Le cas des mineurs non accompagnés

Certains des élèves primo-arrivants sont des mineurs non-accompagnés. Orphelins ou arrivés sans leurs parents, leur intégration est d’autant plus difficile. Mais ce parcours du combattant ne s’arrête pas une fois devenus majeurs, bien au contraire.

Tant qu’ils sont mineurs, ils sont hébergés dans un bâtiment spécial qui leur est dédié à FEDASIL, où ils partagent une chambre avec quatre ou cinq autres mineurs. « C’est un petit peu comme à l’internat », m’explique un coordinateur DASPA. Mais le jour de leurs 18 ans, ils doivent faire leurs bagages et passent du côté adulte. C’est déjà un traumatisme, car ils n’ont aucun sas de décompression pour encaisser cette transition brutale, qui survient juste au moment où ils retrouvent un semblant de repères. A partir de ce moment, tant qu’ils n’ont pas encore leur reconnaissance de statut de réfugié, ils se retrouvent dans des dortoirs avec des gens de tous âges, où toute intimité est rendue impossible, jusqu’aux douches collectives.

Une fois qu’ils obtiennent la reconnaissance de leur statut de réfugié, les autorités leur administre une commune. Ils sont alors invités à s’inscrire au CPAS afin de toucher un revenu d’intégration. Il leur est ensuite demandé de trouver un logement, signer un bail, prendre contact pour gérer leur eau et leur électricité, etc. alors qu’ils arrivent d’un pays étranger où ils n’ont jamais eu à faire tout cela.

Dans certaines communes, il y a cependant des ILA (Initiatives Locales d’Accueil). Ce sont des maisons possédées par la commune qui sont mises à disposition de quatre ou cinq jeunes, reproduisant le schéma d’internat (certains parlent même de « kot » !) auquel ils s’étaient habitués à FEDASIL. Il y a même un assistant social qui les aide dans leurs démarches. Evidemment, cela dépend des communes … Mais « c’est une bonne transition », me confie un coordinateur DASPA, avant d’ajouter : « Moi, si à 18 ans, j’avais dû me retrouver dans un pays à l’étranger, seul, et devoir trouver un logement et mettre en place tous ces trucs-là, j’aurais vraiment été paumé ! D’autant plus qu’il faut continuer à l’école à côté … ».

Difficile alors de ne pas abonder en son sens et de relativiser les difficultés auxquelles nous, étudiants mieux lotis, sommes confrontés.

Michaël Boumal

Le DASPA, oui, mais pas n’importe comment !

Au fil des interviews des professeurs enseignant à des primo-arrivants, des coordinateurs DASPA (Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des Primo-Arrivants) et des directeurs d’écoles comprenant des classes DASPA, certains aspects problématiques de ce dispositif revenaient sans cesse dans les discussions. Cet article sera donc consacré à évoquer les manquements majeurs du dispositif selon le corps professoral.

Le problème le plus récurrent est la durée de séjour des étudiants dans une classe DASPA, elle va de 12 à maximum 18 mois pour apprendre et maîtriser le français. La plupart de ces élèves n’ont aucune notion de français, la durée d’apprentissage est donc beaucoup trop courte selon la plupart des enseignants. Certains établissement, comme Cardinal Mercier, doivent donc en ressortir à organiser du coaching pour les ex-élèves DASPA pour pouvoir leur faire atteindre le niveau nécessaire à la bonne continuation de leur éducation.

Un autre problème souvent évoqué est le manque de formation spécifique à l’enseignement des primo-arrivants. Bien que les enseignants donnant cours en classes DASPA reçoivent une formation, notamment le FLE pour les professeurs de français, ils ne reçoivent pas de formation pour faire face aux problèmes plus particuliers de ces enfants. Ce sont parfois des enfants en provenance de zone de guerre, le contact est parfois difficile et une formation sera un plus pour mieux leur enseigner.

Comme expliqué précédemment, certains de ces enfants arrivent directement de zones en plein conflits armés, changer de pays est déjà difficile, ils doivent parfois recommencent l’école après plusieurs mois voire plusieurs années d’absences et ce dans une langue étrangère ! Pour beaucoup, le PMS n’est pas suffisant, il manquerait donc au DASPA l’instauration d’une cellule psychologique dans chaque école, dédiée aux primo-arrivants, pour palier à ces traumatismes au plus vite et faciliter leurs scolarisations.

Il n’y a pas assez d’accompagnement pour les enseignants du DASPA, leur charge de travail est bien plus grande compte tenu de la situation particulière de leurs élèves. Les enfants viennent souvent avec des documents de leurs parents que les profs doivent remplir, ou encore, comme l’explique une professeure à Cardinal Mercier, ils vont souvent accompagner leurs élèves chez le médecin ou encore le psychologue. Les professeurs rencontrent aussi des difficulté à s’entretenir avec les parents qui parlent peu le français. Comme l’explique un coordinateur DASPA à l’institut de la providence « il existait avant un service de traducteurs du CIRE pour venir aider l’école mais maintenant qu’il n’y a plus d’argent ce n’est plus le cas ». Les professeurs sont donc obligés d’avoir recours à du volontariat pour parler aux parents de leurs élèves. Malgré l’aide de certaines associations, les professeurs sont débordés de travail.

Une autre difficulté est le budget alloué aux écoles, les élèves du DASPA nécessite du matériel spécialisé et donc de nouveaux investissements, mais les pouvoirs publics sont très lents à allouer l’argent aux écoles. Les écoles en arrivent donc à recourir à des fondations, comme la fondation Roi Baudouin, pour recevoir des fonds.

Il existe évidement d’autres problèmes liés au DASPA mais ceux-ci ont été les plus abordés dans les discutions qu’ont eu mes collègues et moi même. Bien que le système du DASPA présentent de nombreux avantages à l’intégration des enfants primo-arrivants, il reste néanmoins quelques problèmes à pallier pour parfaire l’accueil de ceux-ci.

Hadrien Velazquez

Le déracinement de l’enfant réfugié

Lors des différents entretiens que mon collègue, Grégoire DROMELET, et moi- même avons pu réaliser, le mot m’ayant le plus marqué est : déracinement.

Extrait d’entretien :

« Q : D’une manière un peu plus large, quelles sont les difficultés que rencontrent les enfants primo-arrivants lorsqu’ils arrivent dans le cadre scolaire ?

D : D’abord, je dirais que la première chose c’est le DÉRACINEMENT.  Surtout pour ceux qui arrivent maintenant : les syriens, les égyptiens, (…  ) Ces enfants là, ce sont des primo-arrivants qui ont un vécu, et donc, ce déracinement, ce qu’ils ont vécu par exemple à ALEP (Syrie) c’est très très difficile. On a tout de même des enfants qui sont bloqués, qui ont d’autres difficultés que la langue. »

Actuellement et bien souvent, ces enfants viennent de zones « en guerre », ils quittent leur pays, leur ville, leur maison, leurs amis et même parfois leur famille pour un endroit qu’ils ne connaissent pas. Certains de ces enfants ont laissé papa et/ou maman là-bas, ils arrivent en Belgique, et ensuite vont à l’école où ils sont placés dans une classe sans forcement comprendre ce qu’ils font là.

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Photo prise le 21/03/2016 : Affiche sur la porte d’entrée de la Classe DASPA

Lorsque mon collège et moi avons abordé la question des matières enseignées en classe DASPA, certains professeurs/directeurs nous ont expliqué qu’avant toute chose, parfois avant même de commencer à apprendre quelques mots de français à ces enfants, il fallait leur expliquer ce que c’est l’école. Certains enfants n’ont jamais été scolarisé, ne comprennent pas pourquoi ils doivent aller à l’école, pourquoi ils doivent rester assis toute la journée derrière un banc, pourquoi ils doivent apprendre, …

De plus, bien souvent l’enfant déraciné, pour qui c’est une première, doit quitter l’endroit qui l’accueille, son (ses) parent(s) – frère(s)/ soeur(s), pour se rendre en classe. Une enseignante de classe DASPA en primaire nous a expliqué que parfois, au début, papa/ maman est autorisé à rester en classe avec l’enfant, ensuite l’enfant reste seul mais juste la matinée et par après il reste également l’après-midi. Tout cela pour permettre à l’enfant de  s’adapter dans ce nouveau milieu, lui montrer qu’il ne va rien lui arriver, lui donner confiance en lui montrant que papa/ maman est là et qu’il ne risque absolument rien. DONNER confiance à l’enfant, lui montrer qu’il ne risque rien dans ce nouvel environnement scolaire, lui permettre de s’enraciner à nouveau !

Mathieu BOUDART

Péripéties d’une enquêtrice d’un jour

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Ne sachant pas exactement où se trouvait la première école dans laquelle je devais me rendre et connaissant ma fâcheuse tendance à ne jamais être à l’heure (Big up à mon groupe, with love), je décide de m’y rendre bien plus tôt que prévu. 9h20, j’arrive avec 10 minutes d’avance à l’arrêt de tram situé à 100 mètres de l’école. Par chance, car, n’ayant aucun sens de l’orientation, je croise un passant qui, bien gentiment, me mène à destination. Lors de mon entrée dans l’école, je suis accueillie par une très charmante femme d’entretien qui me dirige vers la salle des professeurs. Voyant les minutes défiler, j’en viens à me demander si je ne me suis pas trompée de jour, ou pire, si je ne me suis pas trompée d’école. Quelques minutes plus tard, l’enseignante en DASPA arrive. Au fur et à mesure de mon entretien, je me rends compte que tout ce que j’ai pu lire dans la littérature sur le sujet ne se concrétise pas sur le terrain. Ces classes de primo-arrivants (telles qu’elles sont nommées par la plupart des professeurs que j’ai pu interroger) permettent bel et bien une intégration plus rapide des élèves dans leur environnement social et scolaire. Ils peuvent s’épanouir davantage, grâce à l’apprentissage du français. Fière du nouveau rôle de journaliste et chercheure que j’ai endossé durant une heure, je remercie mon interlocutrice et me dirige vers la deuxième école de la journée.

11 h 50, j’entre dans cet établissement de Saint-Josse-Ten-Noode et un badge de visiteur m’est remis à l’entrée. Une signature et une photocopie de ma carte d’identité plus tard, je me dirige vers la classe de ma seconde interlocutrice. Dans les couloirs, je croise le directeur de l’école qui, quelques jours plus tôt, me lança au téléphone un « Baslama, vous voyez, moi aussi je parle arabe ». Amusée et le sourire en coin, je le suis vers la classe de l’enseignante. Nous nous serrons la main et nous nous installons dans le fond de la classe, où se trouve une grande table et plusieurs chaises. Très joviale, elle répond à mes questions avec beaucoup d’entrain. A l’écoute de ses réponses, je me rends compte qu’elle apprécie énormément son travail et que ce rôle lui tient à cœur. Bien qu’elle ait été professeure de différentes classes d’enseignement général auparavant, elle a décidé, il y a quelques années, de se consacrer exclusivement à l’enseignement spécialisé des primo-arrivants. Mes impressions concernant l’intégration des élèves dans leur environnement se confirment. Selon ces professeurs, les DASPA ne sont que du positif, bien que la durée d’enseignement devrait être revue au cas par cas, selon leurs dires.

Entre cet entretien et le prochain – oui ce fut une longue, très longue, journée –, il m’est proposé d’assister à une heure de cours donnée au groupe « analphabète ». Je m’installe donc dans le fond de la classe, histoire de ne pas perturber le cours. L’enseignante est appelée dans le couloir et les élèves commencent à me parler, intrigués par ma présence. Ils me demandent de quelle origine je suis, je leur réponds que je suis algérienne. Une petite discussion en arabe se met en place et l’un d’eux me fait croire qu’il est de Sétif, en Algérie. Surprise, je lui demande comment il est arrivé en Belgique. Il me révèle ensuite qu’il est syrien et qu’il a rencontré des Algériens sur sa route vers l’Europe. Leçon 1 : Ou comment se faire berner par un enfant de 12 ans en 30 secondes. Le cours commence et plusieurs élèves se retournent, à tour de rôle, pour me sourire. Leur joie de vivre, malgré ce qu’ils ont bien pu voir ou vivre, me fait réaliser à quel point, en Europe, on a tendance à se soucier d’un rien, moi la première. Le cours se termine et je remercie l’enseignante qui m’a si gentiment accueilli. Les élèves me saluent tous d’un « au revoir, Madame » à tour de rôle.

La journée se termine par deux autres entretiens, tous deux aussi enrichissants que les premiers.

Bref, ce fut une longue MAIS très chouette journée.

#EnquêteursDeChoc

#OnYestArrivé

Sabrina Boukarfa.


 

Système idéal ou idéalisme du système ?

Gai. C’est le mot qui pourrait résumer l’impression que les professeurs ont des classes passerelles où les primo-arrivants sont placés en venant en Belgique (appelées DASPA depuis les années 2000).

Gai, parce que les professeurs que j’ai pu rencontrer croient vraiment en ce projet.

Gai, parce que la motivation des jeunes immigrés, leur soif d’apprendre que j’ai pu observer en classe permet aussi d’y croire.

Une élève primo-arrivante, St-Josse (Bruxelles)
Une élève primo-arrivante, St-Josse (Bruxelles)

Bien sûr tout n’est pas simple. Les professeurs décrivent un quotidien fait de lenteur, de répétitions et d’incompréhensions. Ils doivent faire face à des familles et des enfants en manque de repères. Il faut se battre chaque année pour obtenir les crédits d’une classe DASPA.

Mais ils n’échangeraient pas leurs classes avec d’autres.

Lorsque l’on s’intéresse à leurs sentiments, cette passion interpelle. Mais quand ils m’ont raconté l’année typique en DASPA, j’ai compris.

D’enfants cassés, brisés qui ont parcouru l’Europe, fui la guerre ou des situations économiques désastreuses, ils font des élèves intégrés, alphabétisés, des nouveaux Belges.

Septembre commence difficilement, par gestes, mimes et images. Ils ne se comprennent pas, ne peuvent pas parler ensemble, ni même jouer. C’est le silence dans la classe.

Et puis, la transformation commence.

Petit à petit, ils font leurs premiers pas dans notre société. Ils appréhendent ce nouveau système, cette nouvelle langue, cette nouvelle culture et ce nouveau mode de vie. Les enseignants voient alors apparaître ce que les autres ont si facilement : une classe avec ses bruits, ses bavardages, ses disputes et ses réussites.

Noël arrive et les nouveaux élèves se débrouillent maintenant.

Le reste de l’année leur permettra de finir une remise à niveau impressionnante de rapidité.

Tout semble fonctionner à merveille.

Alors, évidemment, il y a des échecs. Il y a des enfants dont la déscolarisation, le retard ou l’âge trop avancé bloquent dans l’apprentissage. Mais les professeurs refusent de condamner le système entier. Et ils me donnent des exemples : la petite du 2e rang qui ne savait pas lire il y a quatre mois et qui est devenue la meilleure de la classe, le petit au fond qui ne savait pas rester assis il y a trois semaines et qui copie religieusement sa leçon sous mes yeux, la grande qu’on a envoyée en mars dans une autre classe parce qu’elle allait trop vite… Ces enfants, leurs motivations et leur évolution, permettent aux professeurs que j’ai rencontrées de croire que le système des DASPA est une réussite et d’y croire d’année en année.

Un autre système fonctionnerait-il ? Peut-être, sans doute même. Finalement, il me semble que la motivation couplée des professeurs et des élèves est la clé de l’apprentissage et de l’intégration réussie. Si les enfants primo-arrivants ont cette volonté singulière, c’est peut-être qu’ils ont déjà trop perdu durant leurs expériences passées. Si les professeurs ont cette foi remarquable c’est peut-être qu’ils côtoient des situations qui ne laissent pas de place au doute et au statisme.

Le système n’est pas idéal, comme tout système. On apprécierait plus de moyens dédiés aux soutiens et remédiations pour les anciens primo-arrivants. On envisagerait avec joie une hausse d’effectifs pour organiser des classes à plusieurs professeurs. On verrait l’intérêt de travailler avec des spécialistes de didactique, de phonétique ou de logopédie.

Comme tout système réel, le concret se distingue du modèle. Et si le système fonctionne actuellement du point de vue des professeurs, il semble revenir aux politiques de permettre son amélioration, pour que l’Article 24 de la Constitution belge qui énonce le Droit à l’Éducation puisse prendre son sens le plus développé.

Sophie Aumailley

« Intégration » ou « adaptation » ?

« Est-ce que vous avez prévu des mesures particulières si certains de vos élèves migrants ne sont pas bien intégrés ? » Telle est notre question, une question banale qui a pourtant suscité de fortes réactions chez les quatre instituteurs pendant notre focus-groupe dans une école à Bruxelles. Pour eux, le mot « intégration » est incorrect, parce que leur objectif est plutôt « l’adaptation » des élèves.

Selon l’un de nos interlocuteurs, lui-même d’origine marocaine, être « intégré », c’est devenir belge en se détachant complètement de sa culture d’origine et des valeurs de ses parents. Pour lui, l’utilisation du mot « intégration » n’est pas seulement inappropriée, elle est aussi utopique : les élèves suivant le programme DASPA sont pour la majorité des réfugiés de guerre ou migrants économiques venant des pays non-européens, comme la Syrie ou l’Afghanistan. Selon lui, chaque pays a ses racines culturelles et il est quasi inimaginable d’obliger une personne issue d’une autre civilisation de rejeter sa propre identité et de devenir entièrement belge. « Il est difficile pour un Chinois ou un Africain d’être bien intégré à la société belge parce que le parcours historique et la culture de leurs pays d’origine sont très différents. Pour moi, l’intégration est possible seulement pour des personnes originaires d’autres pays européens parce qu’il y a moins de différence. » ajoute cet instituteur. Il a aussi pris son propre exemple en mettant l’accent sur le fait qu’il se sent belge quand il est en Belgique, et marocain quand ils se trouve au Maroc.

D’après les instituteurs, « l’adaptation », en revanche, permet aux enfants migrants de vivre en harmonie avec les autres dans leur pays d’accueil tout en affirmant leur identité culturelle d’origine. Si un enfant a plus de mal à s’adapter aux modes de vie locale que ses camarades, il peut bénéficier des aides PMS (Psycho-Médico-Sociaux). En tout cas, pour nos instituteurs, « l’adaptation » semble plus réelle que « l’intégration », un mot qui n’a jamais traversé leur esprit.

A première vue, ces instituteurs ont une vision pessimiste, suggérant l’infaisabilité d’intégrer des enfants migrants non-européens. Mais en réalité, ils ont tout simplement l’intention d’apprendre aux enfants qu’ils peuvent être membres de la société belge sans oublier la richesse de leurs propre héritage. Le mot « intégration » ne signifie pas forcément l’abandon total des racines d’une personne, mais dans la pratique, les habitants issus d’un pays d’accueil peuvent facilement avoir l’impression que les migrants sont mal intégrés alors que la réalité est que ces derniers ne se comportent pas tout à fait comme eux. Dans le cas belge, il faut peut-être briser le tabou et accueillir ces migrants en reconnaissant les différences qui existent ? Ce qui est important n’est pas le choix entre le terme « intégration » et « adaptation », mais notre volonté d’accueil.

LIU Jun

Qui sont les élèves primo-arrivants ?

Des écoles ont depuis longtemps accueilli des élèves « primo-arrivants », et cela bien avant la loi DASPA de 2012. Au fil des vagues d’immigration successives en Belgique, ce furent les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Marocains, les Polonais, ou encore les Roumains… Cet accueil se faisait surtout, et se fait toujours essentiellement, dans les écoles implantées dans des quartiers historiquement peuplés par les immigrés à Bruxelles. Lesquels ? Les environs de la Gare du Midi et de la chaussée de Mons, ou encore le quartier de la Cage aux Ours à Schaerbeek.

Mais avec la situation au Moyen-Orient et la récente crise migratoire à laquelle l’Europe fait face, l’afflux d’élèves primo-arrivants accueillis par nos écoles est en grande majorité arabophone, provenant pour la plupart d’Irak et de Syrie, et fuyant la guerre. Cette nouvelle vague d’immigration en Europe bouscule aussi la constitution de ces classes passerelles en Belgique, qui se chargent d’intégrer les enfants primo-arrivants dans le système scolaire belge, notamment avec des cours de Français renforcés. Il fut une époque où ces classes étaient cosmopolites. Pour communiquer entre eux et dépasser leurs différences, les élèves étaient obligés de parler le Français. Aujourd’hui cela a changé: cette nouvelle majorité arabophone freine et ralentit cet apprentissage, les élèves ressentant sinon le besoin, l’envie de communiquer dans leur langue maternelle comme au pays qu’ils ont dû quitter.

Au-delà de cette difficulté linguistique, les enfants déscolarisés arrivant de pays en guerre font face à des problèmes d’adaptation particuliers. Être assis sur une chaise toute la journée et écouter le professeur sont des choses qu’ils ont oubliées. Évoquons la surprise de cette enseignante dans une école de Wallonie, située à proximité d’une base aérienne, lorsqu’au décollage d’un avion de chasse, la moitié des élèves de sa classe se sont précipités sous leur pupitre dans la crainte réflexe d’un bombardement. L’absentéisme est également un problème que les écoles doivent davantage gérer. Un élève syrien, déjà orphelin de mère et venu rejoindre son frère à Bruxelles, n’est plus venu à l’école pendant deux mois après avoir appris le décès de son papa. Ce dernier était resté en Syrie et avait été kidnappé par l’État islamique avant d’être décapité sur la place publique. A son chagrin s’ajoutaient l’inquiétude et un sentiment d’impuissance, puisque ses deux petites sœurs de douze et treize ans étaient restées là-bas, exposées au danger d’être mariées de force, ou pire, par l’organisation terroriste.

A côté de cela, nous assistons à une motivation particulière chez beaucoup de ces élèves primo-arrivants. Un enseignant me racontait comment au début de sa carrière, il ne pouvait s’empêcher de céder à la demande de trois frères albanais ayant fui la guerre du Kosovo qui lui réclamaient avec envie au détour d’un couloir de remplacer leur professeur absente : « Cours monsieur s’il vous plaît ! », après avoir passé l’essentiel de leur scolarité enfermés dans un placard à balais par leur enseignante serbe. Une autre élève albanaise, emmenée par sa mère qui cherchait à échapper à la violence de son mari et de la mafia locale, affichait 95% dans quasiment toutes les matières à son arrivée. Elle a pourtant dû affronter les réticences de l’établissement de son choix, avant de finalement pouvoir l’intégrer grâce au soutien et à l’appui du coordinateur DASPA de la première école dans laquelle elle s’était rendue.

Autant de situations différentes qui témoignent des difficultés d’intégration que peuvent rencontrer les enfants dans cette crise migratoire.

Michaël Boumal

Les élèves primo-arrivants, une ressource sous-estimée ?

Au cours de nos recherches préliminaires, nous sommes tombés à plusieurs reprises sur l’affirmation selon laquelle les élèves primo-arrivants, une fois sortis des sections français langue étrangère (FLE), étaient souvent relégués vers l’enseignement technique ou professionnel.
Ces assertions renvoient aux questions du nivellement de l’enseignement belge et de la discrimination entre les filières. Cependant je laisserai ce grand débat de côté, pour me concentrer sur la question du devenir des élèves primo-arrivants après leur sortie de la section FLE.

            Nous avons donc tenté de savoir si ces assertions recouvraient une part de vérité ou si elles relevaient du lieu commun. Le personnel enseignant que nous avons rencontré ne semble pas entièrement d’accord avec ces allégations. Quand nous lui posons la question, Marie-Ange coordinatrice DASPA et professeure de français langue étrangère (FLE) à l’Institut Cardinal Mercier nous répond : « Pas chez nous ! Mais, c’est un combat perpétuel parce que ce n’est pas toujours facile à faire accepter par les collègues qui donnent cours dans les classes d’enseignement général. Mais chez nous, ce n’est vraiment pas le cas ! Et d’ailleurs, (…) si on prend, par exemple, la classe de 4e générale, sur 20 élèves, 14 viennent des classes FLE et 6 viennent des classes « traditionnelles ». (…) ça commence à rentrer dans les mœurs. Dans notre établissement, notre section générale est nourrie par les élèves primo-arrivants (…) et cette section est vraiment accessible aux élèves primo-arrivants. Cela n’a pourtant pas toujours été facile à faire accepter, mais on n’est pas du tout dans une école qui relègue les élèves primo-arrivants dans les filières techniques ou professionnelles.». En fait, Marie-Ange et ses collègues encouragent les ambitions de leurs élèves. Ils essaient de faire en sorte qu’ils « soient le mieux armés possible pour pouvoir continuer des études en Belgique. » Ils veulent : « faire en sorte qu’ils puissent aller à l’université ou faire des études supérieures, s’ils en ont envie. (…) »Marie-Ange ajoute : «  C’est vrai que nous essayons de mettre la barre assez haut en termes de contenu parce qu’on pense que c’est ce qui peut leur rendre le plus service et leur ouvrir un maximum de portes par après, pour qu’ils ne soient pas limités à cause du français dans leur choix d’étude. ».  L’équipe de l’Institut Cardinal Mercier et les autres équipes enseignantes que nous avons rencontrées ne semblent pas vouloir limiter les perspectives d’avenir de leurs élèves primo-arrivants, que du contraire !

Cependant, le problème peut apparemment, se poser un peu plus tard dans le cursus de ces élèves. A ce propos, Marie-Ange déplore que : « dans beaucoup d’école, ils ne sont pas du tout les bienvenus ! On a des élèves qui étaient dans des très bonnes écoles dans leur pays, et ils arrivent ici en DASPA et, au bout d’un an, (…) ils cherchent à intégrer les meilleures écoles de Bruxelles. Malheureusement, ils ne sont souvent pas très bien reçus, parfois ils sont même mal reçus…(…) Il y a quelques écoles avec lesquelles je communique plutôt bien (…). (Marie-Ange aide ses élèves les plus motivés dans leurs démarches pour intégrer les « meilleures » écoles de Bruxelles.). Cependant, il y a pas mal d’élèves qui ont essayé de s’inscrire par eux-même dans ces écoles et elles n’ont pas voulu d’eux.  ». Selon Marie-Ange, cette situation tient au fait que « tout le système de l’enseignement belge est structuré comme cela, avec des écoles qui tiennent absolument à avoir une dynamique très élitiste.». Cette approche élitiste, un peu vieillotte de l’enseignement ne semble pas pénaliser uniquement les élèves primo-arrivants. Il semble être plus que temps, de débattre des méthodes pédagogiques en vigueur dans l’enseignement de la communauté française. Ne devraient-elles pas favoriser la méritocratie et l’épanouissement personnel plutôt que la reproduction sociale ? Les pays scandinaves ont revalorisé les filières techniques et professionnelles depuis plusieurs années, avec beaucoup de succès en matière de méritocratie et d’intégration sociale. Peut-être serait-ce là la voie à suivre ?

Julie Van Ham

Choisir un terrain : Wallonie ou Bruxelles ?

Notre recherche se base sur l’influence des deux réseaux scolaires publics belges : le réseau « officiel » (laïc) et le réseau « libre » (catholique – confessionnel), dans l’accueil des primo-arrivants par les établissements scolaires à Bruxelles.

Lors d’un entretien à l’Institut Cardinal Mercier à Schaerbeek, nous avons, ma collègue Julie Van Ham et moi-même, rencontré et interviewé Marie-Ange, professeure de FLE[1] et coordinatrice des classes DASPA[2] dans ce même établissement. La rencontre se déroulait plutôt bien jusqu’à ce que, suivant notre guide d’entretien préparé à l’avance, nous arrivions aux questions portant plus spécifiquement sur les distinctions entre réseaux « officiel » et « libre ». Cette professeure nous a alors expliqué que, selon elle, il n’existait pas réellement de différences entre les réseaux dans l’accueil des élèves migrants à Bruxelles mais qu’en revanche, le système était tout à fait différent en Wallonie. En effet, à Bruxelles, les écoles qui souhaitent s’inscrire dans un programme d’accueil se proposent volontairement (auprès du ministère de l’enseignement) et il n’y a pas de nombre limité d’école pouvant postuler. Le ratio d’écoles accueillant entre les deux réseaux est d’ailleurs proche de la parité. A contrario, en Wallonie, une école ne peut uniquement accueillir de classe DASPA que si elle est affiliée à un centre Fedasil, c’est-à-dire, un centre d’accueil pour réfugiés en attente de régularisation, situé dans la région. Cela a comme conséquence notable qu’une seule école peut ouvrir un DASPA sur une même aire géographique et que, comme nous l’expliquait Marie-Ange, les écoles wallonnes sont très peu enclines, voire se disputent, pour ne pas accueillir les classes de migrants et être cataloguées comme « l’école des migrants ». Pour en revenir à notre recherche, sur l’influence des réseaux scolaires, cela signifie que, dans les communes rurales wallonnes, possédant toujours, au moins, deux écoles secondaires[3], une « officielle » et une « libre », il pourrait y avoir des différences plus significatives entre les deux réseaux.

La piste des écoles wallonnes était désormais ouverte, et, j’avais de plus en plus envie d’orienter la recherche vers le sud du pays. Mais le cahier des charges, ainsi que la question de recherche que nous nous étions fixés étaient clairs, notre enquête était basée sur Bruxelles exclusivement. De plus, je ne pouvais pas réorienter toute l’équipe de travail (6 personnes) sur un nouveau terrain pour une idée intéressante à creuser. D’autant que beaucoup de travail avait déjà été accompli sur le terrain à Bruxelles et que le temps commençait à presser. Peut-être l’aurais-je fait si j’avais été seul…

Quoiqu’il en soit, plusieurs leçons sont à retenir de ce passage : Premièrement, la recherche scientifique est faite de pistes et d’idées à creuser. Mais, si l’on veut rester cohérent, il faut impérativement faire des choix , peut-être abandonner certaines pistes pour en suivre d’autres et toujours rester centré sur sa question de cherche, aussi frustrant que cela puisse être. Deuxièmement, l’enquête de terrain est faite de contraintes. Contraintes de temps, de possibilité de déplacement et de disponibilité de l’objet à étudier (pour les plus courantes) ou encore contraintes de dynamiques de groupes (les envies et les attentes individuelles). Le tout est de composer avec la contrainte.

[1] Français Langue Étrangère.

[2] Dispositif d’Accueil Scolaire des Primo-Arrivants. Les classes DASPA sont également appelées « classes passerelles ».

[3] Conséquence du pacte scolaire de 1959, qui impose à chaque commune belge de posséder au moins 2 écoles : une de chaque réseau.

Pierre REISENFELD

Dans la classe, après la classe…

Au cours de notre enquête sur l’accueil des migrants mineurs dans l’enseignement bruxellois, nous avons rencontré des personnes extrêmement dévouées. J’aurais pu rédiger un billet sur chacune d’entre elles mais j’ai choisi de vous parler de Fatou, parce que son engagement m’a particulièrement touché mais aussi parce qu’il me semble représentatif de celui des gens que nous avons rencontrés. Fatou est professeur de français langue étrangère (FLE) à l’Institut Cardinal Mercier de Bruxelles.

Quand Fatou nous accueille, je sens immédiatement que je suis face à une personne pleine d’énergie. Elle va directement au cœur du sujet pour ne pas perdre une minute qu’elle pourrait consacrer à ses élèves.
Elle nous explique que son école accueille cinq classes FLE. Quatre d’entre elles accueillent des élèves ne parlant pas du tout le français et la cinquième accueille des élèves ayant quelques bases de français.
Nous lui demandons de nous décrire une journée ordinaire de professeur de FLE. Au cours de cette description, elle utilise à plusieurs reprises l’expression «  un accueil doux ». Selon ses dires : « le rapport est quand même un peu différent de celui que j’ai avec les autres classes. (…) C’est comme une journée normale de cours. (…) J’arrive avec une leçon qui est parfois (…)un peu plus ludique.(…). On essaie de développer des activités plus communicatives, des activités plus métalinguistiques. C’est un peu comme une leçon normale. (…) Maintenant, on essaie d’avoir d’autres activités. On va regarder un film, une vidéo(…). On va peut-être faire plus de choses qu’avec les autres classes, parce qu’on les a 15 heures et c’est beaucoup, en français en tout cas. » Fatou nous explique qu’outre ses cours de français, ses élèves suivent des cours de mathématique, d’histoire, d’art plastique… En somme, un programme assez proche de celui des autres élèves bruxellois.
En réalité, la différence entre les classes pour primo-arrivants et les classes classiques ne semble pas résider dans le programme mais dans les méthodes pédagogiques et dans les qualités humaines nécessaires au quotidien. Selon Fatou : « le professeur doit parler plus lentement, être très patient, doit répéter 15 fois la même chose parce que ce n’est pas encore acquis… C’est une autre façon d’enseigner. C’est pour ça qu’il y a des formations, parce que c’est quand même assez difficile. Tout le monde, je crois, n’a pas la patience pour être prof de FLE ».
Le travail de Fatou ne se limite pas aux heures de cours traditionnelles. Elle s’occupe également de coacher les élèves ex-FLE dans toutes les matières. Ces heures de coaching assurent un suivi dans l’intégration de ces élèves après qu’ils aient quitté le programme FLE.

La journée de Fatou n’est pourtant pas encore finie. Celle de ses collègues non plus. La relation qu’ils entretiennent avec leurs élèves est particulière. Fatou nous confie que :« quand on les a 15 heures semaine c’est un peu comme le professeur de primaire, on est le référent quelque part… Un des premiers référents de l’école et c’est vrai qu’on est très maternel, en tout cas avec eux. C’est un peu mes petits chouchous très vite… J’essaie de créer une petite bulle assez confortable dans laquelle, eux  peuvent évoluer. On a pas vraiment le temps de faire ça, avec deux heures de cours dans d’autres classes, même cinq heures de cours ce n’est pas suffisant. Je pense que c’est ça la différence… ». Cette relation particulière se poursuit en dehors de la classe. Fatou nous explique qu’elle effectue un travail social auprès de ses élèves. Elle veille à ce qu’ils puissent avoir accès aux soins dentaires et médicaux. De plus, ses élèves sont parfois dans une situation précaire, elle organise donc des collectes de vêtements et de matériel scolaire (elle n’est malheureusement pas la seule dans ce cas).
Certains de ses élèves viennent de pays en guerre, notamment de Syrie, il arrive qu’ils soient traumatisés. Le centre psycho-médico-social (PMS) peut bien sûr aider ces enfants, mais seulement jusqu’à un certain point. Au-delà, les professeurs comme Fatou doivent chercher de l’aide auprès d’organismes spécialisés en psychologie.
Fatou estime que ce travail social doit représenter environs 50% de son travail. Elle nous explique que ce travail repose sur un réseau d’associations et de travailleurs sociaux à travers Bruxelles.
Fatou nous décrit son ressenti de cette situation en ces termes : «  Je dirais que la plus grande difficulté, en tout cas personnellement , c’est la difficulté psychologique. La difficulté de ne pas trop se perdre dedans parce que c’est dur ! Ils ont tous des situations très… Pour certains, des situations très dramatiques et c’est dur de ne pas y penser la nuit. C’est dur de ne pas pouvoir les aider plus que ce qu’on fait. C’est plutôt ça, en tant qu’enseignants,  prendre toutes les histoires qui sont parfois très violentes… Alors qu’ils sont super chouettes en classe, qu’ils sourient toute la journée… On est très loin de pouvoir imaginer qu’ils ont vécu des choses horribles… C’est plutôt ça qui est difficile. Surtout ceux qui viennent de pays en guerre… Ce n’est pas toujours facile de pouvoir gérer les histoires qu’on entend. Et on essaie donc de prendre une distance. On essaie justement de pouvoir déléguer un peu à d’autres personnes… De pas être la seule personne qui puisse s’occuper de leurs cas difficiles parce que sinon, on ne dort pas…».

L’engagement de Fatou et de ses collègues suffira-t-il ? L’enseignement, qu’il soit FLE ou classique devrait rester une priorité. Pour Fatou, tout n’est pas négatif dans le paysage politique pour autant. Elle salue la mise en place de nouveaux programmes visant à aider la famille entière dans son apprentissage du français et dans ses démarches administratives.

Julie Van Ham