Au-delà du « réfugié »

 

« Oyez, oyez, Européens, prenez garde, le Moyen-Orient débarque et vient envahir votre espace, voler vos boulots, imposer sa culture et même, se faire exploser dans vos métros ! » C’est certes un peu grossier, mais ces quelques mots ne se font pas si rares dans nos contrées, bien souvent à peine voilés ou clairement assumés. Pourtant, qui peut prétendre connaitre le sujet ? Combien d’entre nous ont rencontré ces “réfugiés”, ces “immigrés” comme on se limite à les définir, qu’ils soient d’Irak, de Syrie, d’Erythrée, catholiques ou musulmans ? Le projet « Sois mon ami » rend cet échange possible. Il a ainsi pour unique mission de permettre la rencontre entre un citoyen belge et un demandeur d’asile, libre à eux, ensuite, de nourrir cette mise en contact comme ils l’entenden. C’est en cela que je trouve la démarche toute particulière : « Sois mon ami », sous son nom qui peut paraitre franchement niais, permet une relation entre nous et eux sans que celle-ci ne soit basée sur la démarche habituelle de l’aidant et de l’aidé.

Cette mauvaise habitude serait, selon moi, due au fait qu’on aborde la vague migratoire de manière très, voire trop, dichotomique comme si elle générait uniquement des positions tranchées entre d’une part ceux qui crient haut et fort leur refus d’accueillir toute la misère du monde et les gentils qui leur apportent la soupe et les pulls pour l’hiver. Dans les faits, ce contraste me semble également perceptible. En allant aider au camp de réfugiés de Calais, j’ai été frappée par les réactions violentes de certains des Calaisiens face aux migrants mais, surtout, par le manque de prise en charge de ces personnes. Arrivées et laissées là dans ce qui semblait la plus grande indifférence des autorités qui avait l’air de s’appuyer exclusivement sur des bénévoles pour faire tourner le camp. L’aide offerte par ces volontaires ne peut être à la hauteur des besoins de 6000 hommes, femmes et enfants sans une organisation plus vaste proposée par le pays d’accueil (bien qu’il n’ait ici rien d’accueillant !).

A l’inverse, lors de ma visite au camp de réfugiés de Grande Synthe, l’aide apportée aux migrants était manifeste. Le maire de la ville, Damien Carême, a en effet lancé les démarches permettant au camp de répondre aux normes internationales. Les habitants du camp ont ainsi accès à l’eau courante, l’électricité, des repas et autres produits de premières nécessité. Ils peuvent ainsi tout simplement vivre décemment, bien que dans un confort minimaliste. De plus, certains postes sont rémunérés et permettent la présence continue de gérants et de l’organisation qui les accompagne plutôt qu’une aide basée sur des bénévoles venus passer quelques jours à tour de rôle. Pourtant, à Grande-Synthe, l’aide m’a parfois semblé comporter un rapport aidant –aidé trop important. En effet, le camp reste un endroit de transit où les personnes n’attendent rien d’autre que la nuit pour tenter la traversée de la Manche vers l’Angleterre alors que les journées sont longues et vides. Sachant ceci, quel sens il y a-t-il à faire venir des bénévoles pour construire et isoler leurs cabanes? En effet, nous travaillions sur leurs toits alors qu’eux, en dessous, dormaient fatigués de ne rien faire, pendant que d’autres bénévoles préparaient les repas distribués ensuite à tout le camp. Je suis persuadée que certains auraient amplement préféré participer à ces tâches avec nous, que ce soit pour s’occuper ou tout simplement pour ne pas dépendre entièrement de volontaires. Les migrants étaient, par ailleurs, demandeurs de pouvoir cuisiner par eux-mêmes (chose qui sera normalement possible très prochainement).

Par surcroit, il me semble que pour nous aussi, il aurait été plus enrichissant de travailler ensemble que de rester dans ce cadre d’aidants-aidés. L’échange n’aurait été que plus cohérent. En effet, je pense que souvent, même en voulant bien faire, notamment en contribuant aux organisations d’aide aux migrants, on risque de tomber dans le misérabilisme, d’enfermer les personnes réfugiées dans une image de victimes. Or, cette démarche nous empêche de voir ces personnes au-delà de leur statut de réfugiés.

C’est en cela que je constate la pertinence de « Sois mon ami » qui propose avant tout des rencontres entre deux personnes. Lors d’un entretien avec Mohamed, cette réalité m’a tout particulièrement frappée. Mohamed, originaire de Damas qu’il a fui ne voulant rejoindre ni l’armée syrienne, ni l’armée libre, ni Daesh, a 28 ans et est arrivé en Belgique en septembre. Il nous a raconté son parcours depuis Damas jusqu’à la table du fond du Belga. Etrangement, ce qui m’a le plus étonné, n’était pas le contenu de son propos mais le fait que Mohamed ne m’a absolument pas paru étranger. Cela est sans doute dû en partie au fait que tout l’entretien s’est déroulé en français, qu’il maitrise grâce aux cours qu’il suit. Aussi, alors qu’en voyage l’humour m’apparaît toujours comme étant une marque culturelle très forte, nous rigolions ici des mêmes choses. Spontanément, après l’entretien, nous sommes restés encore un moment, notamment à parler des différences culturelles qui existent (certes et heureusement !) entre nos deux pays.  Pourtant, cela ne m’a pas semblé plus exotique qu’une conversation entre copains sur les différences d’éducations de nos familles respectives.

Ainsi, il me semble qu’un juste équilibre doit avoir lieu entre, d’une part, reconnaître la nécessité évidente d’un besoin de prise en charge de ces personnes venues de loin pour fuir la guerre (ce que l’on oublie parfois) et, d’autre part, la conscience que toute personne, quel que soit son parcours, veut rester digne et ne pas être assimilée, identifiée, uniquement au fait d’être un migrant, que ce terme invite à des réactions de rejet ou d’aide.  « Sois mon ami » suggère de considérer ces personnes avant tout comme des hommes, des femmes, des enfants : des gens comme nous.

Marion Alarcia

Conditions de vie des réfugiés : l’ancien et le nouveau camp de Grand-Synthe

La jungle de Grande-Synthe. Les médias nous en parlent régulièrement. La boue, l’humidité, le froid mais surtout les conditions de vie insalubres sont souvent les synonymes utilisés pour décrire le camp des réfugiés présent dans l’agglomération Dunkerquoise.

Jeudi 24 mars 2016, Nicolas, Mathieu, Chloé et moi-même avons décidé de nous rendre à Grande-Synthe  et d’y passer la journée afin de visiter le camp des réfugiés et de rencontrer les ONG et associations présentes. Dès notre arrivée, j’ai eu l’agréable surprise de voir les enfants s’amuser, les ados jouer au ballon mais aussi les femmes discuter avec entrain. Les habitudes semblaient déjà bien installer et pourtant, le camp ne datait que de quelques semaines. Nous avons donc eu la chance de voir le camp sous un œil nouveau puisque le déménagement était très récent. « La jungle » de Grande-Synthe dont nous entendions beaucoup parler, avait un nouveau visage.

N’ayant jamais vu l’ancien camp, nous avons posé quelques questions à Claudette, membre de l’association ADRA, pour connaître les changements marquants depuis le déménagement. Et le jugement est sans appel :

« C’est comme passer d’un hôtel moins 4 étoiles à un hôtel 4 étoiles » ; « L’ancien camp était inhumain et invivable » ; « On voit déjà que les réfugiés se promènent plus souvent sur le camp. Dans l’ancien, ils sortaient uniquement s’il y avait nécessité. »

Les douches étaient très peu nombreuses et le temps sous celles-ci était chronométré : 7 minutes maximum par réfugié pour que tout le monde puisse en bénéficier. L’ancien camp se trouve au milieu d’un petit bois. Le sol était extrêmement boueux, tellement qu’il était impossible de s’y rendre sans s’enfoncer jusqu’aux genoux lorsqu’il pleuvait. Les enfants jouaient au milieu des déchets, dans le froid et l’humidité.

Après cette discussion, nous avons voulu nous approcher de cet ancien camp pour voir de nous-mêmes à quoi il ressemblait. Dès le premier regard, j’ai eu la possibilité de mettre des images sur les mots tels que « invivable », « indigne » ou « inhumain ». J’ai vu le camp vide mais il y avait encore de nombreux déchets, palettes, tentes… Et il m’était extrêmement difficile d’imaginer 2 500 personnes y vivre tous les jours, pendant des mois.

 

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L’ancien camp de Grande-Synthe. Photo prise par Flavie Derick

 

Je retiens cette expérience comme l’un des moments les plus intéressants de cette journée, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’opportunité  de comparer l’ancien et le nouveau camp était essentielle dans notre recherche. Cela nous a permis de comprendre la raison de la lutte des associations mais aussi du maire dans « la création d’un camp plus digne ». Personnellement, cela m’a également beaucoup appris. La réalité du terrain m’a permis de voir le problème dans sa globalité et, ainsi, développer un regard plus objectif et pertinent. Il faut connaitre les objectifs passés, les succès et les échecs pour pouvoir comprendre objectifs futurs.

Aujourd’hui, les sanitaires sont plus nombreux et régulièrement nettoyés. Les familles sont très souvent dehors de leur petit chalet et vont à la rencontre des autres. Il y a des écoles pour les enfants mais aussi pour les adultes désireux d’apprendre une nouvelle langue. Les conditions de vie se sont donc clairement améliorées. Peut-être pas digne d’un hôtel 4 étoiles, mais au moins digne d’un être humain.

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Le nouveau camp de la Linière, Grande-Synthe. Photo prise par Flavie Derick

 

Flavie Derick

The limits of solidarity

The migrant crisis is a challenging topic, as it involves a wide range of factors of different nature, not only political but also sociological, societal, psychological, demographic, economic; and therefore, it is able to inspire a wide range of reflections, some of them unpleasant, others more encouraging: what can I – as an ordinary citizen – really do in order to help refugees? What future could they ever have, if we cannot even assure them a roof over their heads?

I am aware that the issue is one of the most complex, and giving an answer is not my job, and I do not even have the competence to do that. What I can do is, at least, reflect on it, be mindful of what it is happening, have my own opinion about it.

Reading and listening the interviews we made, one striking aspect has drawn my attention. There is a « fil rouge » that underlies the words of all the people interviewed: one the one hand, the sincere solidarity that has led people of every sex, religion, age, economic condition, to start to help the refugees and to get involved in ParcMaximilien; on the other hand, the absence of political actors. And that is the common pattern for all the interviews: we tried to go deeper into the managing of the crisis, and the answers to our questions about the role and the interactions with the political world have always been « absence, inefficiency, incompetence, indifference ». Bruno told us about the attempts made by the association in which he works to arrange meetings with the Belgian government, and all the refusals they received; Chloé spoke of the incapacity of the municipality of Brussels and of the federal government in taking the responsibility of being the interlocutor of the volunteers working in the park; AbdelHak reported the total absence of the political sphere; and even in the case where there was a dialogue with the government, the promises made have not been respected. And this is only to cite few of the voices listened.

At the end of this project, the bittersweet thought that I have in my mind is that the solidarity and the desire to help, to do something useful for other people – starting from giving them a croissant to ear so to provide them with a psychological support – is not enough, if the political authorities themselves ignore and avoid, or are unable to cope with, this overwhelming phenomenon which the actual migrant crisis is.

Because even if at its very beginning the mobilization in Parc Maximilien did not have any political connotation, it is inevitable that politics get involved. And the Belgian – and European – politicians have shown that they are not able to be involved in an efficient way. I am aware that many pages, and articles and critics have been written about this incompetence, but what I would like to do is to put myself in the volunteers’ shoes, witnessing the sense of powerlessness and loneliness felt by them.

The initial impulse of solidarity that gave birth to the mobilization in Parc Maximilien made possible that, where the State was absent, it was replaced by groups of people ready to spend their time, their energies, their competences, their good will, in helping, getting involved in something bigger than them and bigger than their efforts. Such sincere solidarity soon clashed with the huge extent of the crisis while the lack of support from the state fostered a sense of powerlessness. The park was a temporary arrangement, that soon became an unbearable situation. It became clear that the simple desire to do something useful is not enough if it is not supported by a more decisive and solid structure, that structure that a government should provide.

The Parc Maximilien’s experience showed – in a smaller scale- some of the weaknesses of the Belgian government and these weaknesses, transposed into a bigger scale, depict the present situation of every government in Europe. The journey of refugees does not end when they cross the European borders, instead their journey is still long and unpredictable. However, this bitter reflection does not impede gestures of solidarity as the one that made Parc Maximilien possible. On the contrary, the uncertainty of their situation should encourage an increasingly number of people to mobilize, protest, help.

Silvia Siddu

Damien Carême, maire de Grande-Synthe : acteur majeur dans la gestion de la crise migratoire

Le commune de Grande-Synthe est la première commune de France à avoir ouvert un camp humanitaire pour l’hébergement des migrants, au mois de Mars. Ce projet a été financé par Medecin Sans Frontière et les associations d’aide aux migrants en partenariat avec le maire de Grande Synthe, Damien Carême.

Le déménagement des réfugiés du camp de Barosch, situé entre un quartier résidentiel et le stade communal de Grande-Synthe vers le camp de la Linière n’aurait pas été possible sans l’intervention de M. Carême et sa volonté de donner aux réfugiés des conditions de vie acceptables, tout en ménageant la population de la commune.

Lorsque le maire nous a accueilli dans son bureau, en mars dernier, le camp de La Linière, flambant neuf, avait à peine trois semaines. Ce camp avant-gardiste, qui permet aux migrants de vivre dans des conditions humaines, au sec et au propre, n’aurait pas pu exister sans lui. Il a fourni le terrain et a laissé à MSF le champ libre pour installer un camp avec pour seule condition que ce camp ne soit pas vouer à durer indéfiniment. Il s’est également porté garant du camp face à l’Etat.

Ce dossier lui tient à coeur et cela semblait évident tout au long de l’interview. Le maire est au centre du problème, à mi-chemin entre les associations, les migrants, l’Etat mais aussi les habitants de cette commune du Nord de la France, il a un véritable travail d’équilibriste. Pourtant, il semble très enthousiaste par le camp et cet entrain m’a véritablement interpelé.

Il y avait même un certain soulagement lorsqu’il parlait du nouveau camp par rapport à l’ancien. Lorsque nous avons abordé le sujet des enfants sur l’ancien camp, ses propos étaient glaçant, « C’était horrible, horrible, les gamins étaient dans les tentes, ils ne pouvaient pas bouger, ils ne pouvaient rien faire, pas d’espace de jeu, ils ne pouvaient pas courir, ils s’enfonçaient dans la boue, la boue jusqu’aux genoux, c’était impensable. »

Pourtant, son projet reste précis. Le camp n’a pas pour but de durer indéfiniment. Construit sur un terrain qui empêche une extension continu du camp, le but est de revenir à des proportions plus humaines au niveau de l’accueil de migrant. Ainsi, pour M. le Maire, « le camp est trop important avec 1.500, il faudra petit à petit qu’on le résorbe ».

En effet, avec une population à Grande-Synthe d’un peu plus de 21 300 habitants, le nombre de réfugiés a représenté jusqu’à 10% de la population totale de la ville, c’est à dire environ 2800 réfugiés. Dans une ville qui a aussi ses propres problèmes, avec notamment un chômage élevé, autour de 24%, l’accueil des migrants a été pourtant bien géré et c’est une véritable fierté pour le maire.

Pourtant, la cohabitation n’est pas toujours simple. Tout d’abord le premier camp était situé dans un quartier résidentiel et les habitants n’étaient séparés des migrants que par la route. Bien que le camp ait été évacué entre temps, nous avons pu en voir les restes et cela fait froid dans le dos. De plus, les migrants ne se sentent pas toujours bien accueilli dans la ville. M. le Maire a donc du faire preuve d’un grand talent de communication pour éviter que la situation ne dégénère, comme cela a pu être le cas à Calais.

Son inquiétude est maintenant le financement. Sans un soutien de l’Etat, la commune de Grande-Synthe et la communauté urbaine de Dunkerque ne pourront pas assumer seules le coût d’entretien et de fonctionnement du camp. En effet, celui ci est estimé a environ 3 millions d’euro par mois, ce qui est une somme bien trop élevée pour une ville de cette taille.

Il peut cependant se rassurer de la présence toujours aussi importante des associations qui restent très mobilisées sur le camp. Il nous a d’ailleurs annoncé qu’UNICEF comptait intervenir sur le camp exactement. Il ne semble donc pas inquiet à propos de l’avenir du camp. De plus, des animations commencent à prendre forme sur le camp, comme des concerts ou des distributions d’oeufs de Pâques aux enfants.

Il nous a fait part d’un souhait. M. Le Maire aimerait que d’autres communes prennent exemple sur Grande-Synthe et sa gestion des migrants pour prendre eux aussi en charge des migrants et le soulager de ce poids et de cette responsabilité.

Chloé Sapéna

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Vestige de l’ancien camp de migrants
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Vestige de l’ancien camp de migrants

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Le nouveau camp de la Linière
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Le nouveau camp de la Linière

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Visite de M. le Maire de Dunkerque (première personne à droite) et du procureur de la République de Dunkerque le 20 avril 2016 Source : http://www.damiencareme.fr/archives/4019

Deux profs, deux visions différentes

Tout a commencé par la prise de rendez-vous, qui a été assez éprouvante. Après avoir contacté maintes écoles, très peu ont répondu favorablement à ma demande d’interroger des professeurs. Les secrétariats des écoles me disaient d’attendre une réponse par mail venant des écoles, mais la plupart ne m’en ont jamais envoyé. Finalement, une école de Saint-Josse m’a répondu favorablement pour que je puisse interviewer deux de leurs professeures de DASPA.

Ce que j’ai trouvé intéressant est que ces professeures avaient chacune leur vision envers les élèves. La première mettait en avant que, pour elle, son rôle se résumait au plan humain, c’est-à-dire à redonner confiance aux élèves, qui pour la plupart se sentaient perdus dans ce nouveau système scolaire, ce nouvel environnement, ce nouveau pays. Elle avait donc pour intention en quelque sorte de jouer le rôle d’une « deuxième maman », selon ses dires. Elle estimait qu’en utilisant cette méthode, elle pourrait plus facilement déterminer le caractère de l’élève et ses envies afin de le guider au mieux envers son futur parcours scolaire ou professionnel. La deuxième professeure avait une formation de logopède et était donc davantage centrée sur l’apprentissage du français. Selon sa vision, l’élève est surtout influencé par l’environnement dans lequel il vit. Elle estimait que l’utilité d’apprendre le français n’était pas très productive dans le cas où l’élève vivait dans un quartier qu’elle qualifiait de multiculturel, en effet, elle racontait que si un élève vivait dans le quartier de Saint-Josse, il n’avait pas l’utilité d’apprendre le français car les commerçants et les médecins de sa communauté pouvaient lui parler dans sa langue maternelle.

En résumé, ces deux professeures m’ont donné l’impression de s’investir autant qu’elles le pouvaient dans l’enseignement des classes DASPA malgré leurs différences de point de vue et de méthodes pédagogiques.

Nicolas Michels

Comment intéresser des inconnus à un sujet brûlant d’actualité ?

C’est un fait : la crise migratoire ne peut être niée et ne peut passer inaperçue. Les médias comme la télévision continuent dans leur lancée d’images les plus provocantes tandis que les journaux baignent dans les gros titres. L’opinion publique est touchée. Mais comment savoir ce que la population pense réellement ? C’est à partir de cette question qu’a débuté notre étude sur la perception de la crise migratoire à Bruxelles.

L’entretien collectif, ou encore focus group, semblait être la méthode idéale et, avec du recul, je ne peux que constater que l’intuition de départ était la bonne. En effet, d’une part, l’avantage de l’entretien de groupe est qu’il reflète une petite partie de la société[1]. Là est notre but. D’autre part, l’intérêt de la méthode pour analyser au plus près l’impression générale des individus face à la crise migratoire réside dans le fait de sa naturalité[2].

Cette naturalité que j’ai retrouvée lors de l’entretien francophone s’est exprimée par l’hétérogénéité du groupe. Nous avions au préalable déterminé une tranche d’âge (les 18 – 30 ans), mais nous voulions surtout une totale diversité des participants au niveau socio-professionnel. Plus les écarts seraient grands, me semblait-il, plus la discussion se ferait et enclencherait une certaine dynamique. Ma seule crainte était toutefois qu’un individu n’engloutisse les autres.

Ne sachant jamais avec qui nous allions nous retrouver, il était difficile d’appréhender la discussion. Par quel biais rendre intéressant le débat afin qu’il touche chacun, sans savoir à l’avance leurs connaissances sur le sujet ? Comment les attirer et les garder concentrés ? Une bonne ambiance générale est primordiale pour que la conversation perdure. Cela m’a surprise : la discussion s’est faite naturellement, sans artifice. Il était presque difficile de ne pas interagir. Parfois l’envie me prenait d’essayer de reformuler les dires de certains afin que d’autres, dans l’incompréhension, comprennent et ne restent pas sur un malentendu. En expliquant certains détails, tous ont pu être au même niveau de compréhension et continuer, sûrement plus à l’aise, le débat. Par exemple, la chaîne de télévision Arte propose sur son site web un lexique au titre « Réfugié, migrant, asile… de quoi parle-t-on ? », que nous avons soigneusement montré au tout début aux participants, après qu’ils aient eux-mêmes proposés leurs définitions de ces mots. Cela a permis à tous de savoir exactement de quoi l’on parlait, sans plus aucune ambiguïté.

Il y a très certainement des défauts à prendre en compte dans quelques-unes de mes prises de décision et dans mon attitude durant l’entretien collectif. Ce n’est que l’expérience qui permettra de les effacer prochainement.

Marion Kammler

[1] L’enquête et ses méthodes.  L’entretien collectif. Sophie Duchesne et Florence Haegel, Nathan, coll. « 128 », 2004, 128 p.

[2] Ibid

Ophélie, une personnalité exemplaire et marquante.

Dans le cadre de notre étude comparative entre jeunes Belges issus des deux communautés linguistiques principales du pays sur leur perception concernant l’arrivée des migrants syriens et irakiens, nous avons rencontré 15 jeunes Belges francophones et néerlandophones. L’une d’enntre eux m’a particulièrement marqué: Ophélie, étudiante en master en ressources humaines, cette jeune fille de 24 ans.

Voici son histoire !

Un matin de la fin de l’été 2015, elle a raté son bus et a dû en prendre un autre qui passait devant le parc Maximilien, ce parc bruxellois qui servait de lieu de campement des demandeurs d’asile principalement syriens ou irakiens. Rien qu’à la vision de la situation, elle a vécu un choc. Et c’est ainsi que tout a commencé.

Elle nous a expliqué comment non seulement elle est profondément touchée par la crise migratoire, qu’elle appelle pour sa part “crise de l’accueil”, mais surtout comment elle contribue au quotidien en tant que volontaire. En effet, elle est extrêmement impliquée. Cette thématique semble toucher sa vie au plus profond. Directement après la découverte du parc Maximilien, elle a rejoint la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés et a aidé autant qu’elle le pouvait. Il s’agit de bénévolat constant. Elle nous a dit d’ailleurs: « Actuellement je suis travailleuse sociale et conseillère juridique, donc je les assiste dans leur procédure d’asile. » De plus, quand nous l’avons rencontrée, elle revenait justement de la “jungle” de Calais, et ce n’était pas son premier séjour là-bas.

Son bénévolat l’a également menée à tisser des amitiés. Elle nous a révélé la chose suivante: «Moi personnellement, du fait d’avoir été là pendant six mois, je me suis vraiment fait de vraies amitiés, de vraies amitiés, pas des amitiés en carton. Et je passe tout mon temps maintenant avec certains d’entre eux et on va boire un verre, on va au cinéma, on fait ci, on fait ça, et c’est juste comme avec mes potes…»

D’un autre côté, Ophélie semble dédier une part importante de son temps à l’acquisition d’information à ce sujet et à la cause des demandeurs d’asile. Tous les jours, elle s’informe. Elle a des connaissances très précises. En fait, elle tente de trouver des informations objectives, notamment les chiffres officiels, pour après former sa propre interprétation via différents médias et surtout via les échanges interpersonnels, soit de personnes en contact avec les demandeurs d’asile syriens, irakiens, soit directement avec ces derniers.

Enfin, j’ai aussi été marqué par la manière avec laquelle elle blâme « le politique », particulièrement néfaste et ayant failli à sa mission de protection à la fois des droits de l’homme et des droits des candidats à l’asile. Elle considère que le monde associatif a fait le travail de l’État. “On n’a pas un euro de l’Etat, on ne reçoit pas de subventions. Et pourtant, on travaille à plein temps, surtout au parc Maximilien. C’est l’accueil que l’Etat ne fournissait pas.”, affirme Ophélie.

Georges Catsaris

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L’éducation : un besoin fondamental pour les réfugiés

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Tableau de classe de l’école du camp (Photo prise par Nicolas Klein)

Quand on pense à l’accueil des réfugiés, on se préoccupe surtout de ce que l’on considère comme les besoins primaires: nourriture, logement, habillement. Pourtant, l’éducation rentre également dans cette catégorie, mais n’est pas assez souvent évoquée.

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Tableau du cours de mathématiques (Photo prise par Nicolas Klein)

Je n’en avais pas vraiment pris conscience jusqu’à ce que je rencontre Benoit Fulgence Cuchet, membre de l’association Edlumino qui gère le fonctionnement de l’école sur le camp de réfugiés de Grande-Synthe, dans la banlieue de Dunkerque. Lors de mon interview avec lui au début du mois de mars, il a bien insisté sur le rôle fondamental que l’éducation doit tenir: « Les associations, même anglaises, ont cette limite, elles sont focalisées sur nourriture et habillement, eles ne se rendent pas compte que l’éducation est aussi primordiale, ça ne rentre pas dans les têtes » m’a-t-il dit.

Et pour cause. S’il est vrai que se nourrir, s’habiller et se loger sont des besoins indispensables, s’éduquer l’est tout autant, d’autant plus pour des gens qui viennent d’une culture totalement différente. À Grande-Synthe, l’immense majorité des réfugiés sont Kurdes. La plupart d’entre eux souhaitent aller en Angleterre, mais les places sont limitées. Il y a actuellement près de 200 enfants sur le camp, et ce sont bien sûr eux qui sont prioritairement concernés par l’éducation.

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Salle de classe (Photo prise par Nicolas Klein)

L’école fonctionne depuis maintenant plusieurs mois, et cela se passe très bien. « Ce sont des enfants gourmands, extrêmement brillants, éduqués, donc ils apprennent assez vite » m’a dit Benoit. « Et ils sont doués, franchement doués, ils sont rapides. Ils viennent même nous voler nos bouquins, on est bien content qu’ils les volent » rajoute-t-il avec le sourire. « On a une ambiance extraordinaire. Tout le monde nous crie « Teacher teacher » partout où l’on va sur le camp » me disait encore Benoit, avec une fierté apparente. Et j’ai pu m’en rendre compte lorsque je me suis rendu sur le camp. Tous les enfants qui étaient à l’école avaient des livres ou des stylos en main, participaient avec les professeurs, et étaient impatients de retourner en cours le lendemain.

Car c’est là aussi un des problèmes sur le camp : occuper ses journées. Certes, les réfugiés sont totalement libres d’entrer et de sortir du camp quand ils le souhaitent. Mais pour les enfants, une journée peut paraître bien longue. « Dès que tu fais un break, l’enfant retourne au jeu, et sur les camps ils s’embêtent donc ils font les andouilles, et très vite ça peut devenir des bandits car ils ne sont pas du tout structurés » avertit Benoit. C’est donc aussi en ce sens que l’éducation a une place fondamentale auprès des réfugiés. « Il y a un besoin d’éducation et de formation qui va au-delà même de l’enseignement, qui est un relais pour les parents » insiste-t-il.

L’éducation va donc bien au-delà du simple rôle scolaire sur le camp. Les enfants apprennent bien sûr l’anglais, le français, la géographie et les mathématiques. Mais surtout, l’association cherche véritablement à leur donner un cadre, mettre en place des programmes éducatifs structurés, afin que les enfants se comportent mieux au quotidien. Et c’est ce genre de choses qu’il faut aussi mettre en avant et promouvoir. Car la solidarité est bien présente à Grande-Synthe, il suffit de s’y rendre pour s’en apercevoir. À nous maintenant de faire passer ce message : oui, l’éducation est aussi un besoin fondamental pour les réfugiés.

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Entrée de la tente provisoire de l’école (Photo prise par Nicolas Klein)

Nicolas Klein

Les médias ou le 4ème pouvoir?

Le 18 avril, dans Le Petit journal de Canal +, on a pu entendre Martin Schultz, le président du Parlement européen, avec  un petit accent allemand, nous dire : « Si on met 1 million de réfugiés parmi 500 millions d’européens (population totale des 28 membres de l’Union européenne), ça ne change rien. Si 22 membres ne veulent pas participer alors ça pose un problème. ». Simple et efficace, cette déclaration éclaircit, non seulement, la problématique autour du flux migratoire actuel mais également, celui d’une Union européenne encore tiraillée par des nationalismes capricieux. Malgré les grands débats qui tiraillent l’Union européenne, ces dernières années, on ne peut étrangement que remarquer la très faible visibilité des responsables européens dans les médias.

Cette constatation personnelle m’a permis de mettre en lumière une convergence qui traverse les différents entretiens que mes collègues et moi avons menés et retranscrits : le pouvoir des médias. La responsabilité des médias. La sémantique divergera selon les interlocuteurs mais l’idée est là et elle a refait surface en moi, comme si elle était restée latente dans mon inconscient. Afin d’illustrer ces propos, j’ai choisi de laisser la parole à deux acteurs qu’à première vue « presque » tout sépare. Presque parce que tous deux ont consacré de nombreuses semaines au parc Maximilien pour venir en aide aux réfugiés, présents aux prémisses du parc jusqu’à sa fin, ils sont revenus avec nous sur cette expérience.

La « fraîchement » diplômée de l’université, en recherche d’emploi dans le domaine de la science politique et citoyenne belge, nous confiait comment les médias avaient permis au parc de se maintenir contre l’opinion des politiques : « Ce sont les médias qui ont fait de nous des gagnants dans la négociation. Parce que s’ils voulaient ils auraient pu nous dégager en une heure de temps. Mais on était tellement relayé, avec l’opinion publique de notre coté que ça devait inimaginable qu’ils nous fassent déguerpir de manière trash. » Elle ajoutait que ce relai médiatique avait de manière plus globale donné une opinion nouvelle et surtout positive des réfugiés qui étaient alors souvent associés à une image négative voire de criminalité. Impliquée avec la plateforme citoyenne dans plusieurs manifestations, elle nous donnera ce chiffre à titre de comparaison : « (…) la manifestation qu’on a fait, à cette époque, a ramené 20 000 personnes alors que celle du 27 février, sans le camp ni les médias, bien que toujours organisée par des gens de la plateforme, a fait 4000 personnes. On voit très bien donc que quand tu es relayé de manière positive, le soutien de la population est complètement différent. Moi, je crois que les médias ont un gros rôle à jouer pour l’instant et qu’ils ont une part de responsabilité non négligeable dans ce qu’il se passe maintenant. »

Le bénévole et co-fondateur d’un collectif de sans-papiers luttant contre le gaspillage alimentaire au profit des personnes précarisés, nous affirmait qu’il fallait se poser les vraies questions. En effet, selon lui, la volonté et les mouvements existent mais « il y a une trop grande fragmentation des initiatives, elles n’ont pas le poids pour faire bouger le gouvernement ». Ma collègue et moi eûmes alors, cette question spontanée et finalement très innocente, le fameux « Mais comment alors ? ». Nous avons alors écouté religieusement l’éloquente réponse de notre interlocuteur, non sans surprise : « Les médias ne font pas leur job. Moi, en tant que citoyen belge, je vais voter pour un programme, pour un parti politique, pour un gouvernement parce que c’est mon boulot de voter, de manger avec mes enfants et de regarder le journal télévisé ? Non, mon boulot c’est de continuer à mettre la pression sur le gouvernement parce que le gouvernement à des comptes à rendre aux citoyens. Nous, on laisse faire parce que c’est plus facile. Quel genre d’individus on est devenu ? Maintenant, on est devenu : chacun tranquille dans sa bulle. On est tellement plongé dans un système de consommation qu’on consomme l’information comme le reste, docile, on ne va plus dans la recherche. L’esprit critique n’existe plus. »

Pour conclure cette réflexion, nous sommes confrontés tous les jours à une multitude d’informations, notre opinion est, aujourd’hui, construite de ces informations qui nous viennent, automatiquement, souvent sans même les avoir demandées. C’est pourquoi, il était pour moi essentiel de relever le poids de la médiatisation et de la distribution d’informations sur les problématiques et sur les acteurs eux-mêmes. Et ce, parce que notre génération n’est pas encore assez consciente qu’elle peut utiliser sa proximité avec les réseaux sociaux et les nombreuses sources d’informations alternatives disponibles sur la toile, comme une force dans sa lutte pour le changement et comme instrument pour aiguiser son opinion.

Mila Gatti

Une rencontre bouleversante

La vie est pleine de surprises. De bonnes, comme de mauvaises. Je n’arrive pas à dire dans quelle catégorie s’inscrit ma rencontre avec Mamadou, ce jeune malien de 19 ans que j’ai eu l’occasion d’interviewer dans le cadre de mon enquête de terrain sur la crise migratoire.

Après avoir été menacé par les fanatiques islamistes et après que son frère se soit fait assassiner, Mamadou a décidé de fuir son pays pour sauver sa peau. Après plusieurs péripéties, il est arrivé à Bruxelles, seul et sans-papier. Sa demande d’asile ayant été refusée, il a atterri à la Maison des Migrants, sans aucun contact, sans aucune perspective d’avenir. Complètement désemparé… déboussolé.

Je dirais que notre rencontre est une mauvaise surprise car rencontrer des personnes si jeunes, si seules, sans cesse en danger nous met, nous, petits étudiants confortablement installés, profondément mal à l’aise. Cela nous fait nous sentir complètement impuissants face à ces réalités méconnues. Et nous n’aimons pas cela, nous n’y sommes pas habitués.

Mais d’un autre côté, cette rencontre est une bonne surprise. Grâce à ces interviews et grâce à cette enquête de terrain, nous sommes forcés d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans notre pays. Cela nous force à prendre nos responsabilités et à découvrir l’autre face de la crise migratoire. Tous les jours, des jeunes de notre âge arrivent en Europe parce que leur vie est menacée. Au lieu de les rejeter et de les étiqueter, nous devrions les aider et réagir face aux injustices du système.

Marine Poliart