Il s’agit d’une première pour moi et mon camarade de travail Xavier. Jamais nous ne nous étions rendu sur le terrain effectuer des observations, analyser le fonctionnement d’une administration de derrière les guichets ni de pouvoir interagir avec des personnes qui ont la responsabilité de vie, parfois de famille, entre les mains. Nous sommes partis dans l’idée que l’observation soit la plus passive possible. Cependant, dans le cas où cela se révélerait infructueux, nous nous mettons d’accord d’adopter une démarche plus entreprenante, de parler avec les employés et de les questionner si besoin.
Le centre ouvre à 9h30, nous sommes présents sur les lieux à 9h15, déjà une quinzaine de personnes attendent devant la porte. Certains pour être reçus par un conseiller, d’autres tiennent simplement à s’informer sur le retour volontaire. À l’ouverture des portes, deux agents de sécurité effectuent un premier tri avant de laisser rentrer les migrants. Il arrive, en effet, que ces derniers confondent le service de retour volontaire avec d’autres services à proximité. Ils sont alors redirigés vers les services appropriés.
Le responsable du service avec qui nous avons rendez-vous, Daler, n’étant pas encore arrivé sur place, nous sommes reçus par Nicolas, l’autre personne en charge. Il nous installe à son bureau et nous présente sans attendre le dispatching, le travail quotidien qui y est effectué et les récents événements les plus marquants. Dès lors, je comprends qu’une observation purement passive sera impossible. Probablement parce que nous n’avons pas anticipé que, pour ce faire, il nous aurait fallu en convenir préalablement avec la personne de contact et lui expliquer concrètement la forme que nous aurions aimé donner à l’observation. Je comprends que Xavier et moi partageons la même impression. Trahissant l’idée de base de la démarche passive, nous commençons tous deux à lui poser des questions et prendre note de ce qu’il nous explique. Bien que formelle au départ, la conversation prend petit à petit un ton plus léger, tout en restant concentrée autour de notre problématique. Ceci nous permet d’établir une relation de confiance avec Nicolas et d’acquérir des informations importantes (introuvables par un autre biais) sur le fonctionnement du service de dispatching.
À 10h30, l’équipe est au complet : elle se compose de trois membres aux guichets, trois agents de sécurité, trois conseillers de Fedasil qui reçoivent les candidats, une traductrice français-arabe et une employée de l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations). À partir de ce moment, nous pouvons observer toute la synergie du service. Les conseillers travaillent dans le même espace, sans séparation entre leur bureau. Cet environnement ouvert semble fortement contribuer à l’interaction entre travailleurs, lesquels semblent entretenir des relations tant professionnelles que amicales. Bien qu’occupant des fonctions et positions différentes, il n’est pas rare que l’un demande un service à l’autre, souvent de manière informelle. Ici, la traductrice se rend dans la salle d’attente parler avec un migrant pour recueillir des informations à son propos avant qu’il ne passe devant un conseiller. Là, des conseillers requièrent l’aide des agents de sécurité pour traduire l’échange qu’ils ont avec des migrants lorsque la traductrice est occupée. Il s’avère que l’un d’entre eux est russophone et qu’un autre parle couramment arabe, qualités mises à profit par le service. L’entraide permanente entre toutes les personnes du service nous surprend le plus. Il existe une réelle solidarité au sein du service, particulièrement lors de situations problématiques.
À propos desdites situations, nous apprenons, en discutant avec Nicolas et Daler, que malgré la faible fréquence des incidents (environs 10 cas problématiques sur 3000 candidats au retour par an), une vitre séparant la salle d’attente des guichets a dû être installée pour la sécurité du personnel. Les candidats au retour volontaire doivent passer par une porte gardée avant d’être pris en charge. Les incidents dont nous avons eu vent comprennent des violences verbales et/ou physiques envers le personnel ainsi que des menaces de suicide. Nous apprenons aussi qu’un suicide récent a impliqué la fermeture du guichet jusqu’au 2 avril 2016. Lorsque nous leur demandons ce qu’ils pensent de cette mesure, ceux-ci nous répondent qu’ils déplorent cette séparation physique, affectant le premier contact entre conseiller et candidat, mais la jugent nécessaire pour assurer la sécurité des employés.
Le service ferme à 12h30. Nous restons jusqu’à 13h, le temps que les dernières consultations finissent. De l’aveu du personnel, il est fréquent de terminer en retard, afin que toutes les candidats présents dans la salle d’attente aient l’occasion de voir un conseiller. Beaucoup d’entre eux sont présents à l’ouverture des portes, mais ne sont reçu qu’à la fin. Le service veille à ce que chacun ait la possibilité de voir un conseiller pour leur éviter la frustration de s’être déplacé en vain, certains venant de loin.
Au final, si l’objectif d’effectuer une observation purement passive n’a pu être atteint, c’est en gardant une attitude souple, c’est-à-dire en se faisant oublier tout en se laissant l’opportunité de poser des questions, que nous avons pu collecter tant d’informations en seulement l’espace de 3h30 d’observation. Cette méthode d’enquête s’est révélée adaptée à la contrainte de temps et très convaincante pour l’avancement du travail.
Vandenhaute John