Je suis arrivé en Belgique à l’âge de dix ans, ce qui fait également de moi un immigré de première génération. Des Polonais – j’en connais beaucoup. Il s’agit, cependant, surtout de gens de mon âge, souvent nés ou élevés en Belgique, ou alors des proches ou des connaissances de mes parents dont les activités socio-économiques varient peu. Pour avoir un échantillon de la communauté polonaise en Belgique plus représentatif que celui sur lequel je me suis penché, il aurait fallu remplacer l’une des deux dames, qui exercent des professions intellectuelles, par un ou une deuxième représentant(e) de la classe ouvrière. J’en aurais alors probablement obtenu des interviews homogènes avec des réponses similaires, axés sur un scepticisme multiculturel peut-être simpliste.
Alors que j’étais à la recherche de profils différents, j’ai entendu ma mère parler au téléphone avec une amie – Agnieszka – que je connaissais également, mais que je n’avais plus vue depuis de nombreuses années. C’est en effet la mère d’un de mes meilleurs amis d’enfance avec qui j’ai perdu contact aujourd’hui. Tout ce que je savais d’elle à ce moment-là était que son blog, qui était sa passion, a eu tellement de succès que cela l’a motivée à écrire un livre. Ce dernier s’est tellement bien vendu, tant dans sa région d’origine de la Pologne que parmi la communauté polonaise en Belgique, qu’elle en a écrit un deuxième, toujours au sujet de la vie d’une Polonaise à Bruxelles, ville dont elle se dit « amoureuse ». Elle est aujourd’hui régulièrement invitée dans les média locaux et régionaux ainsi qu’à différentes conférences et réunions. Son champ d’activité s’élargit de plus en plus, notamment vers des actions caritatives, mais je n’aurais pas assez de place ici pour parler de cela.
La réponse à la demande d’un interview était rapide. Il faut savoir que Mme Agnieszka est une personne très chaleureuse, amicale, ouverte et surtout optimiste – des traits qui ont sans doute contribué à son succès d’écrivaine. Elle m’a proposé de venir la voir dans une libraire polonaise, près de la Gare du Midi, qui organisait pour elle une session de signatures et de rencontre avec ses lecteurs suite à la sortie de sa deuxième publication. Elle ne s’attendait pas à y voir autant de monde, ce qui a rendu la réalisation de l’interview pratiquement impossible : les gens entraient et sortaient les uns après les autres, discutaient des passages particuliers de ses bouquins ou passaient juste lui dire bonjour. Elle m’a alors promis de me consacrer une heure le soir de la même journée, entre son retour à la maison et le départ à un concert où elle devait aller « dans l’intérêt professionnel ».
Elle m’attendait près du rond-point Montgomery. Je suis monté dans sa voiture et nous avons parlé pendant quelques instants. Elle m’a alors expliqué que nous allions d’abord chercher une amie qui devait l’assister ce soir-là, et qui avait d’ailleurs aussi un profil intéressant pour ce type d’interview, surtout qu’elle était bien plus âgée. Ainsi, j’ai également compris que nous n’allions pas parler dans un café. « J’avais oublié que les femmes savaient faire plusieurs choses à la fois » lui ai-je dit et j’ai lancé l’enregistrement après qu’elle ait allumé le moteur.
Dans la seconde moitié de l’interview, Mme Urszula – qui a fini par être ma troisième intervenante – est également montée dans la voiture. Cela m’arrangeait énormément car je savais dès le début que je ne connaissais pas beaucoup de persones polonaises plus âgées à Bruxelles. Je l’ai vue environ deux semaines plus tard dans son appartement où nous avons passé plus d’une demi-journée à parler. Ancienne dirigeante d’un mouvement socialiste pour les jeunes, émigrée, comme elle l’a dit, « à cause de l’hypocrisie des gouvernements communistes » de l’époque – même si elle était issue d’une famille aisée -, veuve d’un diplomate jésuite libanais, cette rebelle dans son esprit âgée de soixante-cinq ans avait également des choses à raconter.
Summa summarum, Mme Agnieszka a joué un rôle crucial dans la réalisation de mon travail. D’un côté, elle m’a donné des réponses pertinentes et élaborées, parfois même poétiques. Rien de surprenant – l’émigration constitue son sujet de réflexion et d’écriture. De l’autre, elle m’a présenté Mme Urszula qui s’est également avérée une personne de valeur dans mon travail. En plus de cela, suite aux échanges d’e-mails avec Agnieszka, j’ai aussi contacté son fils dont je n’ai plus eu de nouvelles depuis des années alors que nous jouions ensemble dans le bac à sable. Bref, c’était une rencontre très fructueuse.
Robert Majewski