Aujourd’hui j’ai un rendez vous au centre ville, mais il pleut et, en toute honnêteté, je ne souhaite pas devoir faire face aux nombreux dilemmes de mobilité dont regorge notre centre ville. Pourtant, à contre cœur, je me lance. En arrivant enfin sur place je suis consterné par la triste ambiance qui règne au pied de la Bourse, la grisaille du piétonnier me fait frissonner tant il est exempt de vie, hormis les quelques touristes qui déambulent cachant leur triste mine sous les parapluies ployant contre le vent. Mais je me reprends en me rappelant que l’heure n’est pas à la tergiversation sur ce triste constat, car je suis une fois de plus en retard. D’un pas pressé, j’évite les flaques et les dalles mal fixées pour rejoindre mon amie et notre interlocuteur du jour dans un bar bien connu des zythologues ou plus communément biérologues.
Passant à peine le pas de la porte je suis surpris par l’ambiance si chaleureuse régnant au sein de cet établissement en cette heure matinale. J’entrevois notre interlocuteur et mon amie discuter le sourire aux lèvres, cette dernière relève la tête et me fait un petit geste de la main pour me convier à leur table. Enfin un peu de chaleur en cette journée froide et pluvieuse; quel contraste avec le monde extérieur. Notre interlocuteur fait partie d’un collectif ne s’appelant autrement que Collectactif. Ce sont eux qui sont à l’initiative de la cuisine constituant le centre névralgique du parc Maximilien lorsque celui-ci abritait de nombreux réfugiés.
Le membre de ce collectif m’explique qu’ils sont en tout et pour tout six sans-papiers œuvrant à faire vivre l’association. Ebahi par leur faible nombre, je suis d’autant plus intrigué de percer les divers objectifs incitant le collectif à accomplir des tâches telles que la construction et la gestion d’une cuisine en plein centre d’un camp de fortune. Mon amie le questionne sur la motivation initiale quant au rôle que l’association entendait jouer au sein du parc. Il nous explique alors leur volonté d’aider les réfugiés au sens large et l’intérêt que leurs expériences personnelles passées pouvaient apporter à ceux qui, comme eux quelques années auparavant, faisaient la file devant l’office des étrangers.
Par ailleurs, alors que le camp dans le parc n’était qu’à son bourgeonnement, ils ne pouvaient rester indifférents aux gaspillages en tout genre et principalement à celui de nature alimentaire. En effet, dû au foisonnement soudain de dons en lien avec la prise de conscience tout aussi soudaine, les organes s’attelant à la gestion du parc ne pouvaient plus faire face à cet afflux disproportionné. Dès lors la construction d’une structure digne de ce nom s’imposait pour faire face aux innombrables défis. Celle-ci servait de cuisine, de salle à manger mais plus important encore, d’endroit de socialisation. En effet, en son sein travaillaient les membres de l’association qui étaient aidés par des bénévoles et des sans-abris sans oublier des jeunes « mal vus » de Schaerbeek. De plus au milieu des fourneaux, les membres du collectif s’attelaient à responsabiliser les réfugiés venus de tout bord en leur demandant d’effectuer des tâches variées comme la vaisselle par exemple. Car bien que ne possédant pas de papiers, ceux-ci mettent un point d’honneur à inculquer aux nouveaux arrivants des valeurs citoyennes afin de favoriser le vivre-ensemble ou plutôt devrais-je dire, le construire ensemble.
Voyant mon intérêt manifeste il m’explique alors leur lutte pour changer l’image des sans-papiers et des migrants. Entre deux phrases, je perçois l’étincelle dans ces yeux lorsqu’il évoque l’idée d’une régularisation. Celle-ci serait-elle l’objectif moteur sous-jacent à toute initiative ? Il me parait indéniable que cette perspective soit source de motivation depuis le lancement du collectif il y a de ça quelques années, comme il est évident que l’objectif poursuivi a gagné en profondeur et spiritualité au cours du temps. Que le concept de citoyenneté soit porté aux nues par des sans-papiers me semble être un paradoxe interpellant qui devrait nous amener à repenser et à refondre la façon dont nous vivons notre citoyenneté trop souvent galvaudée.
Sam Bermann