Des écoles ont depuis longtemps accueilli des élèves « primo-arrivants », et cela bien avant la loi DASPA de 2012. Au fil des vagues d’immigration successives en Belgique, ce furent les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Marocains, les Polonais, ou encore les Roumains… Cet accueil se faisait surtout, et se fait toujours essentiellement, dans les écoles implantées dans des quartiers historiquement peuplés par les immigrés à Bruxelles. Lesquels ? Les environs de la Gare du Midi et de la chaussée de Mons, ou encore le quartier de la Cage aux Ours à Schaerbeek.
Mais avec la situation au Moyen-Orient et la récente crise migratoire à laquelle l’Europe fait face, l’afflux d’élèves primo-arrivants accueillis par nos écoles est en grande majorité arabophone, provenant pour la plupart d’Irak et de Syrie, et fuyant la guerre. Cette nouvelle vague d’immigration en Europe bouscule aussi la constitution de ces classes passerelles en Belgique, qui se chargent d’intégrer les enfants primo-arrivants dans le système scolaire belge, notamment avec des cours de Français renforcés. Il fut une époque où ces classes étaient cosmopolites. Pour communiquer entre eux et dépasser leurs différences, les élèves étaient obligés de parler le Français. Aujourd’hui cela a changé: cette nouvelle majorité arabophone freine et ralentit cet apprentissage, les élèves ressentant sinon le besoin, l’envie de communiquer dans leur langue maternelle comme au pays qu’ils ont dû quitter.
Au-delà de cette difficulté linguistique, les enfants déscolarisés arrivant de pays en guerre font face à des problèmes d’adaptation particuliers. Être assis sur une chaise toute la journée et écouter le professeur sont des choses qu’ils ont oubliées. Évoquons la surprise de cette enseignante dans une école de Wallonie, située à proximité d’une base aérienne, lorsqu’au décollage d’un avion de chasse, la moitié des élèves de sa classe se sont précipités sous leur pupitre dans la crainte réflexe d’un bombardement. L’absentéisme est également un problème que les écoles doivent davantage gérer. Un élève syrien, déjà orphelin de mère et venu rejoindre son frère à Bruxelles, n’est plus venu à l’école pendant deux mois après avoir appris le décès de son papa. Ce dernier était resté en Syrie et avait été kidnappé par l’État islamique avant d’être décapité sur la place publique. A son chagrin s’ajoutaient l’inquiétude et un sentiment d’impuissance, puisque ses deux petites sœurs de douze et treize ans étaient restées là-bas, exposées au danger d’être mariées de force, ou pire, par l’organisation terroriste.
A côté de cela, nous assistons à une motivation particulière chez beaucoup de ces élèves primo-arrivants. Un enseignant me racontait comment au début de sa carrière, il ne pouvait s’empêcher de céder à la demande de trois frères albanais ayant fui la guerre du Kosovo qui lui réclamaient avec envie au détour d’un couloir de remplacer leur professeur absente : « Cours monsieur s’il vous plaît ! », après avoir passé l’essentiel de leur scolarité enfermés dans un placard à balais par leur enseignante serbe. Une autre élève albanaise, emmenée par sa mère qui cherchait à échapper à la violence de son mari et de la mafia locale, affichait 95% dans quasiment toutes les matières à son arrivée. Elle a pourtant dû affronter les réticences de l’établissement de son choix, avant de finalement pouvoir l’intégrer grâce au soutien et à l’appui du coordinateur DASPA de la première école dans laquelle elle s’était rendue.
Autant de situations différentes qui témoignent des difficultés d’intégration que peuvent rencontrer les enfants dans cette crise migratoire.
Michaël Boumal