Déconstruire les préjugés : Du migrant anonyme à l’individu

« C’est une vague d’immigration sans précédent ! » « On va être envahi par des terroristes. » « Notre identité nationale est en danger. » « Ils viennent profiter du système. » Dans un contexte d’incertitude et de peur de « l’autre », les préjugés envers les réfugiés sont légion et je dois admettre qu’avant notre enquête de terrain, je ne faisais pas exception. Tout le monde a son avis sur la question des migrants, mais en avez-vous déjà rencontré ?  Vous êtes-vous déjà penché sur leur histoire ? J’entends par là leur histoire individuelle, et non pas celle du conflit syrien.

On nous dit souvent « ils prendront les boulots dont les Belges ne veulent pas ». Pour ma part, lorsque l’on me parlait des réfugiés, j’avais donc cette image de « pauvres » victimes, de « pauvres » personnes à faible capital culturel qui allaient, en effet, prendre les emplois dont personne ne veut ici. Dans le cadre de notre enquête de terrain sur la crise des migrants, j’ai eu l’occasion de participer au projet Housing Café organisé par Caritas International. Là-bas, je me suis rendu compte à quel point j’avais des idées fausses, et à quel point j’avais moi-même bien besoin de renforcer ce fameux « capital culturel » ! J’ai discuté avec diverses personnes, et il s’est avéré que pratiquement toutes avaient fait des études ou comptaient en faire (pour les jeunes en tout cas). Des jeunes qui souhaitent faire des études d’ingénieur, de littérature ou encore de commerce, aux grands magistrats et journalistes, les beaux profils se succèdent parmi les réfugiés.

Une étude réalisée par Caritas International en 2014 confirme d’ailleurs cette impression et a montré que 68% des répondants possédaient un diplôme d’études secondaires ou d’enseignement supérieur, mais que seulement 17% avaient demandé une équivalence de diplôme. En effet, le coût, le temps d’attente très long, et le fait que nombre d’entre eux ne possèdent pas leur diplôme original et ne peuvent en demander une preuve en raison de la situation dans leur pays d’origine en découragent plus d’un  (CARITAS 2014 : 13-14). Nombre de réfugiés obtiennent alors un emploi sous le fameux « article 60 ». Malheureusement, il s’agit souvent d’emplois physiques sans compétences particulières nécessaires et  ne correspondant souvent pas aux profils des réfugiés.  Ainsi, je commence à comprendre d’où me venait cette idée fausse du réfugié  à « faible capital culturel ».

Migrants pass through the border from Greece into Macedonia near the town of Idomeni, Northern Greece, on Aug. 22. (Sakis Mitroldis/AFP/Getty Images)
Migrants pass through the border from Greece into Macedonia near the town of Idomeni, Northern Greece, on Aug. 22. (Sakis Mitroldis/AFP/Getty Images)

Il est évident que les médias contribuent à alimenter les préjugés et la peur de l’autre. En effet, ces derniers véhiculent une représentation visuelle standardisée des migrants à travers des images de marées humaines, d’anonymes en masse. Ce phénomène n’est pas sans rappeler la théorie de Liisa Malkki selon laquelle les pratiques humanitaires « universaliseraient » les personnes déplacées en « réfugiés » (perçus comme des « victimes pures »). Les causes politiques, historiques et culturelles de leur situation seraient reléguées au second plan, voire purement ignorées. D’après Mme Malkki, les pratiques des organisations humanitaires tendent ainsi à faire taire les réfugiés (CULTURAL ANTHROPOLOGY 1996).  Il me semble que l’on pourrait élargir cette théorie aux médias. Selon moi, ces derniers devraient rendre la parole aux migrants et nous permettre d’écouter leur histoire. Si ces personnes pouvaient s’individualiser, peut-être que les Belges pourraient  davantage s’identifier à eux. Il est, en effet, plus facile de faire preuve d’empathie et d’altruisme face à des parents, des enfants, des frères et sœurs, des personnes qui ont leur histoire propre, que face à des anonymes.

Pour conclure, peut-être y aurait-il moins d’idées préconçues et de peur de l’autre si les médias permettaient aux réfugiés de sortir de leur anonymat. En effet, il est plus facile de s’identifier à un individu qu’à une masse de migrants anonymes. Ainsi, la peur laisserait place à l’empathie. Car ce n’est pas aux migrants qu’il faut faire la guerre, mais aux préjugés. Et comme Chamfort l’avait déjà si bien dit au 18e siècle: « Quiconque a détruit un préjugé, un seul préjugé, est un bienfaiteur du genre humain. »

Charlotte MAUQUOY

Bibliographie                                                    

CARITAS
2014
Réfugié ch. Travail

Résultats d’une étude sur la formation et l’emploi menée auprès de réfugiés

CULTURAL ANTHROPOLOGY
1996
Speechless Emissaries : Refugees, Humanitarianism, and Dehistoricization

Liisa Malkki

Vol. 11, No. 3 (Aug., 1996), pp. 377-404

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