Dans les centres d’accueil de la Croix-Rouge, de nombreux résidents se côtoient. Des hommes principalement mais aussi des femmes et un grand nombre d’enfants ou MENA (mineurs étrangers non accompagnés) comme les appellent les travailleurs des centres. Il y a là des familles, des individus seuls, de toutes nationalités et de tous lex âges. Tous cohabitent. La cohabitation se passe parfois relativement bien comme nous le décrit Julian, assistant social au centre d’Uccle devenu un centre spécial MENA : « Ici, c’est facile maintenant, c’est little Kaboul. C’est 75% d’Afghans et ça se passe bien. Globalement les jeunes mangent ensemble, travaillent ensemble et ils s’entendent bien ». La diversité est très grande au sein même des centres où chacun partage un objectif commun qui est d’obtenir l’asile, mais où les origines, les passés, et les langues sont différentes. Les Syriens côtoient les Afghans, les Irakiens, les Érythréens mais aussi les Guinéens et les Somaliens.
Tous ont entrepris un voyage difficile jusqu’au cœur de l’Europe et tous, une fois arrivés à ce qui semble être le bout du chemin, n’en voient pas encore la fin. Car après les kilomètres traversés vient le parcours administratif dans un pays dont on ignore la langue et le système. La mission des travailleurs de la Croix-Rouge est d’accompagner ces demandeurs d’asile, un travail double qui se veut administratif mais surtout social. Ils les guident face aux obstacles de l’administration, obstacles différents selon les profils et les dossiers. Ce travail peut parfois être rude pour les salariés des centres car l’administration se délègue. Elle a recours à l’attente, à la dissuasion et aux courriers perdus dans un jargon juridique pour perdre les demandeurs d’asile, les balloter entre l’Office des étrangers, Fedasil, le CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides) et la Croix-Rouge. Les résidents ne savent ainsi plus où en est leur procédure et en viennent à confondre le travailleur avec l’administration car il est la seule personne présente auprès du demandeur. Farid, directeur de centre, dit ainsi « Tu ne peux pas ne pas être assimilé à l’État (…). Quand il y a une réponse, c’est normal, l’assistant social, il a des contacts avec le CGRA, c’est un peu normal, c’est lui qui reçoit les courriers et c’est lui qui te le donne … ». Julian, assistant social, nous confie ainsi qu’après une décision négative : « Ils sont souvent dégoûtés comme si c’était ta faute. Ils ont besoin de le montrer. » Mais Chloé, la directrice-adjointe, pense que les résidents ne font pas cet amalgame. Cela peut peser sur la conscience de l’équipe mais Farid déclare : « On a la conscience tranquille, on sait qu’on n’a aucune influence sur ça. Mais dans leur tête, 90% pensent qu’on a quelque chose à faire avec la procédure en cours. On n’a absolument rien, moi je suis directeur, je n’ai aucun pouvoir sur la procédure, aucun. »
Cette frustration des résidents qui s’exprime face aux travailleurs est nourrie par une certaine discrimination depuis le début de la crise syrienne. Les procédures de demande se traduisent en effet par des conditions de traitement différentes selon la nationalité et les résidents de nationalité syrienne se voient fréquemment privilégiés dans leur demande d’asile. Ils restent peu de temps dans les centres car le délai de traitement se réduit pour eux à trois ou quatre semaines tandis qu’il atteint parfois sept mois pour un Irakien ou un Guinéen. Cela ajoute à l’attente et à la frustration alimentant un sentiment d’injustice, ce qui peut créer des tensions dans les centres et entraver le travail des collaborateurs. Farid s’énerve ainsi : « Les tensions avec les résidents, ça devient fou, même entre eux. L’Irakien est jaloux de l’Afghan ou du Syrien qui voit sa demande directement acceptée. Et les Africains, on a des centaines d’Africains dans nos centres qui se demandent qui ils sont dans ce système. Il y a les demandes d’asile par classe, ce qu’on appelle les demandes à haute probabilité de reconnaissance. C’est par exemple maintenant la Syrie ». Les Syriens constituent donc officiellement une catégorie prioritaire, au détriment des autres individus. L’État fait-il preuve alors de discrimination dans sa politique d’accueil ?
Lesley Chen