précaire et injuste.

Marine Poliart

Le réseau des sans-papiers en Belgique

Dire que la situation des sans-papiers en Belgique est précaire semble être un pléonasme dans notre société actuelle. Néanmoins, c’est dans ce genre d’environnement inconfortable que la notion de « solidarité » brille dans l’obscurité comme une lueur d’espoir. L’initiative de cette solidarité peut être de nature égoïste car être seul dans ce milieu, c’est se marginaliser des exclus de la société. La solidarité est une forme de compassion, qui atténue le sentiment de solitude et renforce alors le sentiment d’unité, d’appartenance à un groupe. Elle semble être nécessaire pour le bien de chacun et pour le groupe.

Concernant le réseau mis en place, il est important de préciser que la majorité des groupes de sans-papiers qui composent ce réseau n’est pas issue de ce qu’appellent les médias « la crise migratoire ». En effet, ce réseau de sans-papiers a été mis en place par des personnes qui sont sur le territoire depuis une plus longue période. Cependant, ce réseau profite aux nouveaux arrivants. Ainsi, nous pouvons essayer d’expliquer le faible nombre de Syriens au sein de ce réseau par le fait que les Syriens sont plus souvent dans la position d’un migrant en situation régulière que celle d’un migrant en situation irrégulière. Comme on peut le voir sur ces chiffres du CGRA (Commissariat général des réfugiés et des apatrides) en 2015, le plus grand nombre de reconnaissances du statut de protection concerne les Syriens.

tableau 1

Néanmoins ces chiffres sont à relativiser puisqu’il y a eu plus de 35 000 demandes d’asiles en 2015.

top 10 demandeur d'asile[1]

Le réseau des sans-papiers en Belgique : des acteurs multiples et variés

  • La Coordination des sans-papiers:

Un groupe de personnes s’occupe de faire le lien entre tous les mouvements des sans-papiers et les différents collectifs. Cette forme de solidarité permet d’éviter toute forme d’action indépendante isolée et favorise alors la coordination de toutes les actions des groupes de sans-papiers en Belgique.

coordinationsanspapiersbruxelles@riseup.net

http://www.sanspapiers.be

https://www.facebook.com/Coordination-des-sans-papiers-de-Belgique-1667773550117390/

  • Le Collectif voix des sans-papiers:

Il s’agit d’un groupe d’environ 260 sans-papiers d’une douzaine de nationalités différentes. Leur squat est situé au Boulevard Léopold II à Bruxelles. Cet endroit est une ancienne maison de retraite qui est occupée par le groupe de sans-papiers depuis juillet 2014.

  • La Maison des Migrants:

La Maison des Migrants est un squat de sans-papiers situé à la place Stéphanie à Bruxelles. Géré par des anciens membres du parc Maximilien, cette initiative est récente puisqu’elle date d’environ six à sept mois. Cet endroit n’est pas qu’un squat de demandeurs d’asile et de familles de sans-papiers en difficulté, il s’agit également d’un endroit où ont lieu de nombreuses activités ouvertes au public (Orientation socio-juridique, Tables rondes, atelier théâtre, débats, projections, Cours de français/néerlandais/anglais/arabe…).

http://lamaisondesmigrants.org/

https://www.facebook.com/maisondesmigrants

  • Collectif d’Afghans;

Ce collectif de sans-papiers a mené plusieurs actions comme les marches vers Gand et Mons en décembre 2013 ou encore l’installation de plus de 500 Afghans dans l’église du béguinage en 2013.

www.facebook.com/afghancomite.belgium

  • Collectif Ebola;

Ce collectif est composé d’une centaine de ressortissants des pays qui ont été touchés par Ebola (Libéria, Guinée, Sierra Leone). Depuis Janvier 2015, leur squat est situé à la place Quetelet dans la commune de Saint-Josse.

Recup.collectactif@gmail.com

www.facebook.com/groups/320974288102155/

  • Collectif Mobilisation Groupe 2009:

Mobilisation Groupe 2009 est un groupe de personnes avec et sans papiers issu de la vague de régularisation de 2009. Certaines de ces personnes sont encore aujourd’hui dans l’attente d’une réponse à leurs demandes de régularisation introduites en 2009.

www.faceboook.com/mobilisationgroupe2009

  • Latinosxregularisation:

C’est un comité composé de plusieurs personnes qui sont nées dans différents pays de l’Amérique latine.

www.facebook.com/groups/1534960846772450/

  • Le comité des travailleurs avec et sans-papiers:

Ce comité est chargé de la défense et de l’organisation des travailleurs/ses migrants avec ou sans-papiers.

https://bruxelles-hal-vilvoorde.csc-en-ligne.be/csc-en-ligne/impliquer/bxl/groupes-spec/Migrants/TSP-CSC.html

  • La voix des sans-papiers de Liège:

Ce groupe de sans-papiers occupe un ancien centre de consultation ONE de la Résidence Fraternité. Il est situé sur l’Avenue des Ploktrèsses à Sclessin.

https://www.facebook.com/vsliege

PAYET Jérémy

[1] Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides, Statistiques d’asile, Rapport mensuel, Décembre 2015, Date de publication : 7 janvier 2016, Contact : Damien Dermaux

La dure réalité d’un jeune Malien

Après les premières visites de la maison des migrants, j’ai eu la chance de réaliser quelques entretiens, avec des migrants en situation irrégulière. Leurs conditions et leur mode de vie au sein de ce centre d’accueil m’ont ouvert les yeux.

J’ai d’abord été particulièrement frappé par la personne que j’ai interrogée pour mon premier entretien. Je m’attendais en menant cette enquête à rencontrer des migrants aux parcours difficiles, mais l’histoire de ce jeune migrant malien, âgé de 19 ans, m’a touché.   Ce migrant a quitté son pays il y a un an et demi, après que son frère, qui l’éduquait depuis le décès de ses parents, a été assassiné par les milices voulant imposer la Charia au nord du Mali. Il a donc dû fuir pour la Gambie, puis après plusieurs mois passés là-bas, il a été mis dans un vol pour Bruxelles. Arrivé sur le sol belge, sans un sous, il est immédiatement conduit en centre d’enfermement, où il séjourne trois mois, en accumulant les procédures de demandes d’asiles et les rendez-vous au tribunal. Après ces trois longs mois, son histoire est considérée comme fausse et on lui prie alors de quitter le sol belge. Je l’ai rencontré à la Maison des migrants, le lendemain de cette décision. Il ne disposait alors que de deux jours pour trouver une solution, car comme il me l’expliquait, un retour chez lui signifiait un décès assuré. Son histoire, dans sa globalité est touchante, mais c’est sa situation, sa force et son courage qui m’ont marqué. Ayant sensiblement le même âge, on se sent très rapidement révolté par sa situation. On a envie de lui tendre la main, tout en sachant que notre rôle n’est pas de tout faire à sa place. Mais à mes propositions d’aide il me répondait : « Ne t’en fais pas, j’ai quitté mon pays, j’étais un enfant, aujourd’hui je suis un homme, je vais y arriver ». C’est cette phrase, dans sa situation qui m’a marqué. Marqué car en me mettant à sa place,  je ne peux même pas imaginer tenir un mois avec tout ce qu’il a subi. Et pourtant il continue d’y croire, de prier et de chercher des solutions sans perdre espoir.

Une deuxième chose qui a marqué mon enquête est le fonctionnement de la Maison des migrants en tant que tel. Les cinq personnes qui nous ont accueillis dans le centre, et qui sont donc des migrants, nous ont expliqué le fonctionnement de la maison. Les repas sont gratuits pour tous, tous les soirs de 19h à 22h, le matin la cuisine reste ouverte pour les petits déjeuners. De nombreuses activités sont proposées et les migrants sont censés pouvoir rester autant de temps qu’ils le désirent. Mais l’un des réfugiés que nous avions rencontrés, et interviewé à l’intérieur de la Maison des migrants, s’est confié à nous, au détour d’une rue, par hasard. Il nous expliquait alors que le centre ne fonctionnait pas toujours comme annoncé, que l’équipe de direction s’était, selon lui, « accaparée le pouvoir » et qu’elle avait un « droit de regard sur chaque réfugié ». Les avis des uns et des eux peuvent être divergents, dans un contexte où des choix difficiles doivent sûrement être opérés.

C’est finalement cet avis différent qui m’a marqué, ainsi que la personnalité de certains réfugiés qui nous ont accueillis à bras ouverts, avec un vrai désir de leur part de faire connaître leurs actions.

Paul Chevallier Rufigny

Une rencontre bouleversante

La vie est pleine de surprises. De bonnes, comme de mauvaises. Je n’arrive pas à dire dans quelle catégorie s’inscrit ma rencontre avec Mamadou, ce jeune malien de 19 ans que j’ai eu l’occasion d’interviewer dans le cadre de mon enquête de terrain sur la crise migratoire.

Après avoir été menacé par les fanatiques islamistes et après que son frère se soit fait assassiner, Mamadou a décidé de fuir son pays pour sauver sa peau. Après plusieurs péripéties, il est arrivé à Bruxelles, seul et sans-papier. Sa demande d’asile ayant été refusée, il a atterri à la Maison des Migrants, sans aucun contact, sans aucune perspective d’avenir. Complètement désemparé… déboussolé.

Je dirais que notre rencontre est une mauvaise surprise car rencontrer des personnes si jeunes, si seules, sans cesse en danger nous met, nous, petits étudiants confortablement installés, profondément mal à l’aise. Cela nous fait nous sentir complètement impuissants face à ces réalités méconnues. Et nous n’aimons pas cela, nous n’y sommes pas habitués.

Mais d’un autre côté, cette rencontre est une bonne surprise. Grâce à ces interviews et grâce à cette enquête de terrain, nous sommes forcés d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans notre pays. Cela nous force à prendre nos responsabilités et à découvrir l’autre face de la crise migratoire. Tous les jours, des jeunes de notre âge arrivent en Europe parce que leur vie est menacée. Au lieu de les rejeter et de les étiqueter, nous devrions les aider et réagir face aux injustices du système.

Marine Poliart

Des histoires à entendre

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Les entretiens que j’ai effectués m’ont été d’une grande utilité et j’y ai porté un intérêt qui va bien au delà du simple intérêt académique. Chaque histoire nous ouvre les yeux sur quelque chose, nous apprend et vaut la peine d’être entendue. Lors de chacune de mes cinq interviews, j’avais en face de moi une personne venant d’un horizon différent de son voisin mais aspirant généralement au même avenir et à la même sécurité.

Ces personnes avaient beau avoir des blessures et des difficultés différentes, un point  les rassemblait : quitter son pays n’est jamais une partie de plaisir et je pouvais le lire dans le voile de tristesse qui apparaissait sur leur visage quand j’abordais le sujet du départ. Certains d’entre eux n’ont même pas le droit d’y retourner, en l’occurrence ce jeune Albanais de 24 ans, que la situation politique de son Etat a obligé à partir et à parcourir, en un an, plusieurs pays pour tenter de s’y installer, ne serait-ce que pour un moment. Un autre élément qui m’a marquée, c’est que même si ces migrants acceptent de parler pendant une quarantaine de minutes, ils ne disent pas toujours tout et parfois refusent de s’engager dans une discussion portant sur des thèmes sensibles, comme le terrorisme et le 22 mars à Bruxelles par exemple. Je pense qu’ils ne se sentent pas assez à l’aise pour dévoiler certains détails de leur vie, peut-être par peur que cela se retourne contre eux. Mystère.

Par ailleurs, j’ai été touchée tant par le père de famille nigérien dont le seul but est d’assurer un bon avenir sûr pour ses enfants que par le jeune Marocain, en Belgique depuis une dizaine d’années et qui s’est perdu entre les refus qu’il a reçus et les échecs académiques qu’il n’a pas réussi à gérer. Quant à la dernière famille que j’ai interviewée, je n’ai pas dû la chercher. Elle venait d’arriver à la Maison des migrants et c’est avec plaisir que tous m’ont raconté leur histoire, en Syrien. C’est la seule famille d’origine syrienne et/ irakienne que j’ai pu aborder.

Il faut noter que les réfugiés de cette origine ne sont pas faciles à contacter, recevant de plus généralement un avis positif quant à leur demande de régularisation. Et de nouveau, pendant une quarantaine de minutes, j’ai eu droit à leur parcours, un parcours très rude. De la Syrie jusqu’en Belgique, ils ont dû traverser de nombreux pays, sans aucune garantie d’accueil ni même de pouvoir aller plus loin. Pour leur part, l’accueil de l’Europe et de la Belgique les a satisfaits. Ils se sentent les bienvenus et au moment où je leur parlais, ils ne demandaient que deux petites choses : pouvoir se laver et dormir. Pour le reste, ils espèrent rester le temps que la guerre prenne fin, pour ensuite regagner leurs terres qu’ils semblent tant aimer.

Cette expérience m’a davantage ouvert les yeux sur le dur côté de la crise migratoire, avec laquelle viennent des difficultés, des obstacles et surtout un sentiment de confusion et de méfiance. Mais elle m’a également attiré l’attention sur un côté que je négligeais et qui semble être méconnu : là où il y a des gens qui ont besoin d’aide, il y aura toujours, ne serait-ce qu’une personne, pour éclairer leurs journées, leur offrir un sourire, un toit ou même parfois une simple oreille attentive. Il faut savoir aller de l’avant.

Samar Skaiki

Trouver mes entretiens… Pas si facile que cela

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Photo prise par Samar Skaiki

Pour notre travail sur la crise migratoire, mon groupe et moi avons immédiatement choisi de nous intéresser à l’histoire et donc la trajectoire de ceux qui ont quitté leur pays pour la Belgique, pour différentes raisons, sans obtenir l’autorisation d’y rester. Après un premier refus, la plupart d’entre eux tentent une deuxième demande de régularisation tandis que d’autres présentent un recours à leur refus sans connaitre la durée qu’une réponse va leur coûter.

Pour notre enquête, ma partie de travail consistait surtout à effectuer trois entretiens individuels. Cela paraissait simple : trouver trois refugiés qui ont connu au moins un refus à leur demande d’asile et qui accepteraient de partager leur histoire lors d’une interview construite autour de différents thèmes regroupant chacun plusieurs questions.

Mais en réalité, ce travail s’est avéré être plus compliqué qu’il n’en avait l’air. En effet, approcher les migrants dans les centres fermés n’était pas autorisé ou nécessitait une inscription minutieuse sans garantie de retour positif. Que ce soit le centre d’accueil de Florennes, du Petit Château ou encore de Jodoigne, que j’ai contactés maintes fois, tous ont réagi de la même manière. Et même lorsqu’il était possible d’aborder les migrants, en l’occurrence à la Maison des Migrants, j’ai été confronté à plusieurs refus ; beaucoup ne veulent pas parler ni être enregistré et ont surtout peur de faire confiance.

Ceci est l’uns des détails à m’avoir marquée lors de ma recherche. Ces migrants semblent avoir envie de partager leur histoire, d’être écoutés en espérant recevoir une aide ou une information utile, ou tout simplement ont envie de se vider. Mais la méfiance pousse la plupart d’entre eux au silence, surtout ceux qui ne sont pas en Belgique depuis longtemps et qui ne se sentent pas familiers ni en confiance avec leur entourage.

Heureusement, après de nombreuses visites à la Maison des Migrants et une certaine familiarisation avec les résidents, j’ai finalement eu la chance d’effectuer cinq entretiens dont chacun porte sur une histoire particulière et une situation différente. Lors de ma première venue au centre, avec certains membres de mon groupe, l’un des responsables nous a emmenés pour une visite guidée de la maison. Cette visite m’a également touchée : j’y ai vu bien plus qu’un endroit où les résidents peuvent dormir et manger. En effet, il y a des pièces destinées à la coiffure, aux dons des vêtements, aux jeux pour les enfants, au théâtre et bien plus encore. Les responsables, aidés par les résidents, tentent de faire de ce centre un toit chaleureux et convivial. De plus, je suis retournée plusieurs fois afin de me familiariser avec l’endroit et les résidents, notamment lors des tables d’hôte, organisées tous les jeudis et ouvertes au grand public. Connaître l’endroit m’a permis de me rapprocher du personnel et des résidents,  pouvoir les observer et essayer de deviner d’où ils peuvent bien venir et quelle est leur histoire.

Samar Skaiki

« Bloqué »

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Un aperçu de la grandeur du bâtiment

Photo prise par Thomas Sulmon

Après avoir franchi le seuil de la maison des migrants, ma première impression  fut celle d’un gigantesque hôtel : une réception, un tableau des charges mis en évidence, des affiches présentant les différentes activités disponibles,… Survivre était décidément  loin d’être la seule préoccupation de ces habitants.  Une visite des lieux a bien vite envoyé en éclats mes opinions préconçues où se mêlaient pêle-mêle des mots comme « promiscuité » et « insalubrité »: 10 000 mètres carrés, mis à la disposition de l’organisation par des personnes privées sans compensation financière, 90 lits, des cuisines offrant un repas gratuit le soir grâce aux dons, un journal diffusé chaque semaine sur la toile,… Une organisation s’était auto-formée, régulée par les migrants eux-mêmes. Une bonne partie de l’espace disponible n’était pas utilisé (cfr : photo) , me laissant songer malgré moi au prix du mètre carré dans ce quartier de Bruxelles, à deux pas de la place Stéphanie.

Le contact avec la maison m’a fait découvrir un nouveau monde, voilé jusqu’alors par ma méconnaissance de la religion musulmane, et de la barrière psychique coupant « leur » monde du mien. Du thé terriblement sucré qui nous était offert aux inscriptions arabes parsemant les corridors, beaucoup de choses me paraissaient neuves et intrigantes, et cela avant même d’avoir pu parler au moindre habitant !

La conversation la plus marquante fut celle que j’ai eue avec Mohammed, un Algérien du Nord de 25 ans, en Belgique depuis 3 ans, attendant un quelconque avancement dans son dossier de demande d’asile. En sortant de la maison un après-midi de mars, je tombai nez-à-nez avec un groupe attroupé sous  le porche d’entrée les protégeant de la pluie. Proposant une cigarette, je me mêlai à eux, leur demandant d’où ils venaient pour faire connaissance. C’est alors que Mohammed prit la parole.

Assis sur le trottoir, il nous parlait de la difficulté de la rue, de l’avilissement d’être exploité pour des petits boulots qu’il ne devait qu’à des connections passagères, et surtout du froid, ennemi insaisissable et redouté. S’étant vu refusé une place pour la nuit, il était assez remonté contre les méthodes de sélection des responsables de la maison, et pestait tout à la fois contre les services d’immigrations belges, contre les lois l’empêchant de trouver un emploi décent, et contre sa propre condition. Il me décrivait son travail au marché du Midi : de 10 heures à 18 heures, il portait sans discontinuer cageots et bacs pour se voir attribuer une paie de 25 euros à la fin de la journée. « Le patron ne veut que son profit, et sait très bien reconnaître les gens comme moi qui prendraient n’importe quel boulot pour survivre. Alors on baisse la tête », me dit-il en alliant le geste à la parole.

En lui demandant quelles étaient ses perspectives d’avenir, et ce qu’il avait poussé ici, il était facile de voir que cette question constituait un point sensible. « C’est ne rien avoir à faire de concret  qui me tue, le sentiment de me retrouver bloqué par le système en gâchant mes plus belles années. Je vis au jour le jour », dit-il. Le cercle vicieux dans lequel il se trouvait pris semblait l’empêcher de faire le moindre choix. « Si je pars, impossible de revenir. J’ai déjà attendu trop longtemps ; je pourrais pas supporter que ces années n’aient servi au fond à rien. Et puis pour aller où ? En Algérie je suis déjà comme un étranger. »

Ses camarades, plus âgés, en étaient plus ou moins au même point. Mais ce qui me frappait le plus était cette tension qu’entretenait le sentiment de voir sa vie mise en « stand-by », pied et poings liés, avec pour tout espoir une nouvelle « régularisation massive », comme ce qui s’était produit en 2009. Sans carte d’identité ou permis de séjour, ils se voyaient forcés d’embrasser leur condition de résident illégal. Et d’attendre.

Thomas Sulmon

Le grand public est coupé de la réalité

Dans le cadre de notre enquête portant sur le thème de la « crise » migratoire, je souhaiterais parler de la représentation que l’on peut avoir des réfugiés ainsi que du changement de point de vue que m’a apporté mon stage d’observation participante au centre d’accueil de mineurs de Woluwe-Saint-Pierre (Fedasil). Une des raisons principales qui m’ont poussé à effectuer un stage d’observation participante était qu’il me paraissait très important d’avoir un minimum de connaissances de ce qu’est un centre d’accueil pour réfugiés afin de pouvoir en parler de manière rigoureuse. Bien que je ne sois pas resté suffisamment longtemps pour détailler avec précision la situation dans toute sa complexité, cela m’a néanmoins permis de dégager une vision globale et de repérer un certain nombre de points importants.

C’était la première fois que je me rendais dans un centre d’accueil pour réfugiés et je me demandais ce que j’y trouverais, particulièrement dans un centre pour mineurs. Je pensais par ailleurs n’avoir aucun a priori. Pourtant, en arrivant dans le centre j’ai été surpris d’y trouver des jeunes vaquant à leurs occupations, qui sortent, vont à l’école, regardent des films, et bénéficient d’une certaine indépendance. Finalement, rien qui ne sorte de l’ordinaire, pourtant, cela m’a étonné.

Sans en avoir conscience, je m’étais créé une image de ces jeunes, à tel point que j’étais parfois surpris de les voir agir comme des enfants, alors que ce sont bien des enfants. De la même manière, je ne m’attendais pas à ce que les éducateurs se comportent le plus souvent avec les jeunes comme s’ils n’avaient pas été des réfugiés. En effet, être réfugié ne veut pas dire qu’on n’est rien d’autre. Cela n’est pas une identité. Pour autant, il ne faut pas sous estimer la gravité de la situation de réfugiés, la complexité de leur situation qui tient à la fois des conditions de vie et de départ du pays d’origine, la difficultés du voyage entrepris et les conditions de leur accueil. Il s’agit en effet de jeunes qui ont vécu des choses extrêmement dures et ont subi des traumatismes. Il convient donc d’analyser les enjeux de cette réalité complexe. Ainsi, passer quelques jours dans ce centre m’a permis de dégager quelques pistes de réflexion.

Le grand public est coupé d’une réalité qu’il ne connaît pas, parce qu’il entend constamment parler de la « crise » des migrants et que les médias présentent parfois les réfugiés de manière inquiétante et négative. Ils construisent une image, le plus souvent basée sur l’imaginaire et le fantasme. Bien évidemment cela induit des répercussions sur le comportement et participe à la construction d’un monde séparé, celui des réfugiés.

La réaction de certains des voisins du centre m’a d’ailleurs montré à quel point cet imaginaire était puissant et pouvait transformer une situation anodine en un véritable problème existentiel. Ainsi, un adolescent qui fume à sa fenêtre est traité par un voisin du centre comme un délinquant. De la même manière, les jeunes, jugés trop bruyants, ont tout simplement reçu l’interdiction de fréquenter le jardin public à côté du centre. Ou encore, après les attentats de Bruxelles, on craint pour la sécurité des jeunes et ils doivent alors rester dans le centre. Comment en arrive-t-on au point de tenir ces jeunes comme responsables voire coupables d’un phénomène dont ils sont victimes. De la même manière, la façon dont les réfugiés sont traités au niveau des accords internationaux semble oublier qu’il s’agit de personnes humaines, sans égard pour les droits de l’Homme que pourtant l’Union européenne prétend défendre.

Alors que le portait que l’on dresse des réfugiés est souvent basé sur l’imaginaire et contribue à entretenir des peurs, une meilleure connaissance de la réalité des faits inciterait à repenser la question des réfugiés de manière plus poussée.

Yoann Cler