Des histoires à entendre

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Les entretiens que j’ai effectués m’ont été d’une grande utilité et j’y ai porté un intérêt qui va bien au delà du simple intérêt académique. Chaque histoire nous ouvre les yeux sur quelque chose, nous apprend et vaut la peine d’être entendue. Lors de chacune de mes cinq interviews, j’avais en face de moi une personne venant d’un horizon différent de son voisin mais aspirant généralement au même avenir et à la même sécurité.

Ces personnes avaient beau avoir des blessures et des difficultés différentes, un point  les rassemblait : quitter son pays n’est jamais une partie de plaisir et je pouvais le lire dans le voile de tristesse qui apparaissait sur leur visage quand j’abordais le sujet du départ. Certains d’entre eux n’ont même pas le droit d’y retourner, en l’occurrence ce jeune Albanais de 24 ans, que la situation politique de son Etat a obligé à partir et à parcourir, en un an, plusieurs pays pour tenter de s’y installer, ne serait-ce que pour un moment. Un autre élément qui m’a marquée, c’est que même si ces migrants acceptent de parler pendant une quarantaine de minutes, ils ne disent pas toujours tout et parfois refusent de s’engager dans une discussion portant sur des thèmes sensibles, comme le terrorisme et le 22 mars à Bruxelles par exemple. Je pense qu’ils ne se sentent pas assez à l’aise pour dévoiler certains détails de leur vie, peut-être par peur que cela se retourne contre eux. Mystère.

Par ailleurs, j’ai été touchée tant par le père de famille nigérien dont le seul but est d’assurer un bon avenir sûr pour ses enfants que par le jeune Marocain, en Belgique depuis une dizaine d’années et qui s’est perdu entre les refus qu’il a reçus et les échecs académiques qu’il n’a pas réussi à gérer. Quant à la dernière famille que j’ai interviewée, je n’ai pas dû la chercher. Elle venait d’arriver à la Maison des migrants et c’est avec plaisir que tous m’ont raconté leur histoire, en Syrien. C’est la seule famille d’origine syrienne et/ irakienne que j’ai pu aborder.

Il faut noter que les réfugiés de cette origine ne sont pas faciles à contacter, recevant de plus généralement un avis positif quant à leur demande de régularisation. Et de nouveau, pendant une quarantaine de minutes, j’ai eu droit à leur parcours, un parcours très rude. De la Syrie jusqu’en Belgique, ils ont dû traverser de nombreux pays, sans aucune garantie d’accueil ni même de pouvoir aller plus loin. Pour leur part, l’accueil de l’Europe et de la Belgique les a satisfaits. Ils se sentent les bienvenus et au moment où je leur parlais, ils ne demandaient que deux petites choses : pouvoir se laver et dormir. Pour le reste, ils espèrent rester le temps que la guerre prenne fin, pour ensuite regagner leurs terres qu’ils semblent tant aimer.

Cette expérience m’a davantage ouvert les yeux sur le dur côté de la crise migratoire, avec laquelle viennent des difficultés, des obstacles et surtout un sentiment de confusion et de méfiance. Mais elle m’a également attiré l’attention sur un côté que je négligeais et qui semble être méconnu : là où il y a des gens qui ont besoin d’aide, il y aura toujours, ne serait-ce qu’une personne, pour éclairer leurs journées, leur offrir un sourire, un toit ou même parfois une simple oreille attentive. Il faut savoir aller de l’avant.

Samar Skaiki

« L’élite, c’était nous quoi »

Cet été, la vague migratoire massive qui a déferlé à Bruxelles – « massive », c’est selon nous dira-t-on – a suscité un vaste mouvement citoyen. Solidarité, soutien, énergie. Les bénévoles se sont précipités au Parc Maximilien pour dire «  oui » aux réfugiés dont le périple jusqu’ici, parsemé de « non » aux abords de nombreuses frontières européennes, semblait enfin s’achever sur une note positive.

Mouvement citoyen disions-nous, porté par la oh combien médiatisée « Plateforme citoyenne ». Elle a été à l’initiative du rassemblement et du déploiement de milliers de bénévoles au sein du parc bruxellois où convergeaient les réfugiés en quête d’abri et de nourriture. Cette plateforme générée par la volonté de jeunes étudiants, citoyens, souhaitant accueillir décemment le flux des déplacés, est, de l’avis de tous, une formidable manifestation de solidarité. Durant un mois, voire un peu plus, les réfugiés sont passés par « le camp ». Piloté par la « Plateforme citoyenne », celui-ci regroupait en son sein d’autres associations bénévoles et institutionnelles. Parmi celles-ci, un collectif de sans-papiers, dont au final le rôle crucial est quasiment passé sous silence.

Des migrants de l’ombre, en opposition aux réfugiés qui malgré eux, et bien trop souvent sous des aspects peu glorieux, ont été sous les feux des projecteurs médiatiques et politiques. Ces personnes ont répondu à l’attente d’autres migrants, qui, comme eux, hier, étaient dans le besoin. Ils ont agi comme des citoyens, au même titre que les nombreux bénévoles qui ont afflué au parc. Ils ont pris d’assaut une citoyenneté qui leur est refusée depuis plusieurs années. Sous la bannière du Collectactif, ils ont cuisiné des journées entières pour les centaines de précarisés qui se sont réfugiés au camp.

Les deux pionniers, au départ solidaires, désireux d’apporter aux réfugiés l’aide que leur déniait un État démissionnaire, acculés par la pression politique, ont achevé leur prodigieuse aventure de solidarité sur une discorde. La fermeture du parc qui sonne la fin de l’entreprise commune, n’étant pas voulue par les sans-papiers, mais souhaitée par la « Plateforme citoyenne », semble être l’apogée d’une série de divergences, surtout politiques. Les autres acteurs présents sur le Parc, affirment qu’ils comprennent les raisons des deux parties. «C’était plus possible, ça devenait ingérable» assure Y., de la Plateforme.

Les sans-papiers, estiment qu’ils ont trop souvent été écartés des négociations avec les instances politiques. Ils ajoutent également que trop de décisions étaient prises de façon unilatérale par les membres de la Plateforme qui se sont arrogés le pouvoir, sans avoir été élus. «  L’élite c’était nous quoi » raconte F. de la Plateforme, un propos qui reflète la façon dont se percevait la Plateforme. Cet aspect non démocratique de s’octroyer les prises de décision au sein du camp dérangeait. De plus, les sans-papiers, apparemment trop peu consultés, estiment que leur expérience d’anciens réfugiés aurait pu être bénéfique lors des négociations politiques. A tout cela la Plateforme rétorque qu’elle était un mouvement citoyen, qui donnait la possibilité à tous, lors des assemblées générales qu’elle tenait quotidiennement, de s’exprimer sur la façon de gérer le camp, mais aussi sur la question des réfugiés.

Il semblerait qu’une lutte de pouvoir au sein du camp ait relégué au second plan les revendications politiques à l’origine des négociations avec la classe politique. La coordination interne qui aurait du naître entre les différentes associations n’a probablement pas pu voir le jour. Ces conflits, auraient pu être évités annoncent les protagonistes, s’ils avaient établi une charte, discuté au préalable des objectifs communs qu’ils poursuivraient lors des négociations politiques, aussi bien sur la question des réfugiés que sur les revendications des sans-papiers qui percevaient le parc comme une tribune médiatique, un moyen de propulser leur lutte au devant de la scène, car comme souvent entendu « les réfugiés d’aujourd’hui sont les sans-papiers de demain ».

Les leçons tirées de ce que nous avons identifié comme une mésentente et une désorganisation due au manque de collaboration entre les différents pôles sur le parc, serviront peut-être, comme l’espèrent les différents instigateurs de l’ancien camp si un tel événement survient à nouveau. Si c’était à refaire, ils le referaient. En mieux.

I MDM 

Trouver mes entretiens… Pas si facile que cela

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Photo prise par Samar Skaiki

Pour notre travail sur la crise migratoire, mon groupe et moi avons immédiatement choisi de nous intéresser à l’histoire et donc la trajectoire de ceux qui ont quitté leur pays pour la Belgique, pour différentes raisons, sans obtenir l’autorisation d’y rester. Après un premier refus, la plupart d’entre eux tentent une deuxième demande de régularisation tandis que d’autres présentent un recours à leur refus sans connaitre la durée qu’une réponse va leur coûter.

Pour notre enquête, ma partie de travail consistait surtout à effectuer trois entretiens individuels. Cela paraissait simple : trouver trois refugiés qui ont connu au moins un refus à leur demande d’asile et qui accepteraient de partager leur histoire lors d’une interview construite autour de différents thèmes regroupant chacun plusieurs questions.

Mais en réalité, ce travail s’est avéré être plus compliqué qu’il n’en avait l’air. En effet, approcher les migrants dans les centres fermés n’était pas autorisé ou nécessitait une inscription minutieuse sans garantie de retour positif. Que ce soit le centre d’accueil de Florennes, du Petit Château ou encore de Jodoigne, que j’ai contactés maintes fois, tous ont réagi de la même manière. Et même lorsqu’il était possible d’aborder les migrants, en l’occurrence à la Maison des Migrants, j’ai été confronté à plusieurs refus ; beaucoup ne veulent pas parler ni être enregistré et ont surtout peur de faire confiance.

Ceci est l’uns des détails à m’avoir marquée lors de ma recherche. Ces migrants semblent avoir envie de partager leur histoire, d’être écoutés en espérant recevoir une aide ou une information utile, ou tout simplement ont envie de se vider. Mais la méfiance pousse la plupart d’entre eux au silence, surtout ceux qui ne sont pas en Belgique depuis longtemps et qui ne se sentent pas familiers ni en confiance avec leur entourage.

Heureusement, après de nombreuses visites à la Maison des Migrants et une certaine familiarisation avec les résidents, j’ai finalement eu la chance d’effectuer cinq entretiens dont chacun porte sur une histoire particulière et une situation différente. Lors de ma première venue au centre, avec certains membres de mon groupe, l’un des responsables nous a emmenés pour une visite guidée de la maison. Cette visite m’a également touchée : j’y ai vu bien plus qu’un endroit où les résidents peuvent dormir et manger. En effet, il y a des pièces destinées à la coiffure, aux dons des vêtements, aux jeux pour les enfants, au théâtre et bien plus encore. Les responsables, aidés par les résidents, tentent de faire de ce centre un toit chaleureux et convivial. De plus, je suis retournée plusieurs fois afin de me familiariser avec l’endroit et les résidents, notamment lors des tables d’hôte, organisées tous les jeudis et ouvertes au grand public. Connaître l’endroit m’a permis de me rapprocher du personnel et des résidents,  pouvoir les observer et essayer de deviner d’où ils peuvent bien venir et quelle est leur histoire.

Samar Skaiki

DASPA: nécessaire ou pas?

Bien qu’elles s’occupent toutes les deux des enfants primo-arrivants, Madame C. et Madame P. ont des avis bien différents quant à l’intégration de ces derniers. Tandis que la dernière trouve cette étape primordiale, la première pense au contraire que les primo-arrivants pourraient s’en passer.

Madame C. trouve que les classes Daspa sont certainement très utiles pour ces enfants qui atterrissent dans un espace qui ne leur est pas familier. Cependant, elle affirme avoir déjà suivi plusieurs enfants primo-arrivants qui ont été directement placés dans le système scolaire classique et qui ont très bien réussi leur intégration. Son principal argument est de dire qu’il s’agit d’enfants et qu’à cet âge, on ne se pose pas beaucoup de questions. Par conséquent, l’intégration scolaire et sociale se fait automatiquement.

Madame P. semble être très impliquée dans le projet des Daspa. D’origine étrangère, elle a toujours eu des difficultés pour réussir le français durant son cursus scolaire. De plus, ses professeurs ne lui ont jamais accordé le temps nécessaire pour comprendre ses difficultés et l’aider à les dépasser. Par conséquent, Madame P. affirme n’avoir jamais réussi à trouver sa place à l’école. Ce système qui obligeait tous les élèves à avancer au même rythme ne lui convenait pas, et elle était loin d’être la seule! Ayant pendant longtemps souffert de cette intégration directement dans le système scolaire, Madame P. était donc convaincue que cette méthode n’aidait en rien les primo-arrivants. Tous ces facteurs réunis vont la pousser à suivre une formation d’institutrice. Son objectif ultime est de pouvoir suivre et aider les enfants primo-arrivants à apprendre le français pour réussir par la suite leur intégration scolaire et sociale. L’une de ses premières convictions est que chaque enfant doit disposer du temps et de l’espace nécessaire afin d’évoluer à son rythme. Pour cela, elle décide de mettre en place sa propre méthode d’enseignement. En quittant leurs pays, leurs cultures, leurs familles, ces enfants entrent dans une phase de deuil selon Madame P. Ce deuil n’est pas facile et chaque enfant réagit différemment face à ce dernier. Il est donc nécessaire d’accompagner l’enfant durant cette période. La classe Daspa diffère des autres car il s’agit d’un lieu d’accueil pour ces enfants. C’est un endroit ou chaque enfant doit réussir à se construire une place ! Une place tout d’abord au niveau de la classe, puis dans la cour de l’école, dans le quartier ensuite, et dans la société plus tard. Il est alors impossible pour Madame P. que l’enfant s’intègre sans passer par la Daspa.

Selon Madame P., il est également nécessaire de mettre en place un système éducatif adapté à ces enfants primo-arrivants. Venant d’horizons différents, la meilleure manière de commencer leur apprentissage est de les pousser à pratiquer la langue oralement. Pour cela, elle s’appuie sur plusieurs supports visuels tel que les dessins, peintures, images, etc. En procédant ainsi, les enfants gagnent petit à petit confiance en eux, et finissent par trouver une langue commune pour communiquer. Il était intéressant durant la journée d’observation que j’ai passée avec elle de voir comment Madame P. se comportait avec les primo-arrivants. En effet, elle double d’effort afin de pouvoir accorder à chaque enfant le temps et l’attention suffisante pour s’exprimer et se sentir à l’aide dans la classe. Elle n’accepte pas le fait qu’un enfant soit isolé des autres ou qu’un autre occupe une place plus importante dans la classe comparé à ses camarades. Bien que ce système ne permette pas l’intégration de tous ces enfants primo-arrivants, Madame P. reste convaincue qu’il reste la meilleure manière d’aider et de faire avancer ces enfants dans ce milieu qui leur est étranger.

Sassry Ould Mahmoud

L’humanité au rendez-vous

Une photo d’un enfant mort sur une plage, le déclenchement symbolique de la crise migratoire. En naît une polémique médiatique, et le réfugié, quant à lui, devient un enjeu politique. Il existe de nombreux discours, tant négatifs que positifs, sur ce « problème européen récent ». Si tout le monde doit aujourd’hui avoir une opinion sur ce sujet délicat, les travailleurs des centres d’accueil de la Croix-Rouge accompagnent depuis plus de 25 ans les personnes demandeuses d’asile le temps de leur demande en vue d’obtention du statut de réfugié.

Les centres d’accueil, un passage obligatoire pour les personnes qui entrent sur le territoire belge et qui ont introduit une demande d’asile. Après être passée au dispatching à l’Office des étrangers (responsable de la répartition des personnes sur les différents centres), on désigne à la personne le centre d’accueil qu’elle va intégrer dans un premier moment.

Tout d’abord, travailler dans un centre d’accueil veut dire travailler dans le milieu de vie des personnes. Bien qu’il ne sont que de passage, l’aboutissement de la procédure est un moment-clé dans leur vie. Obtenir le statut de réfugié, la mobilisation principale des personnes, source de rêves, d’incertitudes et d’angoisses.

Parmi les principes fondamentaux de la Croix-Rouge et face à la situation actuelle, la neutralité et l’indépendance sont deux objectifs que très difficilement atteignables. Si la neutralité est cependant assurée à l’intérieur des centres et dans les relations interpersonnelles, assurer l’indépendance en tant que département subsidié entièrement, reste plus difficile. Pourtant si vous entrez, même pour la première fois, dans un centre de la Croix-Rouge, vous le ressentez tout de suite.

Dans un tel centre, on parle rencontre, équité, humanité, chaleur humaine, rayonnement. Les travailleurs des centres personnifient ce sujet d’actualité, et le demandeur d’asile redevient ce qu’il est en premier lieu, un être humain. Tous les acteurs de terrain qu’on a pu rencontrer et interroger nous ont transmis cette valeur, qui est l’humanité et qui permet de voir au-delà des problèmes d’actualité. Il est tout à fait possible de parler de la crise migratoire en termes économiques et sécuritaires, possible mais pas obligatoire. Bien que cette crise se déploie à un niveau global, il ne faut pas oublier qu’elle touche aussi des êtres humains individuellement.

Pouvant témoigner d’une expérience de stage en tant qu’assistante sociale au sein du centre d’accueil d’Uccle, je me suis retrouvée sur le terrain moi-même. La réalité que j’ai vécue ces quelques mois a d’abord été une expérience très enrichissante d’un point de vue humain et émotionnel, mais m’a aussi confrontée à l’impuissance entre autres des travailleurs sociaux qui accompagnent le public des demandeurs d’asile. Il est évident que les centres ne peuvent qu’opérer en respectant le cadre donné et que ceci peut parfois être source de frustration. Au lieu de se plier à cette frustration, j’ai pu observer que les personnes opérant sur le terrain la transforment en énergie positive qu’elle dédient aux résidents, des personnes pouvant eux-même donner tellement en retour.

Je tiens à remercier toutes les personnes qu’on a rencontrées dans le cadre de cette enquête et plus précisément les travailleurs et les résidents que j’ai pu rencontrer dans le cadre de mon stage. Tous ces acteurs nous ont accueillies de manière très ouverte et ils avaient tellement de choses à raconter. Votre engagement fait chaud au cœur et peut être source d’inspiration.

Lena Hatto

Un besoin de coordination

  S’intéresser au parcours d’intégration a fait évoluer la signification que je donnais au sens du mot intégration. Il signifiait incorporer quelque chose à un ensemble, assimiler un élément à l’intérieur d’un ensemble. On a beaucoup employé ce mot ces derniers mois, parlant d’échec du processus d’intégration à l’œuvre dans nos sociétés pour expliquer le cas de jeunes radicalisés. Suite aux entretiens avec divers acteurs de l’intégration, une autre définition s’est esquissée. L’intégration pour laquelle ces asbl œuvrent a pour objectif l’égalité des droits entre migrants et nationaux et l’émancipation de ces migrants L’intégration se définit comme donner aux immigrants des outils nécessaires (la connaissance de la langue, du droit belge,…) qui vont leur permettre d’avoir accès aux institutions de l’Etat, aux biens public sur un pieds d’égalité avec les nationaux. C’est permettre leur indépendance, leur fournir les compétences nécessaires pour s’émanciper dans la société d’accueil.

   Le parcours d’intégration est donc composée de quatre volets, outre un bilan individuel, on y retrouve des cours de langue française, des ateliers citoyens et un service d’insertion socio-professionnelle. À Bruxelles, le secteur associatif est actif dans le domaine de l’intégration depuis de nombreuses années. Avant l’ouverture des BAPA (bureaux d’accueil pour les primo-arrivants), des associations et initiatives émanant des communes proposaient déjà des cours de français, des cours d’alphabétisation et des cours d’initiation à la vie citoyenne ou au droit belge. Des services d’équivalence de diplôme et d’aide à l’emploi précèdent également la création des BAPA. L’offre était donc déjà existante, dès lor: qu’est-ce que ce parcours officiel apporte? Bien entendu, un parcours officiel offre des services et formations standardisés. Un changement important aussi est la reconnaissance des cours suivis par la délivrance d’une attestation, qui sera prise en compte lors d’une procédure de naturalisation. Car auparavant, seul le BON délivrait des attestation officielle. En plus de ces BAPA, la COCOF a agréé et subsidie six opérateurs officiels qui dispenseront des ateliers citoyens pouvant donner lieu à une attestation officielle.

Avec l’ouverture d’un parcours officiel, on peut se demander comment va se réagencer le paysage bruxellois de l’intégration. Et si les mots restructuration et coordination sont récurrents dans les propos de certains collaborateurs ou assistants sociaux, ils ne sont pas encore d’application. L’importance d’une coordination, au moins entre les six opérateurs officiels, est reconnue mais difficile à mettre en œuvre. Le problème est que tout pousse en même temps. Les communes redirigent déjà des demandeurs d’une procédure de naturalisation vers ces cours de citoyenneté pour obtenir une attestation, quand les asbl ne sont pas encore prêtes à les accueillir. Une coordination est d’autant plus importante qu’elle permettra de répondre à la diversité du secteur. Car le public en quête d’intégration est loin d’être homogène. Ainsi, les BAPA s’intéressent exclusivement à un public de primo-arrivants donc à ceux en possession d’un titre de séjour légal de plus de trois mois mais présents sur le territoire belge depuis moins de trois ans. Des associations comme Objectif asbl ou Solidarité Savoir considèrent que ce n’est pas parce qu’on réside depuis plus de trois ans sur le territoire qu’on est intégré à la société d’accueil. Ils s’adressent donc à un public beaucoup plus large. Une coordination au sujet des langues dans laquelle sont dispensés les cours d’initiation à la citoyenneté peut être bénéfique pour s’assurer que chacun dispose d’une opportunité de s’intégrer. Cette volonté de coordination pour présenter une offre cohérente aux personnes souhaitant s’intégrer, je l’ai observée et j’espère bien qu’elle aboutira.

 Yasmine Dauffenbach

« Ma mère est malade, je dois rentrer »

Plus de 40%. Voilà le taux d’Irakiens parmi les candidats au retour volontaire en 2016. Fedasil, l’Organisation Internationale de la Migration (OIM), Caritas… Tous sont d’accords pour dire que cette communauté est la plus importante à vouloir rentrer et fuir l’Europe depuis le début de l’année 2016. Leur raison ? « Ma mère est malade, je dois rentrer ». La plupart évoquent ainsi un parent malade, une mère souffrante, et refusent d’attendre plus longtemps car livrés à eux-mêmes. On ne peut s’empêcher également de penser aux délais des procédures, de plus en plus longs depuis quelques années (passant de plusieurs mois à plusieurs années), ainsi qu’à un accueil européen des plus mitigé. Pour rappel, cette vague de migration, jamais vue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a fait des millions de déplacés et a ainsi montré l’abandon de tout droit fondamental aux dépens de la barbarie la plus abjecte.

C’est pourtant chez nous qu’ils ont décidé de venir, dans cette Europe florissante et pleine de promesses à leurs yeux, loin des massacres et de la misère qui règnent dans leur pays depuis des années maintenant. C’est cette volonté de survie qui les a poussé à braver ce périple vers l’Europe. Pourtant, nombreux sont ceux qui auraient préféré rester chez eux et continuer à vivre leur vie proche de leurs familles et amis. On ne peut donc s’empêcher d’imaginer la déception de certains une fois ici, et de penser que la réponse apportée à leurs problèmes est à revoir de toute urgence. Qui aurait pensé que les candidats au retour volontaire soient si nombreux ? L’accord UE-Turquie montre bien que l’Europe tente de s’acheter une bonne conscience, quelque soit le prix, au détriment de millions de migrants ayant pour seul « défaut » de vouloir vivre. J’en veux aussi pour preuve la désormais célèbre lettre de M. Théo Francken, Secrétaire d’État de l’Asile et de la Migration en Belgique, ordonnant aux migrants de ne pas venir car la Belgique n’aurait soit disant plus aucune ressource pour les aider.

Comment ne pas s’offusquer d’un tel traitement alors que c’est justement directement vers nous que ces personnes se sont tournées afin de chercher de l’aide ? Il n’y a pas si longtemps de ça c’était nous qui tentions de fuir la guerre qui faisait rage… Il semble que les dirigeants européens aient la mémoire plus courte qu’ailleurs.

Moïse Medallel

Une après-midi en classe

C’est après plusieurs péripéties que notre choix s’est finalement arrêté sur les DASPA. Ces classes qu’on appelaient autre fois classes passerelles ou encore dispositif d’accrochage. Une discussion avec le professeur en charge du cours et voilà que l’aventure commence… Maintenant que tout est presque fini c’est bien par le mot « aventure » que je qualifierai mon parcours. En effet, c’est vers l’inconnu que nous nous sommes dirigés, c’est le stress qui nous a submergés mais c’est finalement un chemin semé d’embûche qui raconte une belle histoire que j’ai aujourd’hui à raconter…

Ne sachant pas par où commencer ni même qui contacter c’est vers internet, notre plus fidèle allié, que nous avons décidé de nous tourner. Et me voilà avec une liste de six écoles à contacter. Le stress commence à monter à l’idée de devoir les appeler et les convaincre de m’accorder 1h de leur temps. Prenant mon courage à deux mains, je me lance et prépare un beau petit discours à donner afin de convaincre du mieux que je peux. Cependant, malgré tous mes efforts la recherche semble très peu fructueuse. Mais je ne baisse pas les bras, et enfin, à l’autre bout du fil, une réponse positive se fait entendre. Rendez-vous fixé pour le jeudi 17 mars ! Me voila un peu soulagée…

Arrivant sur les lieux, non sans un peu de stress et d’appréhension, la secrétaire me demande d’attendre que Madame S., professeure dans une classe DASPA, vienne me chercher. Le couloir est immense, orné de cartables et d’affaires d’enfants, tandis que de la cours de récréation se font entendre un grand bruit et des cris enjoués. Dans le couloir jouent deux petites filles d’origines étrangères qui parlent entre elles une langue qui n’est pas le français. C’est à ce moment là qu’une pensée me vient à l’esprit… à cet instant précis, ce ne sont que des enfants, qui jouent innocemment et qui ont l’air si heureux. Cependant, ce sont souvent eux les principales victimes des guerres et des mouvements de population. Ils arrivent en Belgique sans aucune connaissance de ce qui les attend et ne parlant même pas la langue du pays. Je me suis alors dit qu’elles avaient bien du courage pour leur âge et que c’était en fait dans leur monde que j’allais entrer aujourd’hui, que c’était un bout de leur histoire que j’allais apprendre et qu’elles allaient partager avec moi dans quelques minutes. La cloche retentit alors sonnant le fin de la récréation et me sortant de mes pensées…

C’est alors que Madame S. se dirige vers moi avec un grand sourire et me demande de la suivre. Nous échangeons quelques mots sur le chemin de la classe et elle me dit que les enfants ont hâte de me voir et de partager l’après-midi avec moi. Je me sens alors toute excitée et pressée de les rencontrer et de voir comment se déroule leur journée. On rentre dans la classe et Madame S. se met à bouger les bancs car, aujourd’hui dans le programmen c’est video et théâtre ! A peine fini, j’entend les enfants qui arrivent, ils rentrent dans la classe et ma première impression est qu’ils sont super gais et actifs mais aussi qu’ils sont tous très différents tant pour leurs âges que leurs origines. Ceux qui me remarquent en premier accourent vers moi pour me serrer la main et me dire bonjour, c’est là que j’entends les premières hésitations de français, mais je remarque tout de suite que les enfants sont à l’aise et essaient de se faire comprendre du mieux qu’ils le peuvent. On se rend alors compte qu’on est bien dans une classe DASPA.

Le cour commence et ce qui m’a le plus frappé, c’est que ce sont des enfants qui semblent super actifs et très soudés. En effet, ils semblent bouger bien plus que dans une classe dite « traditionnelle » et paraissent s’entraider beaucoup les uns les autres. Ils ont une envie folle d’apprendre et de participer! Les enfants répètent assidûment les paroles prononcées par leur professeur pour améliorer leur prononciation.

Pendant un exercice écrit, l’institutrice en profite pour venir auprès de moi afin de me raconter l’histoire de quelques élèves tout en me les montrant…

Tout d’abord, l’enfant blonde au premier rang n’est là que depuis 3 mois. Elle ne parlait pas un mots de français mais elle n’hésite pas à participer et elle commence même à lire. Ou encore le petit Syrien sur ma droite qui a un niveau incroyable en maths mais qui a beaucoup de difficulté en français. Il est lui aussi très actif et n’hésite pas à donner son opinion. Et enfin, la petite Congolaise qui n’a jamais été à l’école et qui a une vie très difficile à la maison. C’est elle qui est la plus active et le boute-en-train de la classe, toujours prête à faire le clown et à raconter des blagues pour faire rire ses camardes. Elle aussi, elle commence à lire et écrire sans l’aide de personne…

C’est alors que j’ai vu dans leurs regards des histoires et parcours très différents pas toujours faciles pour certains et qui le sont toujours pour d’autres. On peut lire dans leurs yeux d’enfants l’innocence et l’envie d’apprendre,  de s‘améliorer,  l’envie de se dépasser car malgré tout ils savent que leur classe est « différente des autres ». Surtout on peut y lire l’espoir qu’un jour, ce beau pays qui est le nôtre leur ouvrira les portes d’un avenir meilleur dans lequel ils pourront s’épanouir.

                      Ilham Al Majdoub

Des critères administratifs comme seule aide au retour ?

Comment des critères généraux peuvent s’appliquer à des situations personnelles de migrants ? De quelle marge de manœuvre les acteurs appliquant ces critères sur le terrain disposent-ils ? Ces questions nous amènent à questionner la pertinence de ces critères permettant au demandeur d’asile, sollicitant un retour, l’acquisition d’aides matérielles et/ou financières. Ces critères ont été établis par l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (ci-après Fedasil) en 2006. Ceux-ci sont apparus avec le remaniement du programme de réintégration suite à des dépenses trop élevées pour l’aide au retour. C’était souvent, « le plus vite tu fais une demande de retour pendant votre demande d’asile, le plus [vite] vous allez [l’] avoir »[1] La provenance d’un pays avec/sans visa, la vulnérabilité d’une personne ainsi que son âge, et la demande (retour simple ou réintégration assortie) constituent ces critères.

Les autorités en charge du retour volontaire, à savoir Fedasil, l’Organisation Internationale pour les Migrations (ci-après OIM) et Caritas International[2], établissent le profil du demandeur d’asile, souhaitant retourner dans son pays d’origine, sur base des critères cités préalablement. Avant la création de ces critères, la marge de manœuvre était plus large pour les ONGs et pour l’OIM qui implémentaient ces programmes de retour. Ils décidaient quel demandeur d’asile pouvait être considéré comme bénéficiaire d’aides afin d’obtenir le maximum de soutien. Par la suite, ces critères, décidés par Fedasil, ont rendu le cadre d’action plus rigide et effectif. Cependant, bien que ces critères restreignent la marge de manœuvre de Caritas et de l’OIM, cette liberté quant à la décision de soutien supplémentaire (ou non) pour la réintégration du demandeur est toujours apparente via la dénomination « cas vulnérable ». Les agents de terrains évaluent l’état de ces personnes dites « vulnérables » sur base d’éléments tels que provenance de la traite des êtres humains; les femmes enceintes; les difficultés médicales; etc. Comme Sophie De Mot nous disait : « dans des cas exceptionnels, […] on peut aussi faire une demande exceptionnelle. Donc pour des gens vraiment vulnérables, on peut demander aussi quelque chose en plus mais […] on demande toujours cela à Fedasil »[3]. C’est notamment le cas, plus précisément, pour « des personnes n’ayant pas les critères nécessaires pour obtenir une aide »[4] où la marge de manœuvre de l’OIM et de Caritas sont plus conséquentes. Pour finir, Caritas et OIM peuvent donner « leur avis, leurs idées »[5] lors de réunions avec Fedasil, ces acteurs étant directement impliqués dans l’établissement de « business plan »[6] à la réintégration, ce qui leur permet d’influer sur les procédures d’action.

C’est pourquoi, bien que des critères régissent de manière plus structurante et administrative le programme de retour volontaire, les migrants n’en sont pour autant lésés. Les acteurs de terrain prennent le temps d’apprendre à connaître la situation du migrant afin d’établir un « business-plan » futur pour maximiser sa réintégration au sein de leur pays d’origine. Ce léger flou politico-administratif sur ce qu’est un « cas vulnérable » a également permis à de nombreux roumains, par exemple, de retourner au sein de leur pays bien que faisant parti de l’Union Européenne et ne bénéficiant donc normalement pas de ce programme de retour. En effet, en 2014, il s’agissait de la destination la plus sollicitée dans le programme de retour volontaire.

Longtin Marine

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  • [1] Entretien Sophie de Mot (Caritas Int.) 15 mars, p.3
  • [2] Décision arbitraire de se concentrer principalement sur une ONG.
  • [3] Entretien Sophie De Mot (Caritas Int.) 15 mars, p.3
  • [4] Entretien Geraldine D’Hoop (OIM), 12 avril, p.9
  • [5] Entretien Sophie De Mot (Cartitas Int.), 15 mars p.3
  • [6] Aide matérielle à travers l’établissement d’un programme de travail futur (ex : ouverture d’un magasin ; projet d’institut de coiffure/beauté).

Un citoyen sans-papiers

Aujourd’hui j’ai un rendez vous au centre ville, mais il pleut et, en toute honnêteté, je ne souhaite pas devoir faire face aux nombreux dilemmes de mobilité dont regorge notre centre ville. Pourtant, à contre cœur, je me lance. En arrivant enfin sur place je suis consterné par la triste ambiance qui règne au pied de la Bourse, la grisaille du piétonnier me fait frissonner tant il est exempt de vie, hormis les quelques touristes qui déambulent cachant leur triste mine sous les parapluies ployant contre le vent. Mais je me reprends en me rappelant que l’heure n’est pas à la tergiversation sur ce triste constat, car je suis une fois de plus en retard. D’un pas pressé, j’évite les flaques et les dalles mal fixées pour rejoindre mon amie et notre interlocuteur du jour dans un bar bien connu des zythologues ou plus communément biérologues.

Passant à peine le pas de la porte je suis surpris par l’ambiance si chaleureuse régnant au sein de cet établissement en cette heure matinale. J’entrevois notre interlocuteur et mon amie discuter le sourire aux lèvres, cette dernière relève la tête et me fait un petit geste de la main pour me convier à leur table. Enfin un peu de chaleur en cette journée froide et pluvieuse; quel contraste avec le monde extérieur. Notre interlocuteur fait partie d’un collectif ne s’appelant autrement que Collectactif. Ce sont eux qui sont à l’initiative de la cuisine constituant le centre névralgique du parc Maximilien lorsque celui-ci abritait de nombreux réfugiés.

Le membre de ce collectif m’explique qu’ils sont en tout et pour tout six sans-papiers œuvrant à faire vivre l’association. Ebahi par leur faible nombre, je suis d’autant plus intrigué de percer les divers objectifs incitant le collectif à accomplir des tâches telles que la construction et la gestion d’une cuisine en plein centre d’un camp de fortune. Mon amie le questionne sur la motivation initiale quant au rôle que l’association entendait jouer au sein du parc. Il nous explique alors leur volonté d’aider les réfugiés au sens large et l’intérêt que leurs expériences personnelles passées pouvaient apporter à ceux qui, comme eux quelques années auparavant, faisaient la file devant l’office des étrangers.

Par ailleurs, alors que le camp dans le parc n’était qu’à son bourgeonnement, ils ne pouvaient rester indifférents aux gaspillages en tout genre et principalement à celui de nature alimentaire. En effet, dû au foisonnement soudain de dons en lien avec la prise de conscience tout aussi soudaine, les organes s’attelant à la gestion du parc ne pouvaient plus faire face à cet afflux disproportionné. Dès lors la construction d’une structure digne de ce nom s’imposait pour faire face aux innombrables défis. Celle-ci servait de cuisine, de salle à manger mais plus important encore, d’endroit de socialisation. En effet, en son sein travaillaient les membres de l’association qui étaient aidés par des bénévoles et des sans-abris sans oublier des jeunes « mal vus » de Schaerbeek. De plus au milieu des fourneaux, les membres du collectif s’attelaient à responsabiliser les réfugiés venus de tout bord en leur demandant d’effectuer des tâches variées comme la vaisselle par exemple. Car bien que ne possédant pas de papiers, ceux-ci mettent un point d’honneur à inculquer aux nouveaux arrivants des valeurs citoyennes afin de favoriser le vivre-ensemble ou plutôt devrais-je dire, le construire ensemble.

Voyant mon intérêt manifeste il m’explique alors leur lutte pour changer l’image des sans-papiers et des migrants. Entre deux phrases, je perçois l’étincelle dans ces yeux lorsqu’il évoque l’idée d’une régularisation. Celle-ci serait-elle l’objectif moteur sous-jacent à toute initiative ? Il me parait indéniable que cette perspective soit source de motivation depuis le lancement du collectif il y a de ça quelques années, comme il est évident que l’objectif poursuivi a gagné en profondeur et spiritualité au cours du temps. Que le concept de citoyenneté soit porté aux nues par des sans-papiers me semble être un paradoxe interpellant qui devrait nous amener à repenser et à refondre la façon dont nous vivons notre citoyenneté trop souvent galvaudée.

Sam Bermann