Mieux comprendre pour mieux aider

L’enquête de terrain est un exercice auquel je n’étais pas habitué, mais qui m’a permis de voir l’envers du décor, de comprendre certaines facettes de cette problématique que je ne soupçonnais même pas. Comme beaucoup, me retrouver face à une nouvelle expérience ne me rassurait pas, mais une fois en contact avec la réalité du terrain l’appréhension a vite fait place à une grande motivation.

Durant les différents entretiens, plusieurs choses m’ont étonné, mais un aspect particulier a retenu mon attention : l’absence d’une cellule psychologique systématique dans les écoles. Certains établissements semblent manquer de ce genre de structures alors qu’elles pourraient grandement aider et faciliter l’apprentissage et l’intégration. En effet, certains élèves provenant par exemple de pays en guerre ont eu un parcours difficile, ont vécu, vu, subi des choses que personne ne devrait vivre, surtout pas des enfants ou des jeunes adolescents. Inutile de faire l’inventaire de ces choses pour comprendre que le mal-être de certains peut leur bloquer bien des portes, que ce soit dans leurs phases d’apprentissage ou dans leurs relations avec les autres.

Bien entendu, certaines solutions existent : le PMS est disponible dans chaque école et les personnes qui y travaillent sont toutes disposées à offrir leurs compétences pour aider ces jeunes gens. Le problème est que cette aide n’est pas automatique, et bien souvent insuffisante. La barrière de la langue est un obstacle de poids, requérant un traducteur qui n’est pas toujours disponible et qui ne facilite pas la confidence. Parler de problèmes intimes ou d’expériences traumatisantes n’est pas aisé lorsque l’on est entouré de plusieurs personnes inconnues qui risquent de ne pas saisir les nuances.

Pour pallier ce problème, beaucoup d’écoles mettent en contact les élèves avec des structures externes, comme par exemple des ASBL. Bien qu’offrant une aide inestimable, cette démarche ne reste que trop rare et dépend toujours de volontés individuelles. Ces expériences restent beaucoup trop différentes d’une école à l’autre, une harmonisation de ces procédés pourrait permettre des résultats beaucoup plus probants. Cela pourrait, par exemple, aider les enseignants à comprendre et à aider au mieux des jeunes gens dont le comportement ne peut pas être compris sans avoir une idée de ce qu’ils ont vécu. Voici un extrait d’un entretien que nous avons eu avec un enseignant d’une classe DASPA et qui illustre assez bien l’intérêt de connaître le passé de certains élèves : « L’exemple d’une jeune fille qui a vu sa meilleure amie se faire violer, elle a difficile et ne comprend pas ce qu’est l’autorité. Elle demande pourquoi elle est à l’école. Parfois, elle réagit très violemment mais lorsque l’on sait le passé qu’elle a eu, on comprend. Elle n’a connu que la violence donc elle va répondre par la violence. »

Grégoire Dromelet

L’engagement des bénévoles

Pour notre enquête de terrain, qui a porté sur l’évolution du camp de Grande-Synthe, nous nous sommes concentrés sur ses principaux gestionnaires, c’est-à-dire les associations et les représentants de l’État. Nous avons donc travaillé sur des groupes d’acteurs et non pas sur des individus. Cette décision découlait de notre choix de consacrer notre rapport sur les relations qu’ils entretiennent. Mais au niveau personnel ce qui me frappe toujours c’est le rôle joué par les individus à l’intérieur de ces associations, vu qu’elles se constituent autour de la volonté de certaines personnes et que les rapports de force que nous avons analysés se forment autour des liens directs entre les gens.

Ayant travaillé moi-même comme bénévole pour la Plateforme d’aide au réfugiés (Hall Maximilien), je suis toujours frappée par les raisons qui poussent certaines personnes à s’impliquer et d’autres à fuir le problème. J’aimerais donc apporter ma réflexion sur ceux qu’il faut à mon avis considérer comme les acteurs principaux du camp, c’est-à-dire les bénévoles. Très naturellement j’ai été amenée comparer ce que je connaissais déjà du fait de mon expèrience et ce que j’ai vu sur le camp de la Grande-Synthe.

Tout d’abord j’aimerais définir le concept de bénévole. Il s’agit de personnes qui décident de mettre à disposition leur temps pour la résolution d’un problème, pour une cause, pour des motivations les plus différentes, sans recevoir aucune rémunération.

A Grande-Synthe, il y a de nombreux bénévoles, de différentes nationalités. Il est frappant d’observer l’engagement de personnes qui ne sont pas directement touchées par la crise migratoire, quand on sait combien il est difficle de rassembler des gens qui se trouvent face à la nécessité d’agir. En effet au Hall Maximilien, la plupart des bénévoles viennent de la ville de Bruxelles et ils ont décidé de s’engager puisque ils étaient face à face avec les réfugiés, qu’ils les voyaient tous les jours dormir sur leur trottoir. Il est vrai que la situation de Grande-Synthe a été beaucoup plus médiatisée et c’était justement à ce moment-là que les réfugiés ont commencé à arriver en masse. Dans tous les cas, c’est la découverte de la situation, que ce soit par les écrans télévisés ou que ce soit dans notre quotidien, qui peut bouleverser les consciences.

J’ai pu retrouver ces mêmes impressions dans plusieurs entretiens que nous avons, par exemple avec la représentante de Emmaüs. Elle-même bénévole, elle a évoqué à plusieurs reprises la contribution d’activistes provenant de toute l’Europe et du Canada, surtout à partir du mois de septembre 2015.

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Enfants jouent sur le nouveau camp de Grande-Synthe. Photo prise par Nicolas Klein

A part des Anglais, qui sont plus directement touchés par la question, on retrouve des Néerlandais, des Belges, des Canadiens etc. J’étais fascinée par leur décision d’intervenir dans un autre pays, ce qui est différent de la situation à laquelle j’étais habituée.

Notamment cela pose un problème au niveau de langue, de la communication, de la façon de concevoir le bénévolat et la mise en place d’une action concrète. Malheureusement cet aspect international du bénévolat ne plaît pas à tout le monde. Par mon expérience, j’estime que cette difficulté est strictement liée aux rapports personnels entre ceux qui travaillent sur le camp et se reflète au niveau associatif. On crée des amitiés, même des liaisons, mais aussi des rivalités à mon avis injustifiées vu que l’on travaille tous pour la même cause qui est le bien-être des réfugiés et pas l’affirmation de notre rôle. Encore pire cela génère du chaos dans la gestion du camp et dans la prise de décision, autant que dans la communication avec l’État.

Mais quoiqu’il arrive, les bénévoles sont là. Ils agissent. Ils n’ont pas d’expérience, ils n’ont pas d’instruments, ils ont seulement du temps à consacrer. Et cela me mène à poser la question : pourquoi l’État, qui aurait l’expérience et les instruments nécessaires ne donne pas de son temps à cette cause.

Marella Tassini

Dissuader plutôt qu’aider ?

Un des principaux objectifs de l’UE est de promouvoir les droits de l’homme, aussi bien dans l’Union que dans le reste du monde[1].

Depuis l’été 2015, des milliers de migrants cherchent refuge en Europe ; conséquence de la crise humanitaire mondiale due au conflit syrien. Devant ce phénomène important de flux migratoire, l’Union européenne accueille-t-elle ces réfugiés les bras ouverts ? Des exemples montrent plutôt une tendance à en limiter l’accueil.

En plus des quotas insuffisants de migrants que chaque Etats Membres doit recevoir, depuis fin octobre 2015, le gouvernement Belge, et plus particulièrement le secrétaire d’Etat à l’asile et la migration, M. T. Francken a mis en place une campagne de dissuasion semblant vouloir inciter les migrants à renoncer à la demande d’asile en leur soumettant une projection négative du processus de demande d’asile.

Le gouvernement belge ne force pas les réfugiés à rentrer chez eux, mais pose un cadre peu accueillant et peu favorable à une vie humainement digne. De nombreux réfugiés préfèreront finalement repartir vivre dans leur pays, auprès de leur famille et ce malgré la guerre et les risques de celle-ci.

La campagne de dissuasion visait tout d’abord les réfugiés Irakiens qui représentaient 47% des réfugiés[2]. Par la suite, cette campagne, s’est étendue à tous les demandeurs d’asile. Dans cette lettre, l’accueil Belge est dépeint comme insuffisant et limité dans le temps. Rappelons que dans son article 33, la Convention de Genève sur le statut de réfugiés de 1951, dit qu’un gouvernement ne peut expulser ou renvoyer un réfugié vers son pays si ce retour peut le mettre en danger. De plus, elle réitère l’obligation pour le pays d’accueil de traiter le réfugié de façon digne, avec « le même traitement que ces nationaux »[3].

Bien sur le gouvernement ne force pas les réfugiés à rentrer chez eux. Beaucoup de réfugiés vous diront qu’ils préfèrent finalement repartir vivre dans leur pays, dans une ville qu’ils connaissent. Mais ces campagnes ne créent pas non plus une atmosphère accueillante qui encouragerait ces derniers à rester en Belgique, à l’inverse, elles pourraient inciter certains à rentrer dans leur pays où ils courent un risque.

Bien que signataire de la Convention de Genève, la Belgique ne semble pourtant pas coller aux valeurs de cette dernière. Heureusement, des institutions comme le CIRE (coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) ou Myria, le Centre fédéral de migration s’insurgent et ainsi, une plainte a été émise le 8 mars 2016 contre le gouvernement Belge auprès de la Commission Européenne[4]. Les pays de l’Union Européenne, toujours garants d’accueil et de droits de l’Homme ?

Clémence Plesse

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[1] http://europa.eu/about-eu/basic-information/about/index_fr.htm, visité le 17 avril 2016

[2] http://www.europe1.fr/international/belgique-sur-facebook-un-ministre-tente-de-dissuader-les-refugies-irakiens-2521097, visité le 17 avril 2016

[3] Article 24, Convention de Genève, 1951

[4] http://www.lesoir.be/1143497/article/actualite/belgique/2016-03-08/migrants-myria-centre-federal-migration-porte-plainte-contre-l-etat-belge, visité le 20 avril 2016

« Campo » : des places temporaires devenues permanentes

Le gouvernement fédéral a créé des « campo » afin d’accueillir les demandeurs d’asile arrivant en masse en Belgique. Ces camps organisés au départ de manière éphémère continuent à exister encore aujourd’hui.

La Croix-Rouge a dû faire face à une arrivée rapide et massive de migrants durant l’année 2015. L’association a triplé sa capacité d’accueil passant de 3000 places à environ 9000 places actuellement. Afin d’assurer un accueil convenable, elle a dû engager du personnel et trouver de nouvelles infrastructures. Renaud Mommaerts, adjoint à la direction des demandeurs d’asile de la Croix-Rouge, nous a mentionné la création des « campo » : à la demande du gouvernement fédéral, la Croix-Rouge de Belgique a ouvert des places « campo », c’est-à-dire des places dites temporaires pour répondre à l’afflux d’immigrés arrivés dans notre pays. Dans l’optique d’offrir un toit à tout le monde, Fedasil, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, avec l’aide de la Croix-Rouge a, dans l’urgence, aménagé des hangars et a installé des tentes pour accueillir les nombreux immigrés. Cette solution, imposée par le fédéral, garantit un séjour de maximum 15 jours/1 mois dans cet inconfort.

La Croix-Rouge, comme nous le précise l’adjoint à la direction, ne partageait pas l’avis des autorités fédérales. Cependant, la décision, avec une certaine pression de l’État, fut prise dans la mesure où il valait mieux leur donner un toit que de les laisser dans la rue. Par ailleurs, l’association a insisté sur le caractère temporaire de cette solution. On peut se demander si cette solution fédérale n’est pas un message indirect et dissuasif d’autres candidats à l’exil. Ces places « campo » sont un réel retour en arrière quant à l’accueil des demandeurs d’asile. Elles prolongent une politique discriminatoire dont les personnes ont été victimes dans leurs pays d’origine et durant leur parcours migratoire survivants à la violence et la précarité.

Pour cette raison et d’autres encore, la Croix-Rouge ne souhaitait pas les logements « campo ». Avant d’accueillir un réfugié, celle-ci met un point d’honneur à avoir une structure minimale pour le recevoir. La loi « accueil » de 2007 impose une couverture des besoins tels qu’un hébergement, de la nourriture, des sanitaires, de l’argent de poche et un accompagnement individuel. L’association va au-delà de la loi car elle juge cette directive insuffisante. Comme nous l’explique Renaud Mommaerts, la vie dans les hangars est parfois bien compliquée et inconfortable. L’intimité des résidants est bafouée : les sanitaires communs sont sous des tentes à l’extérieur. D’autres problèmes concernant la vie en communauté peuvent également surgir, tels que l’extinction des lampes communes à tout l’entrepôt. Dans cette précarité et promiscuité, des tensions éclatent régulièrement. Les travailleurs sociaux de la Croix-Rouge doivent donc gérer cela en plus de l’accompagnement des individus et du travail quotidien.

Les « campo » sont passés d’un statut temporaire à permanent. La Belgique n’a pas trouvé de solutions de relogement pour tout le monde. De plus, de nouveaux migrants affluent fuyant les conditions très rudes de leur pays, épuisés par un voyage physiquement et moralement pénibles et se retrouvent chez nous dans des conditions de vie, de survie déplorables. Cependant, Renaud Mommaerts nous confie que les migrants s’y acclimatent. Ces camps sont équipés de bonnes connexions WiFi leur permettant de rester en contact avec leur famille et de suivre les actualités de leur pays d’origine. Les hangars sont situés à proximité des grandes villes contrairement aux centres d’accueil classiques situés dans des zones plus rurales. Les demandeurs d’asile sont donc libres de voyager en ville et de profiter d’une vie multiculturelle. Il y a donc une remise en question de la Croix-Rouge et de ces conditions d’accueil. Dans un pays comme le nôtre, peut-on se permettre de laisser ces personnes dans un tel inconfort de manière prolongée?

Claire Billion

L’incertitude de l’emploi dans un contexte d’urgence

L’augmentation substantielle de migrants à laquelle la Croix-Rouge a dû faire face ces derniers mois l’a conduite à mettre en place un travail dans l’extrême urgence. A côté de bâtiments supplémentaires nécessaires à la mise en place de l’accueil, des travailleurs additionnels ont été recherché pour effectuer un travail en contact direct avec les demandeurs d’asile.

En six mois (entre septembre 2015 et mars 2016) les structures d’accueil de la Croix-Rouge ont triplé passant de 3000 à 9000 places ce qui est non-négligeable. L’infrastructure croissante apporte avec elle une augmentation des ressources humaines sur le terrain ce qui me conduit à m’arrêter un court instant sur les salariés supplémentaires engagés lors de temps de crise.

Trouver des locaux en mesure d’accueillir des migrants, engager du personnel supplémentaire, tels ont été les grands défis que les membres du département ADA (Accueil des Demandeurs d’Asile) ont dû surmonter ces derniers mois pour convenablement faire face à l’arrivée massive des migrants.

L’adjoint à la direction du département de l’ADA, Mommaerts Renaud explique : « il a fallu absolument augmenter la capacité à la demande du gouvernement ; comme auxiliaire de l’Etat, c’est un rôle de la Croix-Rouge de venir en aide à l’Etat lorsque celui-ci n’a pas d’autre solution »[1]

La mission de la Croix-Rouge est claire : elle fait partie de l’un des acteurs principaux dans l’accueil et la gestion des demandeurs d’asile et c’est à elle que revient la charge de s’occuper de cet accueil lorsque l’Etat se voit dépassé par un afflux massif de migrants.

Le conflit syrien d’aujourd’hui marque une nouvelle crise politique face à laquelle l’Europe ne peut rester indifférente. Si celle-ci nous préoccupe actuellement, le monde a connu des crises précédentes tout aussi importantes. Mr. Mommaerts l’atteste « Il faut savoir que ce n’est pas la première (crise) qu’on connaît. Moi j’analyse ça comme étant tous les 5 voire tous les 3-4 ans avec des crises un peu cycliques. Donc ça vient : il y a une arrivée massive puis ça diminue : on doit fermer des centres puis ça revient 3 ans, 4 ans, après et ainsi de suite. »[2]

La rapidité étant capitale en période de crise, la Croix-Rouge doit à chaque fois se démener pour hâtivement trouver des personnes prêtes à aller sur le terrain. Mais ces personnes ne sont parfois que peu formées au travail avec des demandeurs d’asile. Qui plus est, elles ne connaissent pas au préalable la durée de leur présence sur le terrain compte tenue que certains des centres fermeront leurs portes lorsque la venue massive de migrants s’estompera.

Ce constat me permet de penser l’incertitude de l’emploi ce qui est paradoxal car avoir un emploi est souvent source de certitude.

Que va-t-il arriver aux travailleurs dépêchés sur le terrain dans une voire deux années ?      Feront-ils encore partie de l’équipe de la Croix-Rouge ou devront-ils de nouveaux éplucher les petites annonces à la recherche d’un emploi ?

Cette thématique m’a fortement questionnée lors de l’entretien avec l’adjoint à la direction et il m’a semblé intéressant de l’évoquer brièvement dans le cadre d’un billet de quelques lignes.

Tshinza Ndaya Rachel

[1] MOMMAERTS R. entretien du vendredi 18 mars 2016.

[2] Ibidem

Le cas des mineurs non accompagnés

Certains des élèves primo-arrivants sont des mineurs non-accompagnés. Orphelins ou arrivés sans leurs parents, leur intégration est d’autant plus difficile. Mais ce parcours du combattant ne s’arrête pas une fois devenus majeurs, bien au contraire.

Tant qu’ils sont mineurs, ils sont hébergés dans un bâtiment spécial qui leur est dédié à FEDASIL, où ils partagent une chambre avec quatre ou cinq autres mineurs. « C’est un petit peu comme à l’internat », m’explique un coordinateur DASPA. Mais le jour de leurs 18 ans, ils doivent faire leurs bagages et passent du côté adulte. C’est déjà un traumatisme, car ils n’ont aucun sas de décompression pour encaisser cette transition brutale, qui survient juste au moment où ils retrouvent un semblant de repères. A partir de ce moment, tant qu’ils n’ont pas encore leur reconnaissance de statut de réfugié, ils se retrouvent dans des dortoirs avec des gens de tous âges, où toute intimité est rendue impossible, jusqu’aux douches collectives.

Une fois qu’ils obtiennent la reconnaissance de leur statut de réfugié, les autorités leur administre une commune. Ils sont alors invités à s’inscrire au CPAS afin de toucher un revenu d’intégration. Il leur est ensuite demandé de trouver un logement, signer un bail, prendre contact pour gérer leur eau et leur électricité, etc. alors qu’ils arrivent d’un pays étranger où ils n’ont jamais eu à faire tout cela.

Dans certaines communes, il y a cependant des ILA (Initiatives Locales d’Accueil). Ce sont des maisons possédées par la commune qui sont mises à disposition de quatre ou cinq jeunes, reproduisant le schéma d’internat (certains parlent même de « kot » !) auquel ils s’étaient habitués à FEDASIL. Il y a même un assistant social qui les aide dans leurs démarches. Evidemment, cela dépend des communes … Mais « c’est une bonne transition », me confie un coordinateur DASPA, avant d’ajouter : « Moi, si à 18 ans, j’avais dû me retrouver dans un pays à l’étranger, seul, et devoir trouver un logement et mettre en place tous ces trucs-là, j’aurais vraiment été paumé ! D’autant plus qu’il faut continuer à l’école à côté … ».

Difficile alors de ne pas abonder en son sens et de relativiser les difficultés auxquelles nous, étudiants mieux lotis, sommes confrontés.

Michaël Boumal

Le DASPA, oui, mais pas n’importe comment !

Au fil des interviews des professeurs enseignant à des primo-arrivants, des coordinateurs DASPA (Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des Primo-Arrivants) et des directeurs d’écoles comprenant des classes DASPA, certains aspects problématiques de ce dispositif revenaient sans cesse dans les discussions. Cet article sera donc consacré à évoquer les manquements majeurs du dispositif selon le corps professoral.

Le problème le plus récurrent est la durée de séjour des étudiants dans une classe DASPA, elle va de 12 à maximum 18 mois pour apprendre et maîtriser le français. La plupart de ces élèves n’ont aucune notion de français, la durée d’apprentissage est donc beaucoup trop courte selon la plupart des enseignants. Certains établissement, comme Cardinal Mercier, doivent donc en ressortir à organiser du coaching pour les ex-élèves DASPA pour pouvoir leur faire atteindre le niveau nécessaire à la bonne continuation de leur éducation.

Un autre problème souvent évoqué est le manque de formation spécifique à l’enseignement des primo-arrivants. Bien que les enseignants donnant cours en classes DASPA reçoivent une formation, notamment le FLE pour les professeurs de français, ils ne reçoivent pas de formation pour faire face aux problèmes plus particuliers de ces enfants. Ce sont parfois des enfants en provenance de zone de guerre, le contact est parfois difficile et une formation sera un plus pour mieux leur enseigner.

Comme expliqué précédemment, certains de ces enfants arrivent directement de zones en plein conflits armés, changer de pays est déjà difficile, ils doivent parfois recommencent l’école après plusieurs mois voire plusieurs années d’absences et ce dans une langue étrangère ! Pour beaucoup, le PMS n’est pas suffisant, il manquerait donc au DASPA l’instauration d’une cellule psychologique dans chaque école, dédiée aux primo-arrivants, pour palier à ces traumatismes au plus vite et faciliter leurs scolarisations.

Il n’y a pas assez d’accompagnement pour les enseignants du DASPA, leur charge de travail est bien plus grande compte tenu de la situation particulière de leurs élèves. Les enfants viennent souvent avec des documents de leurs parents que les profs doivent remplir, ou encore, comme l’explique une professeure à Cardinal Mercier, ils vont souvent accompagner leurs élèves chez le médecin ou encore le psychologue. Les professeurs rencontrent aussi des difficulté à s’entretenir avec les parents qui parlent peu le français. Comme l’explique un coordinateur DASPA à l’institut de la providence « il existait avant un service de traducteurs du CIRE pour venir aider l’école mais maintenant qu’il n’y a plus d’argent ce n’est plus le cas ». Les professeurs sont donc obligés d’avoir recours à du volontariat pour parler aux parents de leurs élèves. Malgré l’aide de certaines associations, les professeurs sont débordés de travail.

Une autre difficulté est le budget alloué aux écoles, les élèves du DASPA nécessite du matériel spécialisé et donc de nouveaux investissements, mais les pouvoirs publics sont très lents à allouer l’argent aux écoles. Les écoles en arrivent donc à recourir à des fondations, comme la fondation Roi Baudouin, pour recevoir des fonds.

Il existe évidement d’autres problèmes liés au DASPA mais ceux-ci ont été les plus abordés dans les discutions qu’ont eu mes collègues et moi même. Bien que le système du DASPA présentent de nombreux avantages à l’intégration des enfants primo-arrivants, il reste néanmoins quelques problèmes à pallier pour parfaire l’accueil de ceux-ci.

Hadrien Velazquez

Le déracinement de l’enfant réfugié

Lors des différents entretiens que mon collègue, Grégoire DROMELET, et moi- même avons pu réaliser, le mot m’ayant le plus marqué est : déracinement.

Extrait d’entretien :

« Q : D’une manière un peu plus large, quelles sont les difficultés que rencontrent les enfants primo-arrivants lorsqu’ils arrivent dans le cadre scolaire ?

D : D’abord, je dirais que la première chose c’est le DÉRACINEMENT.  Surtout pour ceux qui arrivent maintenant : les syriens, les égyptiens, (…  ) Ces enfants là, ce sont des primo-arrivants qui ont un vécu, et donc, ce déracinement, ce qu’ils ont vécu par exemple à ALEP (Syrie) c’est très très difficile. On a tout de même des enfants qui sont bloqués, qui ont d’autres difficultés que la langue. »

Actuellement et bien souvent, ces enfants viennent de zones « en guerre », ils quittent leur pays, leur ville, leur maison, leurs amis et même parfois leur famille pour un endroit qu’ils ne connaissent pas. Certains de ces enfants ont laissé papa et/ou maman là-bas, ils arrivent en Belgique, et ensuite vont à l’école où ils sont placés dans une classe sans forcement comprendre ce qu’ils font là.

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Photo prise le 21/03/2016 : Affiche sur la porte d’entrée de la Classe DASPA

Lorsque mon collège et moi avons abordé la question des matières enseignées en classe DASPA, certains professeurs/directeurs nous ont expliqué qu’avant toute chose, parfois avant même de commencer à apprendre quelques mots de français à ces enfants, il fallait leur expliquer ce que c’est l’école. Certains enfants n’ont jamais été scolarisé, ne comprennent pas pourquoi ils doivent aller à l’école, pourquoi ils doivent rester assis toute la journée derrière un banc, pourquoi ils doivent apprendre, …

De plus, bien souvent l’enfant déraciné, pour qui c’est une première, doit quitter l’endroit qui l’accueille, son (ses) parent(s) – frère(s)/ soeur(s), pour se rendre en classe. Une enseignante de classe DASPA en primaire nous a expliqué que parfois, au début, papa/ maman est autorisé à rester en classe avec l’enfant, ensuite l’enfant reste seul mais juste la matinée et par après il reste également l’après-midi. Tout cela pour permettre à l’enfant de  s’adapter dans ce nouveau milieu, lui montrer qu’il ne va rien lui arriver, lui donner confiance en lui montrant que papa/ maman est là et qu’il ne risque absolument rien. DONNER confiance à l’enfant, lui montrer qu’il ne risque rien dans ce nouvel environnement scolaire, lui permettre de s’enraciner à nouveau !

Mathieu BOUDART

Péripéties d’une enquêtrice d’un jour

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Ne sachant pas exactement où se trouvait la première école dans laquelle je devais me rendre et connaissant ma fâcheuse tendance à ne jamais être à l’heure (Big up à mon groupe, with love), je décide de m’y rendre bien plus tôt que prévu. 9h20, j’arrive avec 10 minutes d’avance à l’arrêt de tram situé à 100 mètres de l’école. Par chance, car, n’ayant aucun sens de l’orientation, je croise un passant qui, bien gentiment, me mène à destination. Lors de mon entrée dans l’école, je suis accueillie par une très charmante femme d’entretien qui me dirige vers la salle des professeurs. Voyant les minutes défiler, j’en viens à me demander si je ne me suis pas trompée de jour, ou pire, si je ne me suis pas trompée d’école. Quelques minutes plus tard, l’enseignante en DASPA arrive. Au fur et à mesure de mon entretien, je me rends compte que tout ce que j’ai pu lire dans la littérature sur le sujet ne se concrétise pas sur le terrain. Ces classes de primo-arrivants (telles qu’elles sont nommées par la plupart des professeurs que j’ai pu interroger) permettent bel et bien une intégration plus rapide des élèves dans leur environnement social et scolaire. Ils peuvent s’épanouir davantage, grâce à l’apprentissage du français. Fière du nouveau rôle de journaliste et chercheure que j’ai endossé durant une heure, je remercie mon interlocutrice et me dirige vers la deuxième école de la journée.

11 h 50, j’entre dans cet établissement de Saint-Josse-Ten-Noode et un badge de visiteur m’est remis à l’entrée. Une signature et une photocopie de ma carte d’identité plus tard, je me dirige vers la classe de ma seconde interlocutrice. Dans les couloirs, je croise le directeur de l’école qui, quelques jours plus tôt, me lança au téléphone un « Baslama, vous voyez, moi aussi je parle arabe ». Amusée et le sourire en coin, je le suis vers la classe de l’enseignante. Nous nous serrons la main et nous nous installons dans le fond de la classe, où se trouve une grande table et plusieurs chaises. Très joviale, elle répond à mes questions avec beaucoup d’entrain. A l’écoute de ses réponses, je me rends compte qu’elle apprécie énormément son travail et que ce rôle lui tient à cœur. Bien qu’elle ait été professeure de différentes classes d’enseignement général auparavant, elle a décidé, il y a quelques années, de se consacrer exclusivement à l’enseignement spécialisé des primo-arrivants. Mes impressions concernant l’intégration des élèves dans leur environnement se confirment. Selon ces professeurs, les DASPA ne sont que du positif, bien que la durée d’enseignement devrait être revue au cas par cas, selon leurs dires.

Entre cet entretien et le prochain – oui ce fut une longue, très longue, journée –, il m’est proposé d’assister à une heure de cours donnée au groupe « analphabète ». Je m’installe donc dans le fond de la classe, histoire de ne pas perturber le cours. L’enseignante est appelée dans le couloir et les élèves commencent à me parler, intrigués par ma présence. Ils me demandent de quelle origine je suis, je leur réponds que je suis algérienne. Une petite discussion en arabe se met en place et l’un d’eux me fait croire qu’il est de Sétif, en Algérie. Surprise, je lui demande comment il est arrivé en Belgique. Il me révèle ensuite qu’il est syrien et qu’il a rencontré des Algériens sur sa route vers l’Europe. Leçon 1 : Ou comment se faire berner par un enfant de 12 ans en 30 secondes. Le cours commence et plusieurs élèves se retournent, à tour de rôle, pour me sourire. Leur joie de vivre, malgré ce qu’ils ont bien pu voir ou vivre, me fait réaliser à quel point, en Europe, on a tendance à se soucier d’un rien, moi la première. Le cours se termine et je remercie l’enseignante qui m’a si gentiment accueilli. Les élèves me saluent tous d’un « au revoir, Madame » à tour de rôle.

La journée se termine par deux autres entretiens, tous deux aussi enrichissants que les premiers.

Bref, ce fut une longue MAIS très chouette journée.

#EnquêteursDeChoc

#OnYestArrivé

Sabrina Boukarfa.


 

Système idéal ou idéalisme du système ?

Gai. C’est le mot qui pourrait résumer l’impression que les professeurs ont des classes passerelles où les primo-arrivants sont placés en venant en Belgique (appelées DASPA depuis les années 2000).

Gai, parce que les professeurs que j’ai pu rencontrer croient vraiment en ce projet.

Gai, parce que la motivation des jeunes immigrés, leur soif d’apprendre que j’ai pu observer en classe permet aussi d’y croire.

Une élève primo-arrivante, St-Josse (Bruxelles)
Une élève primo-arrivante, St-Josse (Bruxelles)

Bien sûr tout n’est pas simple. Les professeurs décrivent un quotidien fait de lenteur, de répétitions et d’incompréhensions. Ils doivent faire face à des familles et des enfants en manque de repères. Il faut se battre chaque année pour obtenir les crédits d’une classe DASPA.

Mais ils n’échangeraient pas leurs classes avec d’autres.

Lorsque l’on s’intéresse à leurs sentiments, cette passion interpelle. Mais quand ils m’ont raconté l’année typique en DASPA, j’ai compris.

D’enfants cassés, brisés qui ont parcouru l’Europe, fui la guerre ou des situations économiques désastreuses, ils font des élèves intégrés, alphabétisés, des nouveaux Belges.

Septembre commence difficilement, par gestes, mimes et images. Ils ne se comprennent pas, ne peuvent pas parler ensemble, ni même jouer. C’est le silence dans la classe.

Et puis, la transformation commence.

Petit à petit, ils font leurs premiers pas dans notre société. Ils appréhendent ce nouveau système, cette nouvelle langue, cette nouvelle culture et ce nouveau mode de vie. Les enseignants voient alors apparaître ce que les autres ont si facilement : une classe avec ses bruits, ses bavardages, ses disputes et ses réussites.

Noël arrive et les nouveaux élèves se débrouillent maintenant.

Le reste de l’année leur permettra de finir une remise à niveau impressionnante de rapidité.

Tout semble fonctionner à merveille.

Alors, évidemment, il y a des échecs. Il y a des enfants dont la déscolarisation, le retard ou l’âge trop avancé bloquent dans l’apprentissage. Mais les professeurs refusent de condamner le système entier. Et ils me donnent des exemples : la petite du 2e rang qui ne savait pas lire il y a quatre mois et qui est devenue la meilleure de la classe, le petit au fond qui ne savait pas rester assis il y a trois semaines et qui copie religieusement sa leçon sous mes yeux, la grande qu’on a envoyée en mars dans une autre classe parce qu’elle allait trop vite… Ces enfants, leurs motivations et leur évolution, permettent aux professeurs que j’ai rencontrées de croire que le système des DASPA est une réussite et d’y croire d’année en année.

Un autre système fonctionnerait-il ? Peut-être, sans doute même. Finalement, il me semble que la motivation couplée des professeurs et des élèves est la clé de l’apprentissage et de l’intégration réussie. Si les enfants primo-arrivants ont cette volonté singulière, c’est peut-être qu’ils ont déjà trop perdu durant leurs expériences passées. Si les professeurs ont cette foi remarquable c’est peut-être qu’ils côtoient des situations qui ne laissent pas de place au doute et au statisme.

Le système n’est pas idéal, comme tout système. On apprécierait plus de moyens dédiés aux soutiens et remédiations pour les anciens primo-arrivants. On envisagerait avec joie une hausse d’effectifs pour organiser des classes à plusieurs professeurs. On verrait l’intérêt de travailler avec des spécialistes de didactique, de phonétique ou de logopédie.

Comme tout système réel, le concret se distingue du modèle. Et si le système fonctionne actuellement du point de vue des professeurs, il semble revenir aux politiques de permettre son amélioration, pour que l’Article 24 de la Constitution belge qui énonce le Droit à l’Éducation puisse prendre son sens le plus développé.

Sophie Aumailley