Une expérience complexe

« C’est son espace de vie aussi qui ne nous appartient plus pendant quelques heures, c’est bête hein mais euh, donc voilà quand on ne savait pas ce que c’était, on était des gens extrêmement généreux, et maintenant qu’on sait ce que c’est, on l’est moins donc moi c’est une petite réserve que j’ai par rapport à nous, par rapport à l’expérience euh, c’est plus facile d’être généreux quand on ne sait pas ce qu’on va faire que lorsqu’on sait ce que c’est ».

Les propos de ce père de famille bruxellois peuvent paraître forts et laisser croire que son expérience dans l’accueil de trois hommes adultes irakiens chez lui, pour l’espace d’une nuit, s’est mal passée. Or, c’est bien le contraire qui m’a été démontré et dont je ne doute aucunement. Néanmoins, il me semble tout à fait intéressant de soulever la question, à savoir quelle est cette part de « frustration » qu’a pu ressentir cet accueillant après son expérience ? Avec comme second support l’entretien d’un autre accueillant et pour qui l’expérience a été, jusqu’alors, « fructueuse », j’ai voulu dégager quelques facteurs pouvant expliquer et comprendre ce malaise qui a été éprouvé. Mais ne restant que des suppositions, au vu du caractère limité de cette part d’enquête, il ne peut être fait de généralité puisque mon explication ne reflète que mon ressenti durant cette enquête. Ainsi, en comparant les deux échantillons, j’ai relevé certaines différences notables entre elles pouvant être prises en compte :

Le degré de proximité entre accueillant et accueilli : Il est difficile de pouvoir parler de degré de proximité pour la durée d’une nuit. Néanmoins, j’ose imaginer la situation délicate du côté de l’accueilli comme de l’accueillant. Pour le premier, la gêne de se retrouver dans ces circonstances qui ne semble pas habituelles dans leur propre pays d’origine et que tous les accueillants ont perçue. « C’était des gens qui avaient probablement fait plus d’études que nous, euh, qui avaient même un meilleur niveau social que nous dans leur pays, mais qui cherchaient un endroit où l’avenir serait plus sûr pour leur famille » me dit ce même père de famille bruxellois. La fatigue qui se guettait du fait de leur long parcours éprouvant, ainsi que la barrière de la langue qui pèse sur les possibles échanges avec leurs hôtes, et vice-versa. De même que du coté des accueillants, certes en position de plus grande aisance mais qui justement, devant être dosée entre une mise à l’aise et une envie de découvrir ses invités sans que cela soit déplacé.

Le nombre de migrant accueilli lors de l’expérience (groupe / individuel) : L’échange entre migrant et accueillant a été compliqué pour les deux cotés du fait de la barrière de la langue. Sur les trois irakiens accueillis par le père de famille bruxellois, un seul balbutiait quelques mots en anglais et l’échange a pu se faire via celui-ci au nom des trois. Ils sont sortis après dîner tous les trois en ville et ont dormi dans la même pièce où, à l’origine ils devaient être séparés dans deux chambres. Peut être que, le fait que l’autre accueillant ait logé une personne seule, un jeune irakien de 25 ans, l’échange était incontournable et que son « intégration », si je puis dire, était peut être plus facile du fait que l’attention ne soit portée que sur lui.

Le maillon dont fait parti l’accueillant dans la chaîne de parcours du migrant : Le groupe des trois irakiens ont du repartir dans leur pays pour manque de solution trouvée à leur situation, tandis que le jeune irakien se trouve encore aujourd’hui en Belgique et sa situation semble se régulariser. Inconsciemment, le moral sur le sort du migrant que l’on a connu et aidé ne joue t-il pas un motif de frustration quant à l’aide que l’on a apportée ? Le maintien du contact après l’expérience avec le migrant est peut être là aussi un des points éminents. « Moi je suis content du système actuel où comme je te dis, on fait le suivi avec lui […] je pense que je préfère avec un, voire deux de plus, mais qu’ensuite je m’arrêterai là » me dit cet accueillant en parlant de ce jeune irakien devenu aujourd’hui son ami. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille fut les paroles du père de famille bruxellois, me soumettant : « Et l’idée de parrainer, ou de sponsoriser un réfugié qui est en ordre de papier, mais qui va devoir trouver du boulot, s’inscrire peut être à des cours de français ou que sais-je, euh ‘fin, découvrir la réalité bruxelloise quoi, ça c’est, c’est aussi quelque chose qu’on pourrait aider éventuellement ! » Ne serait-ce pas là où était l’aide qu’il entendait vouloir donner ?

Ce que j’ai pu retenir, c’est qu’il n’y a pas eu de « mauvaise » expérience pour ces deux accueillants et qu’ils ne regrettent rien. Mais je ne peux m’empêcher de voir qu’à travers ces deux témoignages, la place de la « gratification » personnelle dans cette aide, soit sans frustration aucune, de ces accueillants, se situerait peut être au moment où les liens ont été tissés avec ces étrangers et que ce n’est qu’à partir de là qu’ils peuvent être satisfaits de leur geste ; accompagné par le savoir qu’ils ne sont plus dans l’urgence, un peu grâce à eux.

Carline Martinez

Des conséquences parfois inattendues

*Les prénoms utilisés dans cet article sont fictifs afin de garantir l’anonymat des personnes*

Prendre la décision d’accueillir quelqu’un chez soi n’est pas facile, surtout lorsqu’on sait que la personne en question a fait face à des événements dramatiques.

Le thème de la sécurité ou de la dangerosité est toujours soulevé par l’entourage des personnes qui prennent la décision d’aider. Cependant, pourquoi devrait-on avoir peur de quelqu’un qui fuit une menace ? Ce sont les prioris des gens qui alimentent cette peur d’autrui. Pourtant une expérience vécue vaut plus qu’une opinion.

Dans le cadre de notre enquête, j’ai eu l’occasion de rencontrer Marianne, une jeune femme belge qui a accueilli chez elle un jeune soldat iranien qui venait d’arriver en Belgique.

En accueillant quelqu’un chez soi, dans ces circonstances, on ne pense pas vraiment aux potentiels risques. En effet, Marianne, ayant accueilli ce jeune homme, avoue qu’elle était fortement touchée par la crise, que la décision d’accueillir quelqu’un était une décision impulsive due au désir d’aider. Elle voulait faire quelque chose de concret, sans douter ni avoir peur. Elle a reçu chez elle un garçon qui lui a permis, comme elle dit, d’enrichir la vision qu’elle avait des migrants. Elle a pu voir la réalité d’une personne si jeune ayant été confrontée à la guerre. Malgré la barrière de la langue, ils sont arrivés à se comprendre et à partager des bons moments ensemble.

A la fin de son séjour d’accueil, ils ont gardé contact via les réseaux sociaux. Cependant, peu de temps après Marianne ne s’attendait pas à recevoir autant d’appels réguliers du garçon, ainsi que des visites imprévues dans son immeuble. Marianne ne se trouvait pas dans son immeuble au moment de ces visites et sut que le garçon avait sonné par le biais de ces voisins. Ces derniers événements ont éveillé chez Marianne un sentiment d’insécurité. Elle se trouvait face à un dilemme : lui rouvrir sa porte sachant qu’elle ne pouvait plus l’accueillir ou ne pas ouvrir. Plus tard, Marianne apprit que le garçon avait « décidé de partir du centre et de faire un peu à sa guise, » comme elle dit.

Même si l’expérience de Marianne n’a pas été celle qu’elle attendait, elle est prête à la réitérer. Dépourvue d’a priori, elle a fait une expérience qui lui a permis d’enrichir sa vision de la crise migratoire.

Alejandra Arteaga

Passer les frontières et demander l’asile : un droit universel

Vendredi dernier, dans le cadre de notre enquête, j’ai rencontré Marie-Hélène, 43 ans, juriste et mère, qui a accueilli deux réfugiés pour une nuit. Au cours de notre discussion, elle m’explique qu’une de ses chambres est réservée pour AirBnB, qu’elle aime accueillir des gens d’horizons différents, qu’elle-même a beaucoup voyagé. Elle trouvait ça normal qu’une personne veuille quitter son pays d’origine pour s’installer dans des contrées lointaines, et parlait de son refus d’une « Europe forteresse ».

Je me suis alors rendue compte du nombre important de gens que je connaissais et qui avaient voyagé, s’étaient installés hors de l’Europe pour 6 mois, 1 an, une vie. Comme me le disait Marie-Hélène, ça semble normal de pouvoir voyager.

Et pour cause, La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme spécifie notamment, dans les articles 13 à 15, que tout personne a le droit de circuler librement, de quitter tout pays, de bénéficier de l’asile en d’autres pays si elle est persécutée mais surtout, personne ne peut être privé de son droit à changer de nationalité.

Si les Droits de l’Homme ont été adoptés par les Nations-Unies, c’est pour éviter qu’ils soient bafoués, sous aucun prétexte, pour prévenir les horreurs que l’histoire nous a déjà montrées.

Je remercie les personnes que j’ai interviewé pour m’avoir montré cette facette empathique de l’humain, cette ouverture à l’Autre malgré les appréhensions. Mais ces belles rencontres ne font que mettre en exergue la colère que je ressens envers tous ceux qui renient ces droits universels lorsqu’ils les dérangent, qui n’en font référence que lorsque cela les arrangent, qu’ils soient politiciens ou simple citoyen. Ces droits ne sont pas à prendre à la légère, ils représentent nos libertés à tous. Que ferions-nous dans notre si belle Europe si nous en étions privés ?

Nous désirerions que d’autres se lèvent pour les défendre.

eleanor

Eleanor Roosevelt avec la Déclaration des Droits de l’Homme en français. Origine: https://flic.kr/p/bNj1sP 

Laëtitia Coucke

 

Les demandeurs d’asile en Belgique : quelques chiffres

Le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA) publie chaque mois les chiffres relatifs aux demandeurs d’asile en Belgique et fait état de leur évolution. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il est constaté que pour le mois de mars 2016, l’Office des Etrangers a enregistré 1 374 demandeurs d’asile en Belgique, soit une baisse de 9,8 % par rapport au mois précédent qui en comptait 1 523. Cela représente l’équivalence d’environ un quart du nombre mensuel de personnes qui ont introduit une demande d’asile durant la période d’affluence d’août à décembre 2015 (5 885). Cette baisse des enregistrements réapparaît plus fortement lorsque l’on prend les chiffres de l’année précédente pour le même mois : 1 755 demandeurs d’asile enregistrés en mars 2015, à savoir une diminution de 21,7 % comparé aux demandes de mars 2016.

Parmi toutes ces demandes d’asile, il est relevé un nombre plus conséquent de personnes de sexe masculin, y compris les enfants, que de personnes de sexe féminin ayant introduit une demande d’asile en Belgique en mars 2016. En effet, 70,7 % pour les premières contre 29,3 % pour les secondes. Quant aux mineurs (autoproclamés) non accompagnés par un parent, il en est apparu 127 pour le mois de mars 2016 qui ont introduit une demande d’asile en Belgique, soit une légère baisse par rapport au nombre relevé durant la période d’août à décembre 2015 (511 en moyenne chaque mois).

Toujours pour le mois de mars 2016, l’Afghanistan, la Syrie et l’Iraq représentent un tiers du total des demandes d’asile introduites alors que durant l’ensemble de l’année 2015, ces trois pays représentaient près de deux tiers de l’ensemble des demandes d’asile introduites en Belgique. Plus précisément, les personnes originaires d’Afghanistan sont les plus nombreux demandeurs d’asile en Belgique avec 259 demandes, soit 18,9 % du total. Suivent ensuite la Syrie (123 demandes, soit 9 %) et l’Iraq (82 demandes, soit 6 %).

Pour finir, au mois de mars 2016, la proportion de personnes à qui le CGRA a accordé le statut de réfugié (46,6 %) ou le statut de protection subsidiaire (15,6 %) par rapport au nombre total de personne qui ont fait l’objet d’une décision finale est de 62,2 %. Il s’agit de 1 165 décisions concernant 1 502 personnes. La tendance de 2015 se confirme dès lors : pour 6 décisions sur 10, le CGRA a accordé un statut d’asile l’année dernière.

Carline Martinez

Source : http://www.cgra.be/fr/actualite/les-statistiques-dasile-du-mois-de-mars-2016

Nos préjugés sur les réfugiés : deconstruire les imaginaires collectifs

Que se cache-t-il derrière la crise migratoire ? Chacun y va de son grain de sel mêlant croyances, opinions, images et autres préjugés. Migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, …. Syrien, irakien, afghan, … Réfugiés politiques, réfugiés économiques, réfugiés de guerre … Nombreux sont ceux, moi y compris, qui mettent tous ces termes dans un sac et qui mélangent énergiquement, agrégeant ainsi tous ces mots en une entité : la Crise Migratoire. Au cours de notre enquête de terrain, j’ai pris conscience de la multiplicité des parcours de ces humains qui quittent leur pays, quelle qu’en soit la raison. Alors que nous tentons de dresser une catégorisation des profils des accueillants, je ne soupçonnais pas l’étendue de diversité et de richesse cachée derrière le mot « migrant ».wordcloud

En effet, en deux entretiens seulement et quelques discussions de groupe, cette évidence (pas si évidente que cela au final) m’a sauté aux yeux : chaque être humain a un parcours, chaque être humain a une vie, chaque être humain a une histoire à raconter. Et cette histoire, il faut l’écouter pour mieux comprendre la situation. Ou plutôt les situations.

Mon premier entretien évoque deux Syriens, ayant fui la guerre et ayant laissé leur famille derrière eux. Ellen Kelly explique qu’elle comprend désormais mieux l’effet de la guerre sur la vie quotidienne des syriens grâce aux photos de ces individus. Moi aussi, un peu. Première image de l’imaginaire collectif ; le réfugié syrien fuyant la guerre.

Enthousiaste suite à ce premier entretien, je discute avec mon groupe de recherche. D’abord, il y a cette famille ressentant un certain malaise par rapport à des réfugiés irakiens munis de smartphones. Deuxième image de l’imaginaire collectif : les réfugiés ont tous un smartphone, ils ont tout et n’ont donc aucune raison de quitter leur pays. Et puis, cet entretien presque secret, au risque de dévoiler l’identité de réfugiés fuyant l’Etat Islamique. Troisième image.

Mon deuxième entretien traite de l’hébergement de deux Palestiniens. Des Palestiniens ? Je n’y avais même jamais réfléchi ; mais oui, les Palestiniens émigrent aussi. Le premier, dentiste, et le second, brancardier, n’ont qu’une seule idée en tête : mettre à profit leurs compétences pour aider les autres migrants dans les divers camps, dont le camp du parc Maximilien. Quatrième image. Jonathan Murray évoque avec plaisir les nombreuses discussions qu’il a pu avoir avec ces deux personnes, autour du repas du soir. Il parle également de ses voisins, qui ont accueilli une famille afghane sans le sou. Là, l’accueil semble plus compliqué, du simple manque de langue commune pour communiquer. Cinquième image.

En seulement trois entretiens, quatre nationalités sont nommées : Syriens, Afghans, Palestiniens et Irakiens. Et cinq images véhiculées dans les imaginaires collectifs. Pour combien qui n’ont pas été évoquées ? Si je dois retenir une chose, c’est la multiplicité et la diversité des parcours que ces êtres humains ont suivi. Mais aussi les imaginaires que cela suscite chez chacun d’entre nous : réfugié riche, pauvre, seul, diplômé, ouvrier, en famille, plurilingue, timide, … Tous ces qualificatifs sont attribuables à n’importe qui.

Selon moi, ce qu’il appréhender, ce n’est pas forcément la classification légale des différents cas : réfugiés politique ou économiques ? Migrant ou demandeur d’asile ? Même si ces aspects peuvent avoir leur importance, il faut garder en tête que chaque être humain a ses raisons de quitter son pays et que chaque parcours est différent.

Prendre conscience des imaginaires collectifs….  Et ne pas mettre le migrant dans une case prédéfinie

Ressentir, par empathie, les mêmes émotions que ces être humains …. Et comprendre leur situation

Aider, autant que possible et à sa manière, son prochain…  Un être humain qui n’est pas né ici mais là-bas.

Robin Van Leeckwyck