Deux profs, deux visions différentes

Tout a commencé par la prise de rendez-vous, qui a été assez éprouvante. Après avoir contacté maintes écoles, très peu ont répondu favorablement à ma demande d’interroger des professeurs. Les secrétariats des écoles me disaient d’attendre une réponse par mail venant des écoles, mais la plupart ne m’en ont jamais envoyé. Finalement, une école de Saint-Josse m’a répondu favorablement pour que je puisse interviewer deux de leurs professeures de DASPA.

Ce que j’ai trouvé intéressant est que ces professeures avaient chacune leur vision envers les élèves. La première mettait en avant que, pour elle, son rôle se résumait au plan humain, c’est-à-dire à redonner confiance aux élèves, qui pour la plupart se sentaient perdus dans ce nouveau système scolaire, ce nouvel environnement, ce nouveau pays. Elle avait donc pour intention en quelque sorte de jouer le rôle d’une « deuxième maman », selon ses dires. Elle estimait qu’en utilisant cette méthode, elle pourrait plus facilement déterminer le caractère de l’élève et ses envies afin de le guider au mieux envers son futur parcours scolaire ou professionnel. La deuxième professeure avait une formation de logopède et était donc davantage centrée sur l’apprentissage du français. Selon sa vision, l’élève est surtout influencé par l’environnement dans lequel il vit. Elle estimait que l’utilité d’apprendre le français n’était pas très productive dans le cas où l’élève vivait dans un quartier qu’elle qualifiait de multiculturel, en effet, elle racontait que si un élève vivait dans le quartier de Saint-Josse, il n’avait pas l’utilité d’apprendre le français car les commerçants et les médecins de sa communauté pouvaient lui parler dans sa langue maternelle.

En résumé, ces deux professeures m’ont donné l’impression de s’investir autant qu’elles le pouvaient dans l’enseignement des classes DASPA malgré leurs différences de point de vue et de méthodes pédagogiques.

Nicolas Michels

DASPA: nécessaire ou pas?

Bien qu’elles s’occupent toutes les deux des enfants primo-arrivants, Madame C. et Madame P. ont des avis bien différents quant à l’intégration de ces derniers. Tandis que la dernière trouve cette étape primordiale, la première pense au contraire que les primo-arrivants pourraient s’en passer.

Madame C. trouve que les classes Daspa sont certainement très utiles pour ces enfants qui atterrissent dans un espace qui ne leur est pas familier. Cependant, elle affirme avoir déjà suivi plusieurs enfants primo-arrivants qui ont été directement placés dans le système scolaire classique et qui ont très bien réussi leur intégration. Son principal argument est de dire qu’il s’agit d’enfants et qu’à cet âge, on ne se pose pas beaucoup de questions. Par conséquent, l’intégration scolaire et sociale se fait automatiquement.

Madame P. semble être très impliquée dans le projet des Daspa. D’origine étrangère, elle a toujours eu des difficultés pour réussir le français durant son cursus scolaire. De plus, ses professeurs ne lui ont jamais accordé le temps nécessaire pour comprendre ses difficultés et l’aider à les dépasser. Par conséquent, Madame P. affirme n’avoir jamais réussi à trouver sa place à l’école. Ce système qui obligeait tous les élèves à avancer au même rythme ne lui convenait pas, et elle était loin d’être la seule! Ayant pendant longtemps souffert de cette intégration directement dans le système scolaire, Madame P. était donc convaincue que cette méthode n’aidait en rien les primo-arrivants. Tous ces facteurs réunis vont la pousser à suivre une formation d’institutrice. Son objectif ultime est de pouvoir suivre et aider les enfants primo-arrivants à apprendre le français pour réussir par la suite leur intégration scolaire et sociale. L’une de ses premières convictions est que chaque enfant doit disposer du temps et de l’espace nécessaire afin d’évoluer à son rythme. Pour cela, elle décide de mettre en place sa propre méthode d’enseignement. En quittant leurs pays, leurs cultures, leurs familles, ces enfants entrent dans une phase de deuil selon Madame P. Ce deuil n’est pas facile et chaque enfant réagit différemment face à ce dernier. Il est donc nécessaire d’accompagner l’enfant durant cette période. La classe Daspa diffère des autres car il s’agit d’un lieu d’accueil pour ces enfants. C’est un endroit ou chaque enfant doit réussir à se construire une place ! Une place tout d’abord au niveau de la classe, puis dans la cour de l’école, dans le quartier ensuite, et dans la société plus tard. Il est alors impossible pour Madame P. que l’enfant s’intègre sans passer par la Daspa.

Selon Madame P., il est également nécessaire de mettre en place un système éducatif adapté à ces enfants primo-arrivants. Venant d’horizons différents, la meilleure manière de commencer leur apprentissage est de les pousser à pratiquer la langue oralement. Pour cela, elle s’appuie sur plusieurs supports visuels tel que les dessins, peintures, images, etc. En procédant ainsi, les enfants gagnent petit à petit confiance en eux, et finissent par trouver une langue commune pour communiquer. Il était intéressant durant la journée d’observation que j’ai passée avec elle de voir comment Madame P. se comportait avec les primo-arrivants. En effet, elle double d’effort afin de pouvoir accorder à chaque enfant le temps et l’attention suffisante pour s’exprimer et se sentir à l’aide dans la classe. Elle n’accepte pas le fait qu’un enfant soit isolé des autres ou qu’un autre occupe une place plus importante dans la classe comparé à ses camarades. Bien que ce système ne permette pas l’intégration de tous ces enfants primo-arrivants, Madame P. reste convaincue qu’il reste la meilleure manière d’aider et de faire avancer ces enfants dans ce milieu qui leur est étranger.

Sassry Ould Mahmoud

Une après-midi en classe

C’est après plusieurs péripéties que notre choix s’est finalement arrêté sur les DASPA. Ces classes qu’on appelaient autre fois classes passerelles ou encore dispositif d’accrochage. Une discussion avec le professeur en charge du cours et voilà que l’aventure commence… Maintenant que tout est presque fini c’est bien par le mot « aventure » que je qualifierai mon parcours. En effet, c’est vers l’inconnu que nous nous sommes dirigés, c’est le stress qui nous a submergés mais c’est finalement un chemin semé d’embûche qui raconte une belle histoire que j’ai aujourd’hui à raconter…

Ne sachant pas par où commencer ni même qui contacter c’est vers internet, notre plus fidèle allié, que nous avons décidé de nous tourner. Et me voilà avec une liste de six écoles à contacter. Le stress commence à monter à l’idée de devoir les appeler et les convaincre de m’accorder 1h de leur temps. Prenant mon courage à deux mains, je me lance et prépare un beau petit discours à donner afin de convaincre du mieux que je peux. Cependant, malgré tous mes efforts la recherche semble très peu fructueuse. Mais je ne baisse pas les bras, et enfin, à l’autre bout du fil, une réponse positive se fait entendre. Rendez-vous fixé pour le jeudi 17 mars ! Me voila un peu soulagée…

Arrivant sur les lieux, non sans un peu de stress et d’appréhension, la secrétaire me demande d’attendre que Madame S., professeure dans une classe DASPA, vienne me chercher. Le couloir est immense, orné de cartables et d’affaires d’enfants, tandis que de la cours de récréation se font entendre un grand bruit et des cris enjoués. Dans le couloir jouent deux petites filles d’origines étrangères qui parlent entre elles une langue qui n’est pas le français. C’est à ce moment là qu’une pensée me vient à l’esprit… à cet instant précis, ce ne sont que des enfants, qui jouent innocemment et qui ont l’air si heureux. Cependant, ce sont souvent eux les principales victimes des guerres et des mouvements de population. Ils arrivent en Belgique sans aucune connaissance de ce qui les attend et ne parlant même pas la langue du pays. Je me suis alors dit qu’elles avaient bien du courage pour leur âge et que c’était en fait dans leur monde que j’allais entrer aujourd’hui, que c’était un bout de leur histoire que j’allais apprendre et qu’elles allaient partager avec moi dans quelques minutes. La cloche retentit alors sonnant le fin de la récréation et me sortant de mes pensées…

C’est alors que Madame S. se dirige vers moi avec un grand sourire et me demande de la suivre. Nous échangeons quelques mots sur le chemin de la classe et elle me dit que les enfants ont hâte de me voir et de partager l’après-midi avec moi. Je me sens alors toute excitée et pressée de les rencontrer et de voir comment se déroule leur journée. On rentre dans la classe et Madame S. se met à bouger les bancs car, aujourd’hui dans le programmen c’est video et théâtre ! A peine fini, j’entend les enfants qui arrivent, ils rentrent dans la classe et ma première impression est qu’ils sont super gais et actifs mais aussi qu’ils sont tous très différents tant pour leurs âges que leurs origines. Ceux qui me remarquent en premier accourent vers moi pour me serrer la main et me dire bonjour, c’est là que j’entends les premières hésitations de français, mais je remarque tout de suite que les enfants sont à l’aise et essaient de se faire comprendre du mieux qu’ils le peuvent. On se rend alors compte qu’on est bien dans une classe DASPA.

Le cour commence et ce qui m’a le plus frappé, c’est que ce sont des enfants qui semblent super actifs et très soudés. En effet, ils semblent bouger bien plus que dans une classe dite « traditionnelle » et paraissent s’entraider beaucoup les uns les autres. Ils ont une envie folle d’apprendre et de participer! Les enfants répètent assidûment les paroles prononcées par leur professeur pour améliorer leur prononciation.

Pendant un exercice écrit, l’institutrice en profite pour venir auprès de moi afin de me raconter l’histoire de quelques élèves tout en me les montrant…

Tout d’abord, l’enfant blonde au premier rang n’est là que depuis 3 mois. Elle ne parlait pas un mots de français mais elle n’hésite pas à participer et elle commence même à lire. Ou encore le petit Syrien sur ma droite qui a un niveau incroyable en maths mais qui a beaucoup de difficulté en français. Il est lui aussi très actif et n’hésite pas à donner son opinion. Et enfin, la petite Congolaise qui n’a jamais été à l’école et qui a une vie très difficile à la maison. C’est elle qui est la plus active et le boute-en-train de la classe, toujours prête à faire le clown et à raconter des blagues pour faire rire ses camardes. Elle aussi, elle commence à lire et écrire sans l’aide de personne…

C’est alors que j’ai vu dans leurs regards des histoires et parcours très différents pas toujours faciles pour certains et qui le sont toujours pour d’autres. On peut lire dans leurs yeux d’enfants l’innocence et l’envie d’apprendre,  de s‘améliorer,  l’envie de se dépasser car malgré tout ils savent que leur classe est « différente des autres ». Surtout on peut y lire l’espoir qu’un jour, ce beau pays qui est le nôtre leur ouvrira les portes d’un avenir meilleur dans lequel ils pourront s’épanouir.

                      Ilham Al Majdoub

Péripéties d’une enquêtrice d’un jour

image enquete

 

Ne sachant pas exactement où se trouvait la première école dans laquelle je devais me rendre et connaissant ma fâcheuse tendance à ne jamais être à l’heure (Big up à mon groupe, with love), je décide de m’y rendre bien plus tôt que prévu. 9h20, j’arrive avec 10 minutes d’avance à l’arrêt de tram situé à 100 mètres de l’école. Par chance, car, n’ayant aucun sens de l’orientation, je croise un passant qui, bien gentiment, me mène à destination. Lors de mon entrée dans l’école, je suis accueillie par une très charmante femme d’entretien qui me dirige vers la salle des professeurs. Voyant les minutes défiler, j’en viens à me demander si je ne me suis pas trompée de jour, ou pire, si je ne me suis pas trompée d’école. Quelques minutes plus tard, l’enseignante en DASPA arrive. Au fur et à mesure de mon entretien, je me rends compte que tout ce que j’ai pu lire dans la littérature sur le sujet ne se concrétise pas sur le terrain. Ces classes de primo-arrivants (telles qu’elles sont nommées par la plupart des professeurs que j’ai pu interroger) permettent bel et bien une intégration plus rapide des élèves dans leur environnement social et scolaire. Ils peuvent s’épanouir davantage, grâce à l’apprentissage du français. Fière du nouveau rôle de journaliste et chercheure que j’ai endossé durant une heure, je remercie mon interlocutrice et me dirige vers la deuxième école de la journée.

11 h 50, j’entre dans cet établissement de Saint-Josse-Ten-Noode et un badge de visiteur m’est remis à l’entrée. Une signature et une photocopie de ma carte d’identité plus tard, je me dirige vers la classe de ma seconde interlocutrice. Dans les couloirs, je croise le directeur de l’école qui, quelques jours plus tôt, me lança au téléphone un « Baslama, vous voyez, moi aussi je parle arabe ». Amusée et le sourire en coin, je le suis vers la classe de l’enseignante. Nous nous serrons la main et nous nous installons dans le fond de la classe, où se trouve une grande table et plusieurs chaises. Très joviale, elle répond à mes questions avec beaucoup d’entrain. A l’écoute de ses réponses, je me rends compte qu’elle apprécie énormément son travail et que ce rôle lui tient à cœur. Bien qu’elle ait été professeure de différentes classes d’enseignement général auparavant, elle a décidé, il y a quelques années, de se consacrer exclusivement à l’enseignement spécialisé des primo-arrivants. Mes impressions concernant l’intégration des élèves dans leur environnement se confirment. Selon ces professeurs, les DASPA ne sont que du positif, bien que la durée d’enseignement devrait être revue au cas par cas, selon leurs dires.

Entre cet entretien et le prochain – oui ce fut une longue, très longue, journée –, il m’est proposé d’assister à une heure de cours donnée au groupe « analphabète ». Je m’installe donc dans le fond de la classe, histoire de ne pas perturber le cours. L’enseignante est appelée dans le couloir et les élèves commencent à me parler, intrigués par ma présence. Ils me demandent de quelle origine je suis, je leur réponds que je suis algérienne. Une petite discussion en arabe se met en place et l’un d’eux me fait croire qu’il est de Sétif, en Algérie. Surprise, je lui demande comment il est arrivé en Belgique. Il me révèle ensuite qu’il est syrien et qu’il a rencontré des Algériens sur sa route vers l’Europe. Leçon 1 : Ou comment se faire berner par un enfant de 12 ans en 30 secondes. Le cours commence et plusieurs élèves se retournent, à tour de rôle, pour me sourire. Leur joie de vivre, malgré ce qu’ils ont bien pu voir ou vivre, me fait réaliser à quel point, en Europe, on a tendance à se soucier d’un rien, moi la première. Le cours se termine et je remercie l’enseignante qui m’a si gentiment accueilli. Les élèves me saluent tous d’un « au revoir, Madame » à tour de rôle.

La journée se termine par deux autres entretiens, tous deux aussi enrichissants que les premiers.

Bref, ce fut une longue MAIS très chouette journée.

#EnquêteursDeChoc

#OnYestArrivé

Sabrina Boukarfa.


 

Système idéal ou idéalisme du système ?

Gai. C’est le mot qui pourrait résumer l’impression que les professeurs ont des classes passerelles où les primo-arrivants sont placés en venant en Belgique (appelées DASPA depuis les années 2000).

Gai, parce que les professeurs que j’ai pu rencontrer croient vraiment en ce projet.

Gai, parce que la motivation des jeunes immigrés, leur soif d’apprendre que j’ai pu observer en classe permet aussi d’y croire.

Une élève primo-arrivante, St-Josse (Bruxelles)
Une élève primo-arrivante, St-Josse (Bruxelles)

Bien sûr tout n’est pas simple. Les professeurs décrivent un quotidien fait de lenteur, de répétitions et d’incompréhensions. Ils doivent faire face à des familles et des enfants en manque de repères. Il faut se battre chaque année pour obtenir les crédits d’une classe DASPA.

Mais ils n’échangeraient pas leurs classes avec d’autres.

Lorsque l’on s’intéresse à leurs sentiments, cette passion interpelle. Mais quand ils m’ont raconté l’année typique en DASPA, j’ai compris.

D’enfants cassés, brisés qui ont parcouru l’Europe, fui la guerre ou des situations économiques désastreuses, ils font des élèves intégrés, alphabétisés, des nouveaux Belges.

Septembre commence difficilement, par gestes, mimes et images. Ils ne se comprennent pas, ne peuvent pas parler ensemble, ni même jouer. C’est le silence dans la classe.

Et puis, la transformation commence.

Petit à petit, ils font leurs premiers pas dans notre société. Ils appréhendent ce nouveau système, cette nouvelle langue, cette nouvelle culture et ce nouveau mode de vie. Les enseignants voient alors apparaître ce que les autres ont si facilement : une classe avec ses bruits, ses bavardages, ses disputes et ses réussites.

Noël arrive et les nouveaux élèves se débrouillent maintenant.

Le reste de l’année leur permettra de finir une remise à niveau impressionnante de rapidité.

Tout semble fonctionner à merveille.

Alors, évidemment, il y a des échecs. Il y a des enfants dont la déscolarisation, le retard ou l’âge trop avancé bloquent dans l’apprentissage. Mais les professeurs refusent de condamner le système entier. Et ils me donnent des exemples : la petite du 2e rang qui ne savait pas lire il y a quatre mois et qui est devenue la meilleure de la classe, le petit au fond qui ne savait pas rester assis il y a trois semaines et qui copie religieusement sa leçon sous mes yeux, la grande qu’on a envoyée en mars dans une autre classe parce qu’elle allait trop vite… Ces enfants, leurs motivations et leur évolution, permettent aux professeurs que j’ai rencontrées de croire que le système des DASPA est une réussite et d’y croire d’année en année.

Un autre système fonctionnerait-il ? Peut-être, sans doute même. Finalement, il me semble que la motivation couplée des professeurs et des élèves est la clé de l’apprentissage et de l’intégration réussie. Si les enfants primo-arrivants ont cette volonté singulière, c’est peut-être qu’ils ont déjà trop perdu durant leurs expériences passées. Si les professeurs ont cette foi remarquable c’est peut-être qu’ils côtoient des situations qui ne laissent pas de place au doute et au statisme.

Le système n’est pas idéal, comme tout système. On apprécierait plus de moyens dédiés aux soutiens et remédiations pour les anciens primo-arrivants. On envisagerait avec joie une hausse d’effectifs pour organiser des classes à plusieurs professeurs. On verrait l’intérêt de travailler avec des spécialistes de didactique, de phonétique ou de logopédie.

Comme tout système réel, le concret se distingue du modèle. Et si le système fonctionne actuellement du point de vue des professeurs, il semble revenir aux politiques de permettre son amélioration, pour que l’Article 24 de la Constitution belge qui énonce le Droit à l’Éducation puisse prendre son sens le plus développé.

Sophie Aumailley