« Bonjour Yolande, puis-je vous enregistrer durant notre entretien ? » – « Thomas, j’ai connu quelques galères en tant que réfugiée, tu ne vas quand-même pas me faire croire que tu n’as pas le courage de prendre note de mes réponses ? ». Tel était mon premier contact avec cette surprenante femme d’origine burundaise qui travaille désormais comme comptable chez Caritas.
Yolande U. s’est faite rattraper par la guerre à chaque fois qu’elle tentait d’y échapper : en 1994, Yolande fuit la guerre civile burundaise et se réfugie au nord, au Rwanda. Sentant le vent tourner, elle décide de fuir le Rwanda en février 1994, juste avant que le génocide n’éclate sur place. Yolande met ensuite le cap sur la République Centrafricaine. « C’était une période difficile pour moi car, malgré les études que j’avais faites, on me traitait comme une « moins que rien » et on me pointait sans cesse du doigt. » En 1999, le sort semble s’acharner sur Yolande. Des troubles émergent en effet en Centrafrique, une grenade tombe même sur la paroisse qui l’abrite, la condamnant une nouvelle fois à s’exiler. Comme quoi, il ne suffit pas de fuir, encore faut-il fuir dans le bon sens ! C’est donc en 1999, juste après son mariage, que Yolande pose ses valises ici en Belgique, seule.
Après avoir fui la guerre, un nouveau parcours du combattant s’offre à Yolande. Il s’agit d’un parcours qu’elle prend très au sérieux, mais avec un optimisme à toute épreuve. « Dès mon arrivée, la Belgique m’avait offert un sentiment de sécurité. Peu importe les obstacles que j’allais désormais devoir affronter, je les surmonterai, car j’avais enfin cette sécurité que je recherchais. » Yolande est rapidement expulsée de son centre d’accueil à Rixensart, livrée à elle-même pour trouver un nouveau logement. Yolande désire travailler comme comptable, mais on lui impose de reprendre les études en première année, faute d’équivalences de diplômes… Son mari la rejoint en 2001, et ses trois grossesses successives ne l’empêcheront pas de réussir ses années d’études en comptabilité. Après avoir difficilement trouvé un stage de fin d’études, Yolande ne parviendra pas à trouver un emploi. « Je voulais cependant être active, me vider la tête, sortir de chez moi, j’ai donc fait des années de bénévolat dans divers domaines ». En 2009, Yolande devient comptable bénévole chez Caritas, avant de décrocher son premier contrat dans cette même ONG en tant que comptable, un an plus tard.
C’est avec fierté que Yolande me dit qu’elle est aujourd’hui une femme belge, mariée, bilingue et mère de trois enfants. Elle est employée chez Caritas et a son petit chez-elle. Mais elle se dit avant tout en sécurité ! Son parcours ne s’arrête cependant pas là, car Yolande est désormais prête à tendre la main aux nouveaux arrivants : « Je me rends désormais dans des centres d’accueil uniquement pour écouter les nouveaux arrivants. On oublie souvent qu’ils ont besoin de vider leur sac, d’extérioriser. Je suis là pour eux ».
Yolande est de nature très optimiste, durant les deux fois où je l’ai rencontrée, elle était accompagnée d’un grand sourire et d’une bonne humeur. Elle estime avoir eu énormément de chance depuis son arrivée en Belgique, d’avoir pu suivre des études, de trouver un logement, un travail et surtout ce sésame qu’est a sécurité. Mais c’est la gorge nouée qu’elle me fera part du revers de la médaille : « Quand je retourne au Burundi, on me traite comme une étrangère et non comme une burundaise. J’ai gagné énormément de choses depuis mon arrivée en Belgique, mais j’ai perdu pas mal d’éléments en route : ma patrie, mon identité, je ne suis plus chez moi. Je ne suis plus africaine, je ne suis pas européenne, j’ai perdu ma personnalité et ma culture depuis que je suis réfugiée. Que dois-je raconter à mes enfants ? Qui sont-ils ? ».
Avant de me quitter, Yolande souhaite faire passer un message aux nouveaux arrivants : « Battez-vous pour ce que vous voulez. Ce sont des années difficiles qui vous attendent, mais les choses ne tomberont pas du ciel et le combat se fait seul, donc battez-vous ! » Ceci est le message d’une battante toujours souriante qui a soulevé des montagnes tout au long de sa vie. Merci Yolande U. de vous être livrée à moi !
Thomas REGNIER