Entre théorie et pratique

Il est souvent intéressant de comprendre les limites sous-jacentes d’un projet politique en comparant le projet théorique avec la réalité pratique. Dans le cadre de notre travail nous avons eu pu observer ce décalage dans le cas du projet d’intégration des réfugiés en région Bruxelloise. Cette fracture de mise en place est identifiable très simplement d’un point de vue institutionnel, et se voit plus encore quand on s’intéresse aux perceptions des individus qui participent à ce projet.

J’ai été très intéressée par la structure institutionnelle qui démontre ce décalage. Il s’agit de l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) qui est en charge de l’intégration des réfugiés en Belgique. Les termes et étapes de ce processus sont décrits très précisément et clairement dans un programme en trois étapes sur le site de l’organisation[1]: la procédure d’asile, le séjour en centre d’accueil; l’obtention d’un permis de séjour; le travail de réinstallation et d’intégration. Ce projet expliqué en termes simples et en apparence très structuré nous a orientées dans les premiers temps de notre travail pour la phase de planification et de prise de contact avec les organisations. Nous avons établi (à tort ou à raison) toute notre stratégie d’approche à partir de ces informations institutionnelles et nous avons choisi de nous concentrer uniquement sur les organisations en lien avec la troisième étape du projet, la réinstallation des réfugiés, gérée selon nos informations par les Centres Publics d’Action Sociale (CPAS) et les Centres Régionaux d’Intégration (CRI) en région francophone.

La réalité nous a rapidement rattrapées. Il s’est avéré que Fedasil ne travaille que sur une fraction très restreinte de ce projet global. Le reste est délégué à un ensemble d’organisations variées en terme de taille, mission et composition allant bien au-delà des CPAS et CRI. Nous nous sommes rendues alors compte que ce projet politique global avait tenté de se construire autour d’organisations préexistantes qui ne rentraient pas forcément dans un programme figé en trois étapes. Après avoir eu des difficultés à rentrer en contact avec les CPAS et CRI il s’est avéré que ces derniers ne couvraient également qu’une petite fraction de ce processus très récent. Nous avons donc dû creuser plus largement pour découvrir la grande quantité d’associations qui travaillent à l’établissement du projet global tout en étant trop nombreuses et différentes pour vraiment s’intégrer dans ce dernier de manière cohérente.

Très récemment le processus en région bruxelloise s’est institutionnalisé et a tenté d’intégrer un ensemble d’asbl pré-existantes. Il est intéressant de jeter un œil au budget de Fédasil pour se rendre compte de la délégation des activités relatives à l’intégration des réfugiés[2]. Ainsi on note qu’en dehors des frais de fonctionnement le budget que Fédasil utilise directement pour le projet d’intégration représente un peu plus de 23 millions d’euros en 2014 alors que 192,7 millions d’euros soit 68% du total est en réalité reversé à cet ensemble d’organisations qui complètent le travail de Fédasil. L’idée de déléguer les activités de l’organisation a des entités en place est logique mais la manière dont ces dernières sont peu reliées entre elles nuit à mon avis à l’efficacité du projet dans son ensemble. Ainsi dans notre quête à l’identification des organisations ,nous ne pouvions plus nous référer au projet politique présenté sur le site internet de Fédasil. Il fallait d’une part étendre les recherches par des sources informelles pour identifier les organisations qui, autres que les CPAS et les CRI, participaient au processus et d’autre part accepter d’élargir notre champ d’étude en terme de mission.

Ainsi cette enquête de terrain dans sa mise en place logistique nous a donné à observer les limites pratiques d’un projet politique neuf. La réalisation d’interviews par la suite nous permis d’obtenir une vision plus nette de la confrontation entre la vision pragmatique de ceux confrontés à l’existence politique du projet. Ces agents sont les plus à même de bien comprendre et identifier les tensions entre la théorie institutionnelle et la réalité de la pratique.

Mathilde Vougny


 

[1] Site officiel de Fédasil, contenu des activités: http://fedasil.be/fr/content/la-reinstallation

[2] Site officiel de Fédasil, budget annuel: http://fedasil.be/fr/content/budget.

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