« L’élite, c’était nous quoi »

Cet été, la vague migratoire massive qui a déferlé à Bruxelles – « massive », c’est selon nous dira-t-on – a suscité un vaste mouvement citoyen. Solidarité, soutien, énergie. Les bénévoles se sont précipités au Parc Maximilien pour dire «  oui » aux réfugiés dont le périple jusqu’ici, parsemé de « non » aux abords de nombreuses frontières européennes, semblait enfin s’achever sur une note positive.

Mouvement citoyen disions-nous, porté par la oh combien médiatisée « Plateforme citoyenne ». Elle a été à l’initiative du rassemblement et du déploiement de milliers de bénévoles au sein du parc bruxellois où convergeaient les réfugiés en quête d’abri et de nourriture. Cette plateforme générée par la volonté de jeunes étudiants, citoyens, souhaitant accueillir décemment le flux des déplacés, est, de l’avis de tous, une formidable manifestation de solidarité. Durant un mois, voire un peu plus, les réfugiés sont passés par « le camp ». Piloté par la « Plateforme citoyenne », celui-ci regroupait en son sein d’autres associations bénévoles et institutionnelles. Parmi celles-ci, un collectif de sans-papiers, dont au final le rôle crucial est quasiment passé sous silence.

Des migrants de l’ombre, en opposition aux réfugiés qui malgré eux, et bien trop souvent sous des aspects peu glorieux, ont été sous les feux des projecteurs médiatiques et politiques. Ces personnes ont répondu à l’attente d’autres migrants, qui, comme eux, hier, étaient dans le besoin. Ils ont agi comme des citoyens, au même titre que les nombreux bénévoles qui ont afflué au parc. Ils ont pris d’assaut une citoyenneté qui leur est refusée depuis plusieurs années. Sous la bannière du Collectactif, ils ont cuisiné des journées entières pour les centaines de précarisés qui se sont réfugiés au camp.

Les deux pionniers, au départ solidaires, désireux d’apporter aux réfugiés l’aide que leur déniait un État démissionnaire, acculés par la pression politique, ont achevé leur prodigieuse aventure de solidarité sur une discorde. La fermeture du parc qui sonne la fin de l’entreprise commune, n’étant pas voulue par les sans-papiers, mais souhaitée par la « Plateforme citoyenne », semble être l’apogée d’une série de divergences, surtout politiques. Les autres acteurs présents sur le Parc, affirment qu’ils comprennent les raisons des deux parties. «C’était plus possible, ça devenait ingérable» assure Y., de la Plateforme.

Les sans-papiers, estiment qu’ils ont trop souvent été écartés des négociations avec les instances politiques. Ils ajoutent également que trop de décisions étaient prises de façon unilatérale par les membres de la Plateforme qui se sont arrogés le pouvoir, sans avoir été élus. «  L’élite c’était nous quoi » raconte F. de la Plateforme, un propos qui reflète la façon dont se percevait la Plateforme. Cet aspect non démocratique de s’octroyer les prises de décision au sein du camp dérangeait. De plus, les sans-papiers, apparemment trop peu consultés, estiment que leur expérience d’anciens réfugiés aurait pu être bénéfique lors des négociations politiques. A tout cela la Plateforme rétorque qu’elle était un mouvement citoyen, qui donnait la possibilité à tous, lors des assemblées générales qu’elle tenait quotidiennement, de s’exprimer sur la façon de gérer le camp, mais aussi sur la question des réfugiés.

Il semblerait qu’une lutte de pouvoir au sein du camp ait relégué au second plan les revendications politiques à l’origine des négociations avec la classe politique. La coordination interne qui aurait du naître entre les différentes associations n’a probablement pas pu voir le jour. Ces conflits, auraient pu être évités annoncent les protagonistes, s’ils avaient établi une charte, discuté au préalable des objectifs communs qu’ils poursuivraient lors des négociations politiques, aussi bien sur la question des réfugiés que sur les revendications des sans-papiers qui percevaient le parc comme une tribune médiatique, un moyen de propulser leur lutte au devant de la scène, car comme souvent entendu « les réfugiés d’aujourd’hui sont les sans-papiers de demain ».

Les leçons tirées de ce que nous avons identifié comme une mésentente et une désorganisation due au manque de collaboration entre les différents pôles sur le parc, serviront peut-être, comme l’espèrent les différents instigateurs de l’ancien camp si un tel événement survient à nouveau. Si c’était à refaire, ils le referaient. En mieux.

I MDM 

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