La migration est un phénomène qui a toujours existé. Elle n’a cependant pas toujours été perçue de la même manière. Le projet « Temps Migratoires » a eu pour objectif de réfléchir à l’influence des trajectoires migratoires sur la perception actuelle de la migration par des citoyens issus des migrations précédentes. Si les quinze intervenants des différentes communautés – polonaise, portugaise, italienne, camerounaise et congolaise – ont des traits en commun au niveau de leur expérience migratoire, ils ont cependant affiché des opinions très diversifiées, et ce, que cela soit entre les communautés ou au sein même de celles-ci quand il fut question d’aborder leur perception de l’arrivée des nouveaux « migrants ».
A qui le droit de migrer ?
Alors que la majorité des intervenants ont souligné que « tout le monde devrait pouvoir migrer là où il le désire », certains ont précisé que cela ne pouvait s’inscrire que « dans un monde en paix » ou encore « dans des conditions idéales ». Cependant, pour Rocco « il y a beaucoup de difficultés dans l’immigration économique, sauf si le pays d’accueil a besoin de main-d’œuvre ». Pour d’autres encore, il fut bon de souligner que cela dépendait du pays d’accueil. « Tout le monde peut migrer où il veut à partir du moment où la population locale ne s’y oppose pas, » insiste Igor, le plus jeune des intervenants.
Igor est également celui qui adopte l’attitude la plus hostile envers les nouveaux arrivants. Il les perçoit plus comme « des immigrés économiques » que comme des « réfugiés » et ne les voit pas comme des gens qui « souhaiteraient s’intégrer » mais plutôt « imposer leur culture ». Lorsqu’il s’agit de la question « migrants ou réfugiés », une partie des intervenants sont fermes: il s’agit de réfugiés et non pas de migrants. Et Maria Fatima de rajouter « c’est des êtres humains, on ne parle pas de meubles qu’on jette quand ils sont cassés dans la cave ». De plus, pour Lucie, il faut également se demander ce qu’est un « immigré économique ».
Une politique anxiogène et des médias qui cristallisent
« Ce qui me dérange, c’est que je commence à avoir peur » – dit Urszula. Pour Emmanuel et d’autres, c’est davantage le discours politique et médiatique qui tend à nous influencer. D’ailleurs, la plupart des intervenants pointent du doigt les politiques quand il est question de l’accueil des personnes qui arrivent. Pour Agnieszka,« c’est un phénomène qui a échappé à notre contrôle », tout en rappelant l’importance du contexte. Ainsi, les représentants de l’Est sont unanimes: « c’est la faute de tout le système politique ». C’est un point de vue partagé par les Congolais qui considèrent que « l’Europe est incapable de faire face à ce qu’elle a provoqué ». Ils affirment que le problème est lié à la politique étrangère et qu’aucun politicien n’est réellement prêt à revenir sur les causes à l’origine de ces « migrations » – position qui rejoint celle de Martino : « Je suis d’avis que nous devrions améliorer les conditions des pays d’origine […]. Les États-Unis mettant en œuvre une politique impérialiste, nous ne pourrons jamais oser les empêcher ». Lucie revient également sur les propos de Théo Francken qui « s’est levé pour aller à l’aéroport, se félicitant qu’un groupe d’Irakiens décident de rentrer chez eux. Mais il ne se pose pas la question « pourquoi ? ». Il y a des gens tellement désespérés, tellement déshumanisés, que même s’ils ont eu une décision positive quant à leur droit d’asile, ils préfèrent mourir chez eux en tant qu’humain que d’être traité comme des chiens. »
Quant aux médias, « quatrième pouvoir », ils n’aideraient pas à mieux comprendre la situation. Ainsi, Martial et d’autres jugent que « les médias cristallisent la situation et repassent en boucle les mêmes informations, ce qui créé un sentiment anxiogène de la question de la crise migratoire ». Pour Matteo, « c’est normal [l’immigration] […] donc cela m’embête beaucoup quand les médias parlent d’exode ». Pour lui, « il n’y pas des grands bouleversements par rapport à l’arrivée des nouveaux migrants », il considère donc qu’on ne peut pas vraiment parler de crise, tout en soulignant que les différentes catégories peuvent se combiner, « les classifications ne doivent pas être utilisées d’une manière trop serrée, on peut migrer tant pour des raisons économiques, que climatiques». D’autres, comme Carine, vont jusqu’à les requestionner : « Honnêtement pour moi, commencer à segmenter l’immigration, je n’ai pas que ça à faire. Il faut plutôt essayer de trouver une solution pour que l’immigration s’arrête ». Elle est appuyée par Martial qui considère que « ces mots ne veulent rien dire ». Il y a donc de la part de nombreux intervenant une certaine méfiance envers les médias, comme l’exprime Edna, « les média je me méfie, ils peuvent montrer ce qu’ils veulent ».
Pour une critique de l’approche par communauté…
Si une majorité des intervenants semble favorable à l’arrivée des migrants au vu du « chaos » que connaissent les pays d’origine, il n’est néanmoins pas possible de faire ressortir au sein d’une même communauté un discours unanime sur la question. Entre les « je ne pense pas qu’on puisse avoir trop d’immigrés » et les « il y en a de trop », « on n’en veut plus », difficile de faire mettre en avant des similitudes. « C’est une concurrence pour moi, c’est pas un avantage parce que avant on vivait sans eux » ; « cette vague-ci n’est pas vue comme une concurrence » ; « on ne peut pas penser à une comparaison » – tant de phrases qui partent dans des directions opposées. Au regard de ces quinze intervenants, les différentes communautés semblent donc se débattre entre le pour et le contre, sans réelle cohérence. Mais c’est peut-être la question même de la « communauté » qu’il faudrait reconsidérer, sachant qu’elle conduit à la réintroduction de frontières entre les différents individus.
Laurence Grun, Robert Majewski, Marie-Ange Onana, Vittorio Russo, Amadeo Vandenheede
Avril 2016