Afin de contrôler les flux migratoires, les États européens se mobilisent depuis des décennies pour maîtriser l’arrivée de migrants. Des structures d’accueil sont alors mises en place et en 1989 la Croix-Rouge devient auxiliaire de l’État belge, officiellement mandatée par celui-ci.
Avec le conflit syrien et la crise migratoire qui s’en est suivie en 2015, la Croix-Rouge a dû faire face à une arrivée importante de réfugiés et une augmentation du nombre de demandeurs d’asiles. En quelques mois seulement, elle a triplé sa capacité d’accueil passant de 3000 à 9000 places en CADA (Centres d’Accueil de Demandeurs d’Asile) à la demande du gouvernement. La question était donc de comprendre comment le travail des salariés de la Croix-Rouge est impacté par les décisions politiques en matière de demande d’asile.
Pour dégager une compréhension globale du travail social effectué dans les centres d’accueil, notre choix s’est concentré sur les directeurs et les assistants sociaux bien que d’autres professions soient représentées. Les travailleurs sociaux sont au plus proche des demandeurs et de la procédure d’asile. Les directeurs quant a eux, assurent la gestion quotidienne des centres d’accueil et font le lien entre les pouvoirs publics et les centres. Afin de comprendre leur travail quotidien, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs avec ces personnes et de courtes observations directe, lorsqu’il nous était possible de visiter les centres.
En tant qu’acteur non-gouvernemental et neutre, nous nous sommes demandé comment la Croix-Rouge appliquait ces politiques afin d’assurer ses missions tout en respectant le cadre légal et les politiques belges. La mesure principale est la « loi accueil » du 12 janvier 2007, laquelle répond aux besoins élémentaires que sont l’hébergement, la nourriture, l’hygiène et l’habillement.
Les actions de la Croix-Rouge sont donc mandatées et financées par l’organisme d’intérêt public Fedasil. Cette relation ambiguë d’auxiliaire de l’État ne permet pas toujours aux travailleurs d’appliquer au jour le jour les sept principes prônés par la Croix-Rouge qui sont les suivants : Humanité, Impartialité, Neutralité, Indépendance, Volontariat, Universalité et Unité. Les travailleurs s’adaptent néanmoins aux décisions et les financements fixés par l’État et persistent à faire prévaloir les principes liés au respect de l’être humain. La Croix-Rouge dépasse le cadre de son mandat pour pouvoir être fidèle à ses valeurs humaines. L’association n’exécute pas seulement les étapes de la procédure de demande d’asile, mais elle accomplit aussi un travail d’accompagnement humain rapproché. Le travailleur social retrace le parcours du demandeur et l’accompagne dans son projet de vie, quelque soit le verdict à l’issu de la demande ou de recourt.
Avec la crise migratoire de 2014-2015, les travailleurs sociaux des CADA sont de plus en plus soumis à la logique des critères d’éligibilité ou du cadre procédural de demandes d’asile imposés par les décisions politiques. Le travail social est donc impacté par les obligations administratives, liées aux exigences des réformes politiques en matière de demande d’asile. Le travailleur social peut donc être amené à réprimer ses principes humanistes afin d’appliquer des directives avec lesquelles il n’est pas toujours d’accord. Ce ne sont d’ailleurs ni le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, ni le Secrétaire d’État qui se chargent d’annoncer leur décision aux demandeurs d’asile.
Notre enquête nous a permis d’analyser l’impact de ces politiques publiques sur le travail des personnes de terrain. De ces travailleurs qui pallient au manque et aux contradictions des décisions politiques, souvent partagés entre le respect du cadre légal et l’aide sociale et humaine. Nos rencontres nous ont permis de discerner le quotidien de la Croix-Rouge dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile à Bruxelles et en Wallonie.
Claire Billion, Lesley Chen, Lena Hatto, Rachel Tshinza, Laura Verbeke