Notre groupe ayant prévu d’exploiter plusieurs terrains, le mien portait sur la distribution à des fins de remplissage du questionnaire en ligne. Face aux aléas de la technologie, j’ai dû me résoudre à aller effectuer des entretiens sur le terrain. Me voilà donc Samedi 23 Avril à Jette dans les locaux de la « Plateforme citoyenne d’aide aux réfugiés de Bruxelles ».
Ma première impression est que rencontrer des gens donne une toute autre dimension, une bien plus percutante. Imperceptible à travers un questionnaire rempli en ligne ou qui t’est envoyé par mail. Et j’ai l’impression que cette dimension interactive et sociale est renforcée tant pour nous les enquêteurs que les enquêtés.
D’un point de vue personnel, cette journée m’a poussée à revoir ma vision pessimiste et cynique du monde dans lequel nous vivons. Dans cette ère régie par les réseaux sociaux, où le voyeurisme et le narcissisme ont la cote, les personnes s’engageant de manière bénévolesont une exception qui déroge à la règle.
Je pense que pour les enquêtés, nos questions leur ont aussi permis de pouvoir exprimer certaines choses que notre présence rendait propices à exprimer. Ce qui me fait dire que cet individualisme dans notre société a aussi de bons côtés. Car sans lui, les critiques émises par l’entourage de certains enquêtés, ne leur aurait pas permis de s’affranchir du regard de cet entourage afin d’aller s’engager auprès des migrants, sans leurs conjoint(e), enfants, famille.
En effet, au fil des questionnaires la confiance s’installe. Me voilà entre deux réponses en train de faire connaissance, ce qui me permet d’en apprendre un peu plus sur leurs parcours et origines diverses des uns et en sachant un peu plus sur les motivations toutes aussi diverses des autres. Des gens de mon âge, d’autres plus jeunes, et la plupart d’un âge intermédiaire et avancé. Tous animés par la même volonté ; celle d’aider « ceux qui en ont le plus besoin ». Cette aide n’est pas que matérielle (toit, vêtements…), elle aussi d’une nature technique (briefing sur les protocoles à adopter, mise au courant de la législation en vigueur, ajustement face aux nouvelles décisions adoptées…), et morale (traducteurs, dessins, livres…). L’ambiance est collégiale et reste détendue. Ce malgré la gravité de la situation des personnes à qui l’aide est apportée, et le côté presque héroïque des actions réalisées. Par moments, la frustration et une sorte de colère sont aussi palpables. Est évoqué l’exemple de ces : « enfants syriens laissés dans un centre sans traducteur…dans les Fagnes…dans une zone néerlandophone ». « Déjà que les démarches administratives sont compliquées en français et il est difficile d’aider ces personnes sans traducteur ; alors en Néerlandais, je vous laisse imaginer.» « Bien sûr, cela n’est pas fait exprès ! ». Me dit-on avec un ton ironique et une irritation bien visible.
Après une journée passée dans les locaux de la Plateforme, les deux grandes motivations qui tenaient le haut de l’affiche étaient qu’il était nécessaire de remplir le vide laissé :
- soit par les politiques, « il est impératif pour la société civile de ne pas rester à la marge de cette crise » ; « dirigé par des fachos [sic], il faut bien que l’on fasse quelque chose vu qu’eux n’ont pas l’air de vouloir le faire»
- Soit par l’entourage à l’image de cette interviewée, incomprise par ces parents – « immigrés» elle tient à le préciser – qui ne comprennent pas son engagement en faveur des migrants. Qu’elle justifie par le fait qu’elle n’oublie pas ce que furent ces parents, mais aussi parce que ce bénévolat lui apportait des choses qu’elle n’aurait pas pu se payer. À savoir des sourires d’enfant, des remerciements, la joie dans les yeux d’enfants du même âge que les siens.
In fine, ce fut pour moi une expérience enrichissante. À tel point qu’arrivé là avec une perception neutre de ce que font ces bénévoles, j’en suis parti avec une perception positive. Arrivé là comme objet étranger, j’étais devenu un meuble à la fin de la journée. Vouvoyé à mon arrivée, à mon départ je fus tutoyé. Arrivé là pessimiste, j’en repartais optimiste. Arrivé comme enquêteur, j’en suis reparti comme potentiel bénévole.
Idrissa Kaba