Gai. C’est le mot qui pourrait résumer l’impression que les professeurs ont des classes passerelles où les primo-arrivants sont placés en venant en Belgique (appelées DASPA depuis les années 2000).
Gai, parce que les professeurs que j’ai pu rencontrer croient vraiment en ce projet.
Gai, parce que la motivation des jeunes immigrés, leur soif d’apprendre que j’ai pu observer en classe permet aussi d’y croire.
Bien sûr tout n’est pas simple. Les professeurs décrivent un quotidien fait de lenteur, de répétitions et d’incompréhensions. Ils doivent faire face à des familles et des enfants en manque de repères. Il faut se battre chaque année pour obtenir les crédits d’une classe DASPA.
Mais ils n’échangeraient pas leurs classes avec d’autres.
Lorsque l’on s’intéresse à leurs sentiments, cette passion interpelle. Mais quand ils m’ont raconté l’année typique en DASPA, j’ai compris.
D’enfants cassés, brisés qui ont parcouru l’Europe, fui la guerre ou des situations économiques désastreuses, ils font des élèves intégrés, alphabétisés, des nouveaux Belges.
Septembre commence difficilement, par gestes, mimes et images. Ils ne se comprennent pas, ne peuvent pas parler ensemble, ni même jouer. C’est le silence dans la classe.
Et puis, la transformation commence.
Petit à petit, ils font leurs premiers pas dans notre société. Ils appréhendent ce nouveau système, cette nouvelle langue, cette nouvelle culture et ce nouveau mode de vie. Les enseignants voient alors apparaître ce que les autres ont si facilement : une classe avec ses bruits, ses bavardages, ses disputes et ses réussites.
Noël arrive et les nouveaux élèves se débrouillent maintenant.
Le reste de l’année leur permettra de finir une remise à niveau impressionnante de rapidité.
Tout semble fonctionner à merveille.
Alors, évidemment, il y a des échecs. Il y a des enfants dont la déscolarisation, le retard ou l’âge trop avancé bloquent dans l’apprentissage. Mais les professeurs refusent de condamner le système entier. Et ils me donnent des exemples : la petite du 2e rang qui ne savait pas lire il y a quatre mois et qui est devenue la meilleure de la classe, le petit au fond qui ne savait pas rester assis il y a trois semaines et qui copie religieusement sa leçon sous mes yeux, la grande qu’on a envoyée en mars dans une autre classe parce qu’elle allait trop vite… Ces enfants, leurs motivations et leur évolution, permettent aux professeurs que j’ai rencontrées de croire que le système des DASPA est une réussite et d’y croire d’année en année.
Un autre système fonctionnerait-il ? Peut-être, sans doute même. Finalement, il me semble que la motivation couplée des professeurs et des élèves est la clé de l’apprentissage et de l’intégration réussie. Si les enfants primo-arrivants ont cette volonté singulière, c’est peut-être qu’ils ont déjà trop perdu durant leurs expériences passées. Si les professeurs ont cette foi remarquable c’est peut-être qu’ils côtoient des situations qui ne laissent pas de place au doute et au statisme.
Le système n’est pas idéal, comme tout système. On apprécierait plus de moyens dédiés aux soutiens et remédiations pour les anciens primo-arrivants. On envisagerait avec joie une hausse d’effectifs pour organiser des classes à plusieurs professeurs. On verrait l’intérêt de travailler avec des spécialistes de didactique, de phonétique ou de logopédie.
Comme tout système réel, le concret se distingue du modèle. Et si le système fonctionne actuellement du point de vue des professeurs, il semble revenir aux politiques de permettre son amélioration, pour que l’Article 24 de la Constitution belge qui énonce le Droit à l’Éducation puisse prendre son sens le plus développé.
Sophie Aumailley