Conversations à l’extérieur et à l’intérieur d’une association

Le parcours d’intégration revêt des défis en matière d’intégration qui diffèrent d’une association à l’autre. Les associations agrégés par la Cocof et qui se chargent de ce parcours d’intégration, s’engagent à suivre la ligne directrice de ce parcours. Tout à la fois, elles ont une marge de manoeuvre qui se transpose dans leurs différentes activités. J’ai pu observer cette marge de manœuvre au sein de l’association Arthis, une association belgo-roumaine qui est chargée de ce parcours d’intégration depuis bon nombre d’années.

Lorsque j’attends devant la porte de l’association pour rentrer et commencer mes entretiens, une femme m’approche en me demandant si je travaille dans cette association. En lui disant que non, elle m’explique pourquoi ce matin-là, elle est venue s’intéresser aux services que la maison Arthis propose. Ensuite, elle enchaîne sur comment elle a trouvé cette association. Elle me parle de ses amies qui ont suivi des cours de français et qui ont pu décrocher un travail grâce aux séances d’informations et aux différents ateliers proposés. En outre, « elle ne veut pas faire d’éloges », elle veut juste me dire que si je veux suivre des cours en français ou même en savoir plus sur mes droits en tant qu’immigrante, ici, c’est le bon endroit. Elle est venue avec son fils, qui a 15 ans et qui a besoin de cours de français. Mais elle a besoin que ses documents soient traduits en français, pour qu’elle puisse débuter le processus de mise en règle avec tous les exigences belges.

Après cette conversation, j’entre et j’ai l’impression d’interrompre le cours de français. L’ambiance est très détendue et « les élèves », les immigrés qui suivent ce cours, sont tous très attentifs et participent vivement au cours. J’entre dans le bureau de la secrétaire, qui m’accueille chaleureusement et commence à m’expliquer comment cette association est née et quelles sont les différentes activités proposées. Elle évoque aussi les différents défis que l’association rencontre : «  la lutte contre le racisme, la lutte contre les préjugés, faire connaître les lois, augmenter l’autonomie linguistique pour avoir accès à un métier, etc. ». Dans un premier temps, on pourrait s’imaginer que toutes les associations font face aux mêmes défis et aux mêmes situations en ce qui concerne ce parcours d’intégration. Par contre, il se révèle que chaque association fait face à une variété des défis qui changent en fonction de chaque individu. Cette association se donne aussi comme défis d’aider les enfants à augmenter leur capacité d’expression, de réaliser des ateliers qui les aident à former leur personnalité. L’objectif est de « briser l’isolement » en réalisant des groupes où les individus doivent apprendre à collaborer.  Il y a ce désir d’aider les individus à s’immerger dans la société belge, néanmoins, dans un premier temps, ils aident à dépasser les disparités engendrées par un manque de capitaux financiers et culturels et à surmonter le blocage social que peut créer la pauvreté.

J’attends que le cours de français finisse pour parler à une des professeures et lui expliquer ce que je veux faire au sein de l’association et le but de cette enquête que je dois réaliser. Le cours fini, j’entends des remerciements et des pourquoi il sera difficile pour quelques « élèves » d’arriver au cours prochain : ils sont à la recherche d’un emploi et ils auront des entretiens. Ces élèves ne connaissent peut-être pas la définition officielle du « parcours d’intégration », mais ils donnent l’air de bien savoir que cette association et les cours qui y sont donnés faciliteront leur intégration dans la société belge.

                                                                             Elena Giorgiana Lupu

 

Dans la classe de Kawthar

C’est dans une classe minuscule, qui accueillait auparavant le local de la logopède, qu’a commencé ma journée d’observation à l’école fondamentale Bruxelles II de Laeken. Notre terrain d’étude, c’est l’intégration des enfants primo-arrivants dans les écoles francophones à Bruxelles. J’ai pu donc me rendre en visite dans une classe DASPA, formée dans sa totalitè par des élèves primo-arrivants. Dans cette petite classe, Kawthar, l’enseignante qui me met tout de suite à l’aise, et six élèves tous bien différents. Au total, il y a huit enfants dans la classe, entre 6 et 8 ans, mais, ce jour-là, deux sont absents.

Amina commence la séance en écrivant la date. Tous les jours, c’est la charge d’un élève à tour de rôle. Le 12 avril 2016. A cet instant-là, Kawthar m’explique que quelques enfants sont arrivés au début de l’année, des autres au mois de novembre, des autres peuvent encore arriver, mais il n’y a plus de place dans la petite classe. Ils viennent de Syrie, d’Afghanistan, d’Ethiopie, d’Irak, ils forment un échantillon bien représentatif d’une école où les enfants d’origine belge, sont 10 au maximum. La leçon de Madame Kawthar a commencé. Les enfants lisent sans faire de pause une fiche avec les images d’objets de la chambre, ou chaque objet, est lié à son correspondant écrit en toutes lettres. Selon l’enseignante, deux enfants de sa classe passeront dans la classe « normale » l’année prochaine; ils quitteront donc leur classe DASPA. Parmi ces élèves il y en a qui n’ont jamais été scolarisés avant, qui sont nés au milieu d’une guerre et n’avaient jamais tenu un stylo dans leurs mains. Alors, Kawthar fait des petits jeux pour les aider à mieux retenir ce qu’ils apprenent, pour retenir des nouveaux objets. Abdoullay, assis à coté de moi, est souvent distrait, je ne sais pas si c’est à cause de ma présence ou s’il a juste la tête dans les nuages. Je me sens un peu coupable.

Ce qui m’a frappé ce jour-là, c’est d’entendre que les enseignants n’ont aucun programme à suivre, aucune directive de la part de la Communautée française. C’est à eux donc d’inventer le programme. Kawthar m’explique que c’est la première année qu’elle est chargée d’une classe DASPA, et elle l’a demandé, mais pour cela, elle a suivi les méthodes, les conseils des anciens, qui s’occupent de l’enseignement des primo-arrivants depuis des années.

Je me demande donc pourquoi il n’y a pas un programme spécifique? Est-ce que ce sont des élèves de seconde classe? La Communauté française n’est-elle pas préparée à faire face à une telle situation? Mon sentiment est alors que, comme cela semble arriver souvent, les personnes qui sont proches de la problématique et qui la vivent au quotidien, la prennent plus à coeur et donnent le meilleur pour faire réussir tous, sans distinction, même s’ils sont abandonnés par les institutions.

Simeoni Silvia

Emmaüs : l’humanitaire avant tout

Soixante ans après le célèbre « appel de l’Abbé Pierre », force est de constater que le message de solidarité empreint de valeurs humanistes, lancé jadis par celui qui fut la personnalité préférée des français durant de longues années, inspire aujourd’hui encore l’action des milliers de membres des communautés Emmaüs de France.

Depuis 1999, le mouvement Emmaüs est présent dans la région du Dunkerquois et poursuit sa lutte contre la misère et l’exclusion. La communauté s’occupe d’apporter une aide précieuse aux plus démunis, fournissant gîte, vêtements, couvertures, tentes et repas quotidiens à toute personne dans le besoin, sans discrimination, quelle que soit son origine ou encore son orientation religieuse. L’action tout entière de cette communauté est orientée autour du slogan, traduisant avec vigueur la pensée de son fondateur, « servir premier le plus souffrant ».

C’est dans le cadre d’un travail de recherche en science politique, que j’ai eu la chance de rencontrer Mme Sylvie Desjonquères, directrice de la communauté Emmaüs de Dunkerque, et acteur central de la problématique du camp de réfugiés de Grande-Synthe. Un personnage haut en couleur, charismatique, passionné, imbu de sa mission et ne manquant pas d’humour quand il s’agit de parler des édiles municipaux dont l’action ne rencontre pas ses idéaux qu’elle défend bec et ongles. Très engagée pour sa cause et pour les valeurs de solidarité et d’entraide qu’elle défend, elle n’hésite d’ailleurs pas, en février 2014, à réitérer l’appel de l’Abbé Pierre en l’intitulant : « au secours mes amis, nous avons besoin de vous […] Pour ne plus qu’aucune femme ni enfant ne meure sur les parvis de Calais ».

L'ancien camp du Basroch, après son démantèlement par la police.
L’ancien camp du Basroch, après son démantèlement par la police en mars 2016 (photo prise par Mathieu Saïfi).

Présente depuis plus d’une vingtaine d’années dans la région, elle a été au centre de la gestion des différentes vagues de réfugiés qui se sont succédées dans le Nord de la France depuis la fin des années 1990. Plus récemment, Sylvie Desjonquères et sa communauté ont été les témoins de l’arrivée massive de réfugiés dans la région de Dunkerque, fuyant les conditions de vie épouvantables générées par les situations de conflits armés et les atrocités commises par l’organisation Etat islamique en Syrie et en Irak. En l’espace de seulement quelques mois – de septembre 2015 à décembre 2015 – la population de la « jungle » du Basroch située à Grande-Synthe est passée de quelque 200 personnes à plus de 2500 personnes, s’entassant dans la boue, l’humidité et le froid.

Le nouveau camp de la Linière, premier camp humanitaire aux normes internationales de France.
Le nouveau camp de la Linière, premier camp humanitaire aux normes internationales de France (photo prise par Mathieu Saïfi).

Tout de suite, Emmaüs décide de se porter au chevet des réfugiés, leur fournissant toute l’aide qui leur était possible d’apporter. Animés par la volonté profonde de lutter pour la cause des exilés, Sylvie Desjonquères et sa communauté ont tout de suite réagi face à cette situation catastrophique. En étroite collaboration avec le réseau associatif de la région et bénéficiant de relais politiques tels que Damien Carême, l’actuel Maire de Grande-Synthe, partageant la même volonté de mettre en avant la catastrophe humanitaire que constitue le camp du Basroch, ils ont été les acteurs décisifs qui ont permis de faire pression sur l’Etat français afin que le nouveau camp de la Linière, conforme aux normes internationales humanitaires, soit construit.

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« Everybody welcome! » « Good luck brothers and sisters » (photo prise par Mathieu Saïfi).

Il était important, à mon sens, de mettre en lumière le travail réalisé par Sylvie Desjonquères et la communauté Emmaüs, et plus globalement de tout le tissu associatif, dans la gestion de la problématique des réfugiés à Grande-Synthe. Par leur volonté, leur courage et leur détermination sans faille, ils pallient les défaillances de l’Etat français, dont l’inaction a eu pour conséquence de laisser à leur sort des milliers de réfugiés déjà traumatisés par la guerre, la faim et le froid.

Mathieu Saïfi

Le bénévolat à la Croix-Rouge : une manière de (re)vivre autrement

20160317_120434Réflexions sur les deux jours d’observation passés au centre de la Croix-Rouge de Stockem. Il s’agit d’un centre situé à Arlon et qui compte environ 850 résidents pour 350 bénévoles. Le site est constitué d’une partie des anciennes casernes militaires et qui ont été données à la Croix-Rouge (en mauvais état).

Lorsque j’ai franchi pour la première fois l’entrée principale, j’ai été réellement surprise d’être plongée dans une ambiance conviviale, altruiste et d’une certaine manière rêveuse – contrairement à mes premières attentes.

En effet dans un contexte aussi alarmant que celui de la crise des migrants que nous connaissons depuis l’été 2015, je m’attendais à tomber sur des bénévoles, satisfaits d’aider des migrants, mais aussi désespérés face au manque de politiques d’accueil mises en place par notre gouvernement. Voire des bénévoles fatiguées par les nombreuses tâches qui s’accumulent allant de la réhabilitation du lieu d’accueil à l’organisation d’activités pour occuper les arrivants, en passant par les tensions qui peuvent apparaître entre migrants-volontaires, volontaires-volontaires ou encore migrants-migrants.

L’ambiance fut toute autre. Toute personne que vous croisez vous salue poliment. Beaucoup s’appellent par leur prénom et se racontent leurs petits tracas quotidiens. Le lien observé entre les bénévoles et les résidents du centre était, tel, ceux d’une amitié naissante, parfois même d’une amitié établie depuis quelques temps. Au vestiaire – endroit où sont soigneusement triés et rangés les dons vestimentaires – un volontaire s’occupe d’un résident pour lui trouver une tenue adéquate. Une ambiance de marché dominical, avec de vieux habitués et leurs commerçants préférés, papotant de tout et de rien et laissant entendre une envie pour chacun de trouver son bonheur. La barrière de la langue peut sembler délicate à ce moment, mais au contraire la majorité des résidents se font comprendre avec des gestes simples, des mots d’anglais basiques et des sourires. Un sentiment positif se dégage avec la volonté des bénévoles de faire de leur mieux pour contenter tout le monde et un retour reconnaissant des résidents.

Vestiaire
Vestiaire

Au cours de mes différentes interviews, c’est la phrase d’une bénévole qui m’a particulièrement interpellée et qui m’a semblé correspondre exactement à une attitude générale au sein des bénévoles mais aussi à ce que j’ai ressenti sur le site. « J’ai l’impression de vivre une deuxième vie à côté de la mienne, et ça me plaît. » Cette phrase montre assez bien le côté nouveau de la situation. Mais elle montre surtout qu’il s’agit d’une expérience qu’on ne connaît pas. Les différents sentiments qui s’entremêlent quand on vient en aide à des personnes dans le besoin : aussi bien la gratitude, les liens sociaux, la reconnaissance, le sentiment d’être utile – permettent de renforcer l’épanouissement personnel. Les normes individualistes, la recherche de bénéfices et la compétition inhérentes à nos sociétés contemporaines ne laissent plus énormément de place à l’entraide, à l’altruisme ou encore à la reconnaissance d’un travail non rémunéré et fait avec plaisir. Ici, ces aspects reprennent une nouvelle couleur, permettent aux volontaires de s’épanouir et surtout de sortir de leur quotidien. Le changement de l’un à l’autre est tellement radical qu’il apparaît comme une deuxième vie. Elle est tellement éloignée de la première qu’on en oublie à quel point ces aspects sont importants pour le bien-être général, mais surtout, à quel point ils sont loin de notre réalité.

Bien que cette phrase n’ait été prononcée que par une seule bénévole, l’idée revient chez beaucoup d’entre eux. Certains se sentent apaisés et calmes quand ils repartent, d’autres ont l’impression d’avoir eu un « boost » d’énergie pour le reste de leur journée. Enfin, on a encore ceux qui croient à une réelle amélioration des liens sociaux qui nous unissent.

Marie Nicolay

Lacunes et balbutiements du parcours d’intégration

Pour notre enquête nous avons décidé de nous intéresser au parcours d’intégration qui est mis en place en Belgique et plus particulièrement dans la région de Bruxelles. Nous avons donc contacté diverses organisations, ASBL mais aussi les CPAS de la région. Je me suis donc rendue à l’ASBL Horizon Sud car elle met en place un réel plan pour aider les primo-arrivants en Belgique. J’ai été marquée par le fait que ce parcours d’intégration n’était pas similaire dans toutes les organisations que nous avons contactées. Chaque organisation met en place son propre parcours et nous nous sommes rendues compte de la complexité de la situation en Belgique actuellement. En effet, le projet reste neuf et il n’est pas entièrement construit, alors qu’il est urgent de trouver une solution vu le flux de réfugiés qui arrivent notamment à cause de la crise syrienne.

Grace à l’enquête que j’ai réalisée et notamment celles qui ont été réalisées par les autres personnes de mon groupe, je me suis vite rendue compte que l’accueil des réfugiés en Belgique n’était en fait pas encore bien organisé et qu’il était en réalité difficile de s’adresser aux bureaux d’accueil de Bruxelles qui semblaient débordés. En réalité il s’agit d’un projet politique encore nouveau, qui semble encore mal coordonné. Lors de mes entretiens, j’ai remarqué que l’accueil des réfugiés pas les ASBL était « individuel ». Nous nous sommes intéressées à l’intégration des migrants, donc la manière dont ils sont suivis par ces associations. L’ASBL Horizon Sud donne beaucoup d’intérêt d’abord à loger ces personnes mais aussi à leur donner des cours qui leurs permettront d’être insérées dans le domaine professionnel afin de ne plus en dépendre.

Lorsque j’ai interrogé deux personne au sein de l’ASBL Horizon Sud, j’ai été touchée par deux choses. Les deux personnes m’ont expliqué que le parcours d’intégration était bien structuré comparé à d’autres pays de l’Union européenne, mais qu’il restait tout de même beaucoup de lacunes qu’il fallait corriger. D’abord, cette ASBL est surtout auto financée, dans le sens que ce sont des bénévoles ou des anciens réfugiés et demandeurs d’asiles qui contribuent à son financement, et que l’Etat n’est pas vraiment dans la capacité d’apporter son aide. J’ai eu l’impression que, bien sûr, il y avait un modèle à suivre mais que surtout chaque organisation proposait un parcours relatif à ces propres capacités, ce qui témoigne encore une fois d’un manque de coordination entre toutes ces organisations qui ont un but commun. On peut voir aussi qu’il n y a pas vraiment de communications entre elles.

La deuxième choses qui m’a marquée durant mon enquête est que ces mêmes personnes que j’ai interrogées étaient elles même issues de l’immigration, ce qui me semblait encore plus intéressant puisque je ressentais un réel engagement de leur part. Ces derniers ressentaient un besoin d’aider d’autre personnes qui allaient passer par le même parcours difficile en Europe. Dans l’ensemble, ils étaient très positifs concernant le parcours d’intégration belge et donnaient une importance primordiale quant à l’apprentissage d’une des langues nationales.

Dans l’ensemble, l’avis de ces deux personnes étaient très positif concernant le parcours d’intégration mis en place, mais encore une incertitude concernant sa réussite, puisque nous sommes encore au début de sa mise en place, mais aussi faute de moyens.

 

Lara Jabbour

 

Yolande U. : un long chemin vers la sécurité

« Bonjour Yolande, puis-je vous enregistrer durant notre entretien ? » – « Thomas, j’ai connu quelques galères en tant que réfugiée, tu ne vas quand-même pas me faire croire que tu n’as pas le courage de prendre note de mes réponses ? ». Tel était mon premier contact avec cette surprenante femme d’origine burundaise qui travaille désormais comme comptable chez Caritas.

Yolande U. s’est faite rattraper par la guerre à chaque fois qu’elle tentait d’y échapper : en 1994, Yolande fuit la guerre civile burundaise et se réfugie au nord, au Rwanda. Sentant le vent tourner, elle décide de fuir le Rwanda en février 1994, juste avant que le génocide n’éclate sur place. Yolande met ensuite le cap sur la République Centrafricaine. « C’était une période difficile pour moi car, malgré les études que j’avais faites, on me traitait comme une « moins que rien » et on me pointait sans cesse du doigt. » En 1999, le sort semble s’acharner sur Yolande. Des troubles émergent en effet en Centrafrique, une grenade tombe même sur la paroisse qui l’abrite, la condamnant une nouvelle fois à s’exiler. Comme quoi, il ne suffit pas de fuir, encore faut-il fuir dans le bon sens ! C’est donc en 1999, juste après son mariage, que Yolande pose ses valises ici en Belgique, seule.

Après avoir fui la guerre, un nouveau parcours du combattant s’offre à Yolande. Il s’agit d’un parcours qu’elle prend très au sérieux, mais avec un optimisme à toute épreuve. « Dès mon arrivée, la Belgique m’avait offert un sentiment de sécurité. Peu importe les obstacles que j’allais désormais devoir affronter, je les surmonterai, car j’avais enfin cette sécurité que je recherchais. » Yolande est rapidement expulsée de son centre d’accueil à Rixensart, livrée à elle-même pour trouver un nouveau logement. Yolande désire travailler comme comptable, mais on lui impose de reprendre les études en première année, faute d’équivalences de diplômes… Son mari la rejoint en 2001, et ses trois grossesses successives ne l’empêcheront pas de réussir ses années d’études en comptabilité. Après avoir difficilement trouvé un stage de fin d’études, Yolande ne parviendra pas à trouver un emploi. « Je voulais cependant être active, me vider la tête, sortir de chez moi, j’ai donc fait des années de bénévolat dans divers domaines ». En 2009, Yolande devient comptable bénévole chez Caritas, avant de décrocher son premier contrat dans cette même ONG en tant que comptable, un an plus tard.

C’est avec fierté que Yolande me dit qu’elle est aujourd’hui une femme belge, mariée, bilingue et mère de trois enfants. Elle est employée chez Caritas et a son petit chez-elle. Mais elle se dit avant tout en sécurité ! Son parcours ne s’arrête cependant pas là, car Yolande est désormais prête à tendre la main aux nouveaux arrivants : « Je me rends désormais dans des centres d’accueil uniquement pour écouter les nouveaux arrivants. On oublie souvent qu’ils ont besoin de vider leur sac, d’extérioriser. Je suis là pour eux ».

Yolande est de nature très optimiste, durant les deux fois où je l’ai rencontrée, elle était accompagnée d’un grand sourire et d’une bonne humeur. Elle estime avoir eu énormément de chance depuis son arrivée en Belgique, d’avoir pu suivre des études, de trouver un logement, un travail et surtout ce sésame qu’est a sécurité. Mais c’est la gorge nouée qu’elle me fera part du revers de la médaille : « Quand je retourne au Burundi, on me traite comme une étrangère et non comme une burundaise. J’ai gagné énormément de choses depuis mon arrivée en Belgique, mais j’ai perdu pas mal d’éléments en route : ma patrie, mon identité, je ne suis plus chez moi. Je ne suis plus africaine, je ne suis pas européenne, j’ai perdu ma personnalité et ma culture depuis que je suis réfugiée. Que dois-je raconter à mes enfants ? Qui sont-ils ? ».

Avant de me quitter, Yolande souhaite faire passer un message aux nouveaux arrivants : « Battez-vous pour ce que vous voulez. Ce sont des années difficiles qui vous attendent, mais les choses ne tomberont pas du ciel et le combat se fait seul, donc battez-vous ! » Ceci est le message d’une battante toujours souriante qui a soulevé des montagnes tout au long de sa vie. Merci Yolande U. de vous être livrée à moi !

Thomas REGNIER

Quelques chiffres…

Rien que pour la Syrie, l’Agence des Nations Unies dénombrait en juillet 2015 plus de 4 millions de réfugiés syriens dans les pays voisins (Turquie, Liban, Irak, Jordanie, Égypte, Afrique du Nord) et plus de 7 millions de déplacés à l’intérieur de la Syrie. « C’est la plus importante population de réfugiés générée par un seul conflit en une génération. Cette population a besoin d’un soutien de la part du reste du monde mais, au lieu de cela, elle vit dans des conditions désastreuses et s’enfonce dans la pauvreté », déclarait alors António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Mais qu’en est-il de tous les autres? Fin 2013, le nombre de réfugiés dans le monde était de 11,7 millions, dont 86% vivent dans les pays dits « non-industrialisés ». Quant au nombre de déplacements forcés, il s’élevait à 51,2 millions de personnes, selon l’UNHCR (L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés). Ils seraient plus de 20.000 personnes, parmi ceux qui font le choix de prendre la route vers l’Union européenne, à avoir trouvé la mort aux frontières de l’UE de 1988 à 2013.

Laurence Grun

Orgueil et préjugés : les migrants, un danger pour notre identité nationale ?

Le thème de l’ « identité nationale » refait régulièrement surface dans la presse et constitue une problématique très actuelle. En effet, les récentes vagues d’immigrations, notamment en raison du conflit syrien, ont créé en Europe un climat de peur et d’incertitude. Certains pensent même que le nombre important de migrants met en péril les identités nationales, voire l’identité occidentale.

En 2007, Nicolas Sarkozy crée un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire,  et rouvre ainsi le débat sur le concept d’ « identité nationale ». Nombre de personnes ont dénoncé les risques qu’une définition de ce concept pourrait impliquer. En 2009, le chercheur Pap Ndiaye, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, avait notamment exprimé sa crainte d’une dérive « autoritariste » du débat, affirmant qu’ « Il y a tellement de façons d’être français qu’il serait triste que le gouvernement nous dicte ce qu’est être français. » (GERARD 2009) La création de ce ministère avait également suscité les réactions de l’ASSOCIATION FRANCAISE DES ANTHROPOLOGUES (2007), qui considérait ce phénomène comme très inquiétant. D’après l’Association, ce ministère associant les termes d’immigration, d’intégration et d’« identité nationale », sous-entendait que la nation était menacée, voire polluée par l’immigration. Elle avait par ailleurs déclaré que :

« La notion d’identité nationale ne saurait avoir de validité scientifique. Elle est une construction sociale imaginaire qui, sous couvert d’unité, tend à renforcer les divisions, les discriminations et les inégalités. »

En effet, déjà au XXe siècle, le grand intellectuel Claude Lévi-Strauss définissait « l’identité » comme une « sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il n’ait jamais d’existence réelle. » (AGIER 2009.) Cette idée de construction sociale imaginaire est également consacrée dans  Imagined Communities (1983), ouvrage de Benedict Anderson dans lequel il affirme que la nation est une « imagined political community », une communauté politique imaginée. L’ « identité nationale » serait donc une construction sociale, une création arbitraire. Les membres de la « nation » ne se connaissent pas, aucun lien ne les attache  jusqu’à ce que la nation, une identité partagée, soit créée par la presse, la littérature, etc. Bien que socialement construite, la nation est donc devenue une réalité inéluctable. Ce mythe d’avoir un destin et une histoire en commun est problématique car, fragile, on ne peut le réécrire chaque fois qu’un immigrant arrive. C’est pourquoi les immigrants dérangent. Ils remettent en cause le mythe de la nation.

Pour conclure, le concept « d’identité nationale » n’est au fond qu’une construction sociale. Par conséquent,  il n’y pas lieu d’avoir peur pour cette identité ni de penser qu’elle serait « menacée » ou « affaiblie » par les immigrants, d’autant plus que le phénomène de migrations a toujours existé et l’on constate que le nombre d’immigrés ne constitue qu’une part infime de la population européenne (pour plus d’informations sur la « vague d’immigration sans précédent » voir l’article de Nazanin Nejati).

Charlotte MAUQUOY

Bibliographie

AGIER (M.)
2009
« L’identité nationale, un débat multidimensionnel »
dans Le Monde
11.11.09
http://www.lemonde.fr/idees/article_interactif/2009/11/11/l-identite-nationale-un-debat-multidimensionnel_1265877_3232_2.html
ANDERSON (B.)
1983
Imagined Communities :Reflexions on the Origin and Spread of Nationalism
Londres: Verso
ASSOCIATION FRANCAISE DES ANTHROPOLOGUES
2007
Communiqué de l’Association française des anthropologues, à propos de l’instauration d’un ministère « de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement »
31 mai 2007
http://berthoalain.com/2007/05/31/immigration-et-identite-nationale/ 
GERARD (M.)
2009
« Le débat sur l’identité nationale au miroir de la presse étrangère »
dans Le Monde
03.11.2009
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/11/03/le-debat-sur-l-identite-nationale-au-miroir-de-la-presse-etrangere_1261969_3224.html#7ujYdbtMUrt4xkqb.99

La dure réalité d’un jeune Malien

Après les premières visites de la maison des migrants, j’ai eu la chance de réaliser quelques entretiens, avec des migrants en situation irrégulière. Leurs conditions et leur mode de vie au sein de ce centre d’accueil m’ont ouvert les yeux.

J’ai d’abord été particulièrement frappé par la personne que j’ai interrogée pour mon premier entretien. Je m’attendais en menant cette enquête à rencontrer des migrants aux parcours difficiles, mais l’histoire de ce jeune migrant malien, âgé de 19 ans, m’a touché.   Ce migrant a quitté son pays il y a un an et demi, après que son frère, qui l’éduquait depuis le décès de ses parents, a été assassiné par les milices voulant imposer la Charia au nord du Mali. Il a donc dû fuir pour la Gambie, puis après plusieurs mois passés là-bas, il a été mis dans un vol pour Bruxelles. Arrivé sur le sol belge, sans un sous, il est immédiatement conduit en centre d’enfermement, où il séjourne trois mois, en accumulant les procédures de demandes d’asiles et les rendez-vous au tribunal. Après ces trois longs mois, son histoire est considérée comme fausse et on lui prie alors de quitter le sol belge. Je l’ai rencontré à la Maison des migrants, le lendemain de cette décision. Il ne disposait alors que de deux jours pour trouver une solution, car comme il me l’expliquait, un retour chez lui signifiait un décès assuré. Son histoire, dans sa globalité est touchante, mais c’est sa situation, sa force et son courage qui m’ont marqué. Ayant sensiblement le même âge, on se sent très rapidement révolté par sa situation. On a envie de lui tendre la main, tout en sachant que notre rôle n’est pas de tout faire à sa place. Mais à mes propositions d’aide il me répondait : « Ne t’en fais pas, j’ai quitté mon pays, j’étais un enfant, aujourd’hui je suis un homme, je vais y arriver ». C’est cette phrase, dans sa situation qui m’a marqué. Marqué car en me mettant à sa place,  je ne peux même pas imaginer tenir un mois avec tout ce qu’il a subi. Et pourtant il continue d’y croire, de prier et de chercher des solutions sans perdre espoir.

Une deuxième chose qui a marqué mon enquête est le fonctionnement de la Maison des migrants en tant que tel. Les cinq personnes qui nous ont accueillis dans le centre, et qui sont donc des migrants, nous ont expliqué le fonctionnement de la maison. Les repas sont gratuits pour tous, tous les soirs de 19h à 22h, le matin la cuisine reste ouverte pour les petits déjeuners. De nombreuses activités sont proposées et les migrants sont censés pouvoir rester autant de temps qu’ils le désirent. Mais l’un des réfugiés que nous avions rencontrés, et interviewé à l’intérieur de la Maison des migrants, s’est confié à nous, au détour d’une rue, par hasard. Il nous expliquait alors que le centre ne fonctionnait pas toujours comme annoncé, que l’équipe de direction s’était, selon lui, « accaparée le pouvoir » et qu’elle avait un « droit de regard sur chaque réfugié ». Les avis des uns et des eux peuvent être divergents, dans un contexte où des choix difficiles doivent sûrement être opérés.

C’est finalement cet avis différent qui m’a marqué, ainsi que la personnalité de certains réfugiés qui nous ont accueillis à bras ouverts, avec un vrai désir de leur part de faire connaître leurs actions.

Paul Chevallier Rufigny

L’intégration des Italiens en Belgique

Grâce aux interviews réalisées, j’ai pu constater que l’interaction avec les émigrés italiens en Belgique a enrichi non seulement ma capacité à appliquer des méthodes de recherche sociale, mais m’a aussi apporté une compréhension plus profonde du phénomène migratoire.

La proportion de la communauté italienne en Belgique est assez difficile à estimer car les sources statistiques à disposition sont celles fournies par l’institution AIRE (Anagrafe Italiani Residenti all’Estero), qui n’est pas en mesure de contrôler l’ensemble du flux migratoire italien. Toutefois, en observant le recensement de l’AIRE de 2012, nous pouvons observer que la Belgique est aujourd’hui le sixième pays au monde à accueillir le plus grand nombre d’expatriés italiens. Selon ces statistiques, 290.000 d’entre eux vivraient en Belgique. Compte tenu de ce chiffre, je me suis posé la question si cette communauté s’y était bien intégrée.

La première vague migratoire des années cinquante et soixante a contribué au développement économique de la Belgique. Ce premier mouvement migratoire comprenait surtout des hommes qui quittaient l’Italie pour venir travailler dans les mines de charbon. Cette première vague était souvent caractérisée par un niveau d’instruction et un effort linguistique très bas. Cette génération a donc eu de nombreux problèmes à s’intégrer avec les Belges et les relations avec les pays d’origine étaient très vives. Cela reflétait l’espoir des Italiens de retourner dans leur pays après plusieurs années de travail en Belgique.

En revanche, j’ai pu noter que les générations suivantes se caractérisent par un bon niveau d’instruction et une meilleure connaissance du néerlandais et du français. Je parle ici des enfants des Italiens de la première génération qui se sont parfaitement intégrés en Belgique et dont les liens avec leur pays d’origine se sont considérablement affaiblis.

Une autre réalité migratoire émerge aujourd’hui : celle liée aux institutions internationales, et surtout européennes ainsi qu’aux professions intellectuelles. Cette nouvelle génération de fonctionnaires, de stagiaires, employés et autres lance une nouvelle réflexion sur les différentes manières d’être Italien à l’étranger.

Enfin, j’ai remarqué que les Italiens que j’ai interrogés à Bruxelles ne critiquaient pas l’immigration en tant que phénomène, mais qu’ils s’opposaient aux politiques migratoires mises en œuvre par l’Union européenne.

Vittorio Russo