Au cours de notre enquête sur l’accueil des migrants mineurs dans l’enseignement bruxellois, nous avons rencontré des personnes extrêmement dévouées. J’aurais pu rédiger un billet sur chacune d’entre elles mais j’ai choisi de vous parler de Fatou, parce que son engagement m’a particulièrement touché mais aussi parce qu’il me semble représentatif de celui des gens que nous avons rencontrés. Fatou est professeur de français langue étrangère (FLE) à l’Institut Cardinal Mercier de Bruxelles.
Quand Fatou nous accueille, je sens immédiatement que je suis face à une personne pleine d’énergie. Elle va directement au cœur du sujet pour ne pas perdre une minute qu’elle pourrait consacrer à ses élèves.
Elle nous explique que son école accueille cinq classes FLE. Quatre d’entre elles accueillent des élèves ne parlant pas du tout le français et la cinquième accueille des élèves ayant quelques bases de français.
Nous lui demandons de nous décrire une journée ordinaire de professeur de FLE. Au cours de cette description, elle utilise à plusieurs reprises l’expression « un accueil doux ». Selon ses dires : « le rapport est quand même un peu différent de celui que j’ai avec les autres classes. (…) C’est comme une journée normale de cours. (…) J’arrive avec une leçon qui est parfois (…)un peu plus ludique.(…). On essaie de développer des activités plus communicatives, des activités plus métalinguistiques. C’est un peu comme une leçon normale. (…) Maintenant, on essaie d’avoir d’autres activités. On va regarder un film, une vidéo(…). On va peut-être faire plus de choses qu’avec les autres classes, parce qu’on les a 15 heures et c’est beaucoup, en français en tout cas. » Fatou nous explique qu’outre ses cours de français, ses élèves suivent des cours de mathématique, d’histoire, d’art plastique… En somme, un programme assez proche de celui des autres élèves bruxellois.
En réalité, la différence entre les classes pour primo-arrivants et les classes classiques ne semble pas résider dans le programme mais dans les méthodes pédagogiques et dans les qualités humaines nécessaires au quotidien. Selon Fatou : « le professeur doit parler plus lentement, être très patient, doit répéter 15 fois la même chose parce que ce n’est pas encore acquis… C’est une autre façon d’enseigner. C’est pour ça qu’il y a des formations, parce que c’est quand même assez difficile. Tout le monde, je crois, n’a pas la patience pour être prof de FLE ».
Le travail de Fatou ne se limite pas aux heures de cours traditionnelles. Elle s’occupe également de coacher les élèves ex-FLE dans toutes les matières. Ces heures de coaching assurent un suivi dans l’intégration de ces élèves après qu’ils aient quitté le programme FLE.
La journée de Fatou n’est pourtant pas encore finie. Celle de ses collègues non plus. La relation qu’ils entretiennent avec leurs élèves est particulière. Fatou nous confie que :« quand on les a 15 heures semaine c’est un peu comme le professeur de primaire, on est le référent quelque part… Un des premiers référents de l’école et c’est vrai qu’on est très maternel, en tout cas avec eux. C’est un peu mes petits chouchous très vite… J’essaie de créer une petite bulle assez confortable dans laquelle, eux peuvent évoluer. On a pas vraiment le temps de faire ça, avec deux heures de cours dans d’autres classes, même cinq heures de cours ce n’est pas suffisant. Je pense que c’est ça la différence… ». Cette relation particulière se poursuit en dehors de la classe. Fatou nous explique qu’elle effectue un travail social auprès de ses élèves. Elle veille à ce qu’ils puissent avoir accès aux soins dentaires et médicaux. De plus, ses élèves sont parfois dans une situation précaire, elle organise donc des collectes de vêtements et de matériel scolaire (elle n’est malheureusement pas la seule dans ce cas).
Certains de ses élèves viennent de pays en guerre, notamment de Syrie, il arrive qu’ils soient traumatisés. Le centre psycho-médico-social (PMS) peut bien sûr aider ces enfants, mais seulement jusqu’à un certain point. Au-delà, les professeurs comme Fatou doivent chercher de l’aide auprès d’organismes spécialisés en psychologie.
Fatou estime que ce travail social doit représenter environs 50% de son travail. Elle nous explique que ce travail repose sur un réseau d’associations et de travailleurs sociaux à travers Bruxelles.
Fatou nous décrit son ressenti de cette situation en ces termes : « Je dirais que la plus grande difficulté, en tout cas personnellement , c’est la difficulté psychologique. La difficulté de ne pas trop se perdre dedans parce que c’est dur ! Ils ont tous des situations très… Pour certains, des situations très dramatiques et c’est dur de ne pas y penser la nuit. C’est dur de ne pas pouvoir les aider plus que ce qu’on fait. C’est plutôt ça, en tant qu’enseignants, prendre toutes les histoires qui sont parfois très violentes… Alors qu’ils sont super chouettes en classe, qu’ils sourient toute la journée… On est très loin de pouvoir imaginer qu’ils ont vécu des choses horribles… C’est plutôt ça qui est difficile. Surtout ceux qui viennent de pays en guerre… Ce n’est pas toujours facile de pouvoir gérer les histoires qu’on entend. Et on essaie donc de prendre une distance. On essaie justement de pouvoir déléguer un peu à d’autres personnes… De pas être la seule personne qui puisse s’occuper de leurs cas difficiles parce que sinon, on ne dort pas…».
L’engagement de Fatou et de ses collègues suffira-t-il ? L’enseignement, qu’il soit FLE ou classique devrait rester une priorité. Pour Fatou, tout n’est pas négatif dans le paysage politique pour autant. Elle salue la mise en place de nouveaux programmes visant à aider la famille entière dans son apprentissage du français et dans ses démarches administratives.
Julie Van Ham