Au-delà du « réfugié »

 

« Oyez, oyez, Européens, prenez garde, le Moyen-Orient débarque et vient envahir votre espace, voler vos boulots, imposer sa culture et même, se faire exploser dans vos métros ! » C’est certes un peu grossier, mais ces quelques mots ne se font pas si rares dans nos contrées, bien souvent à peine voilés ou clairement assumés. Pourtant, qui peut prétendre connaitre le sujet ? Combien d’entre nous ont rencontré ces “réfugiés”, ces “immigrés” comme on se limite à les définir, qu’ils soient d’Irak, de Syrie, d’Erythrée, catholiques ou musulmans ? Le projet « Sois mon ami » rend cet échange possible. Il a ainsi pour unique mission de permettre la rencontre entre un citoyen belge et un demandeur d’asile, libre à eux, ensuite, de nourrir cette mise en contact comme ils l’entenden. C’est en cela que je trouve la démarche toute particulière : « Sois mon ami », sous son nom qui peut paraitre franchement niais, permet une relation entre nous et eux sans que celle-ci ne soit basée sur la démarche habituelle de l’aidant et de l’aidé.

Cette mauvaise habitude serait, selon moi, due au fait qu’on aborde la vague migratoire de manière très, voire trop, dichotomique comme si elle générait uniquement des positions tranchées entre d’une part ceux qui crient haut et fort leur refus d’accueillir toute la misère du monde et les gentils qui leur apportent la soupe et les pulls pour l’hiver. Dans les faits, ce contraste me semble également perceptible. En allant aider au camp de réfugiés de Calais, j’ai été frappée par les réactions violentes de certains des Calaisiens face aux migrants mais, surtout, par le manque de prise en charge de ces personnes. Arrivées et laissées là dans ce qui semblait la plus grande indifférence des autorités qui avait l’air de s’appuyer exclusivement sur des bénévoles pour faire tourner le camp. L’aide offerte par ces volontaires ne peut être à la hauteur des besoins de 6000 hommes, femmes et enfants sans une organisation plus vaste proposée par le pays d’accueil (bien qu’il n’ait ici rien d’accueillant !).

A l’inverse, lors de ma visite au camp de réfugiés de Grande Synthe, l’aide apportée aux migrants était manifeste. Le maire de la ville, Damien Carême, a en effet lancé les démarches permettant au camp de répondre aux normes internationales. Les habitants du camp ont ainsi accès à l’eau courante, l’électricité, des repas et autres produits de premières nécessité. Ils peuvent ainsi tout simplement vivre décemment, bien que dans un confort minimaliste. De plus, certains postes sont rémunérés et permettent la présence continue de gérants et de l’organisation qui les accompagne plutôt qu’une aide basée sur des bénévoles venus passer quelques jours à tour de rôle. Pourtant, à Grande-Synthe, l’aide m’a parfois semblé comporter un rapport aidant –aidé trop important. En effet, le camp reste un endroit de transit où les personnes n’attendent rien d’autre que la nuit pour tenter la traversée de la Manche vers l’Angleterre alors que les journées sont longues et vides. Sachant ceci, quel sens il y a-t-il à faire venir des bénévoles pour construire et isoler leurs cabanes? En effet, nous travaillions sur leurs toits alors qu’eux, en dessous, dormaient fatigués de ne rien faire, pendant que d’autres bénévoles préparaient les repas distribués ensuite à tout le camp. Je suis persuadée que certains auraient amplement préféré participer à ces tâches avec nous, que ce soit pour s’occuper ou tout simplement pour ne pas dépendre entièrement de volontaires. Les migrants étaient, par ailleurs, demandeurs de pouvoir cuisiner par eux-mêmes (chose qui sera normalement possible très prochainement).

Par surcroit, il me semble que pour nous aussi, il aurait été plus enrichissant de travailler ensemble que de rester dans ce cadre d’aidants-aidés. L’échange n’aurait été que plus cohérent. En effet, je pense que souvent, même en voulant bien faire, notamment en contribuant aux organisations d’aide aux migrants, on risque de tomber dans le misérabilisme, d’enfermer les personnes réfugiées dans une image de victimes. Or, cette démarche nous empêche de voir ces personnes au-delà de leur statut de réfugiés.

C’est en cela que je constate la pertinence de « Sois mon ami » qui propose avant tout des rencontres entre deux personnes. Lors d’un entretien avec Mohamed, cette réalité m’a tout particulièrement frappée. Mohamed, originaire de Damas qu’il a fui ne voulant rejoindre ni l’armée syrienne, ni l’armée libre, ni Daesh, a 28 ans et est arrivé en Belgique en septembre. Il nous a raconté son parcours depuis Damas jusqu’à la table du fond du Belga. Etrangement, ce qui m’a le plus étonné, n’était pas le contenu de son propos mais le fait que Mohamed ne m’a absolument pas paru étranger. Cela est sans doute dû en partie au fait que tout l’entretien s’est déroulé en français, qu’il maitrise grâce aux cours qu’il suit. Aussi, alors qu’en voyage l’humour m’apparaît toujours comme étant une marque culturelle très forte, nous rigolions ici des mêmes choses. Spontanément, après l’entretien, nous sommes restés encore un moment, notamment à parler des différences culturelles qui existent (certes et heureusement !) entre nos deux pays.  Pourtant, cela ne m’a pas semblé plus exotique qu’une conversation entre copains sur les différences d’éducations de nos familles respectives.

Ainsi, il me semble qu’un juste équilibre doit avoir lieu entre, d’une part, reconnaître la nécessité évidente d’un besoin de prise en charge de ces personnes venues de loin pour fuir la guerre (ce que l’on oublie parfois) et, d’autre part, la conscience que toute personne, quel que soit son parcours, veut rester digne et ne pas être assimilée, identifiée, uniquement au fait d’être un migrant, que ce terme invite à des réactions de rejet ou d’aide.  « Sois mon ami » suggère de considérer ces personnes avant tout comme des hommes, des femmes, des enfants : des gens comme nous.

Marion Alarcia

Réflexion sur la méthode choisie : Les entretiens semi-directifs

C’est parti pour une petite tartine méthodologique ! Ne vous inquiétez ce n’est pas si barbant et compliqué que ça en a l’air !

Tout d’abord qu’est-ce qu’un entretien semi-directif ? Comme l’explique Nicole Berthier, l’entretien semi-directif « combine attitude non-directive pour favoriser l’exploration de la pensée dans un climat de confiance et projet directif pour obtenir des informations sur des points définis à l’avance ». Il s’agit d’aborder avec l’enquêté les points essentiels désirés pour répondre à la question de recherche tout en lui laissant une grande liberté de parole.

Au fil de mes années étudiantes, j’ai expérimenté à plusieurs reprises « l’art » de l’entretien semi-directif. Cette méthode d’enquête m’a toujours beaucoup plu, principalement pour la subtilité qu’elle demande, trouver un juste milieu adapté à chaque interlocuteur pour réussir à entrer dans ses pensées sans pour autant lui induire les réponses, être à l’écoute de ses réflexions, rebondir sur un mot, une hésitation, aller plus loin, comprendre en profondeur.

A cet égard et pour parler en toute honnêteté je dois admettre que réaliser des entretiens avec des personnes réfugiées ne maîtrisant pas la langue française ni anglaise (et moi-même ne maitrisant pas leur langue) fût parfois une expérience assez frustrante. En effet, j’ai à plusieurs reprises eu la sensation que la barrière de la langue, le manque de maîtrise des mots et de la subtilité du langage m’empêchait de rentrer dans l’intimité de mes interlocuteurs comme j’aime beaucoup le faire habituellement (ou plutôt comme j’ai toujours tenté de le faire). Et cela d’autant plus que les sujets que nous abordions lors de nos entretiens touchaient parfois à des ressentis très personnels comme le sentiment de subir des formes de racisme ou encore le manque de certaines choses du pays natal.

Il m’a par exemple semblé à plusieurs reprises que nos interlocuteurs répondaient à nos questions par des phrases très courtes et peu nuancées, non pas parce que cela consistait le fond de leur pensée mais plutôt parce que la barrière de la langue les empêchait d’en dire plus. J’ai d’autant plus ressenti cela lorsque nous avons eu besoin d’un traducteur pour réaliser un de nos entretiens avec un homme d’origine syrienne parlant uniquement arabe. En effet ses réponses se faisaient parfois très courtes, peut-être par souci de ne pas rendre la tâche de notre ami traducteur trop compliquée, ce qui rendait assez difficile la pratique de l’entretien semi-directif et nous amena assez vite à lui poser des questions fermées donnant lieu à un entretien structuré.

Bien que j’ai beaucoup apprécié réaliser des entretiens avec des réfugiés, je ressortirai donc de cette expérience avec le constat qu’il est assez difficile de réaliser des entretiens semi-directifs en tant que tel avec des personnes dont on ne maîtrise pas la langue, cette barrière empêchant à l’enquêté d’exprimer pleinement et librement ses pensées et conduisant l’enquêteur vers un cadre rigide d’entretien, perdant alors un partie de la richesse de l’entretien semi-directif. Il me semble cependant que l’entretien reste possible et pertinent dès lors que l’on a conscience qu’il s’agit de poser les questions prévues dans la grille d’entretien (une à une, dans un certain ordre) tout en essayant d’approfondir les réflexions de l’enquêté quand la maîtrise de la langue partagée le permet.

Enfin, bien que nous n’avions pas encore conscience de ce problème lors du commencement de notre recherche, nous avons dès le départ choisi de réaliser un questionnaire en parallèle de nos entretiens pour récolter des données quantitatives générales sur les participants du projet « Sois mon ami » et se faire une idée globale de leurs motivations à participer à ce projet. Bien que ces données ne soient pas aussi riches et nuancées que des données qualitatives, il semblerait à première vue que le questionnaire (réalisé sur la plateforme Google Form et traduit également en arabe) soit une bonne solution pour pallier la difficulté des entretiens semi-directif avec les réfugiés. Un autre défi persiste cependant : réussir à ce que nos enquêtés répondent au questionnaire, ceux-ci n’ayant pas toujours accès à internet ou à une boite mail !

Voilà j’espère que cette minute méthodologique vous a plu !

 

 

Camille Van Durme

Réfugié ou « Buddy » ?

Quand on veut participer à un programme associé aux réfugiés, on pense souvent qu’afin de leur permettre de s’intégrer, il faut plutôt s’occuper de l’aspect administratif, de la langue et en général de l’aspect pratique sans penser qu’une vraie intégration nécessite de voir ces réfugiés comme des égaux et non pas seulement comme des personnes qui ont besoin d’aide.

C’est un peu ce que le programme «Be my Buddy» essaye de faire : son but est de créer un rapport qui soit «horizontal», un rapport d’amitié entre un réfugié et un local. Pourquoi ? Parce qu’« aider quelqu’un» ne signifie pas forcément sacrifier son temps en faveur d’une personne défavorisée. Souvent, ce dont les réfugiés ont besoin est de se sentir acceptés, de trouver des nouveaux amis et peut-être d’apprendre de nouvelles choses. C’est exactement ce que j’ai pu constater avec le tandem entre Hussein et Dimitri : une paire d’artistes qui était immédiatement à l’aise, malgré la gêne initiale donnée par l’inconnu. Car c’est cela qui empêche la plupart des gens de s’investir dans un tel programme : se demander comment l’autre personne sera, si vous avez des sujets en commun pour discuter, si la culture de l’autre sera une barrière entre vous… Mais ce sont les plus courageux qui font le premier pas. S’ils ne regrettent pas, c’est parce qu’ils ont pu vivre une expérience de vie unique. Bien qu’ils ne se voient pas souvent, Dimitri et Hussein ont instauré une vraie relation d’amitié, où personne ne se sent obligé d’aider l’autre ou de sacrifier son temps pour passer du temps ensemble : ce qui est le but du programme « Be my Buddy».

Ce qui m’a surprise au fur à mesure qu’on interviewait les « locaux » est de voir comment leur vision des réfugiés a évolué : bien qu’ils n’aient pas de préjugés, ils ont réalisé que, souvent, ils s’attendaient à rencontrer ce que les médias servent comme l’image du réfugié : un « barbu désespéré » ayant besoin d’aide pour survivre. Ce ne fut pas le cas des tandem organisés par le programme «Be my Buddy». Les locaux, bien qu’ils voulaient les aider, se sont vite rendus compte que ces réfugiés étaient comme eux, et une fois les premiers moments passés ensemble, ils ont commencé à voir l’autre non pas comme un « réfugié» mais comme un « buddy » .

Cela dit, le fait que les participants en tandem soient des personnes déjà parfaitement intégrées, nous amène aussi à réfléchir sur la raison pour laquelle les réfugiés qui ne sont pas encore bien intégrés ne participent pas à ce genre d’initiative. On se demande si c’est parce qu’ils sont dans une situation de déséquilibre dans l’attente de leurs papiers ou parce que il n’y a pas encore assez de publicité pour le programme, ou si c’est dû au fait que certains, ne parlant pas anglais, ne seraient pas à l’aise quant à la difficulté de communication.

 

Sara Patrone

S’engager et sauter le pas du bénévolat, ou pas ?

S’engager avec « Sois mon ami », sauter le pas du bénévolat ou pas ? Pour répondre à cette thématique, j’ai choisi de m’appuyer principalement sur l’un de mes entretiens les plus marquants, réalisé avec Mathilde*, qui est engagée dans un tandem.  Ce choix s’explique en partie par les grandes similitudes de nos situations (âge et niveau socio-culturel similaires), ce qui a provoqué de ma part une certaine empathie. Toutefois, ce phénomène a été également stimulé par un des thèmes récurrents de l’entretien : la difficulté de sauter le pas de l’engagement.

Par certains aspects, Mathilde présente les caractéristiques principales des bénévoles telles que celles décrites par le rapport du Centre d’action bénévole d’Ottawa-Carleton : elle s’est investie suite aux conseils de sa famille; elle a un bon bagage éducationnel; et elle a réussi à convaincre une de ses collègues à se joindre au programme.

Les données ci-dessus soulignent l’influence de l’entourage dans l’engagement d’une personne. Toutefois, un choc (bien souvent par le biais des médias) pourrait également pousser au bénévolat Ainsi, Mathilde rapporte que l’implication de la gérante du programme fut provoquée par la vue de la photographie du corps du petit Aylan échoué sur une plage de Turquie en septembre 2015. Partant de ce cas, l’engagement (et donc le fait de sauter le pas) dans le bénévolat ne serait pas intrinsèquement naturel, mais se déclencherait par une provocation ressentie en soi, soutenue par l’environnement.

Il est vrai que les raisons pour ne pas s’investir dans une action caritative sont nombreuses : l’absence de temps, le fait de ne pas savoir dans quelle organisation s’investir du fait de la multiplicité de celles-ci et de leur manque de transparence, etc…Néanmoins, à plusieurs reprises, Mathilde a douté pour une autre raison : la peur de l’inconnu. Elle nous fait part de son angoisse de ne pas s‘intégrer au groupe de bénévoles et aux actions spécifiquement liées à ce programme. Comment réagir face à des personnes qui ont enduré de telles épreuves ? Quelles réactions adopter face à eux ? Cependant, grâce à la bienveillance de la gérante du programme, elle a réussi à surmonter ses appréhensions et s’investit désormais dans le programme.

Partant de ces faits, on pourrait alors supposer que Mathilde est désormais une bénévole à part entière. Néanmoins, Mathilde que la collègue qu’elle a recrutée rejettent cette étiquette de « bénévoles » en soulignant que leur implication n’est pas assez considérable, ce qui, pour elles, les excluent de cette catégorie de personnes.

En outre, Mathilde estime qu’elle ne peut se considérer comme bénévole car cela irait à l’encontre de l’objectif premier de cette initiative citoyenne : éviter les relations de type « aidant-aidé ». Le mot de bénévole prendrait alors une connotation quelque peu « misérabiliste » (terme souvent utilisé lors de l’entretien), à l’opposé des valeurs de ce projet. Peut-on alors parler de « sauter le cap du bénévolat » si on ne se reconnait pas en tant que bénévole ? S’engager dans ce programme serait donc équivalent à participer à une « table de langues » ou à un échange culturel ?

Toutefois, les deux jeunes femmes font une différence entre leur engagement dans l’organisation et leur participation précédente à des activités collectives : associations étudiantes, par exemple. Elles n’ont pas eu besoin d’être stimulées pour adhérer à des collectifs étudiants car socialement reconnus comme une appartenance à un corps social. A l’inverse, le bénévolat est parfois vu comme une étape individuelle dans une vie (un engagement en entraine souvent un autre) pouvant avoir des répercussions sur la vie quotidienne (nouvelles contraintes dans l’emploi du temps, réactions négatives de l’entourage. Ce discours suggère que si elles ne veulent pas se reconnaître en tant que bénévoles, elles donnent à cet engagement d’autres objectifs que ceux donnés à leurs autres actions précédentes.

Nous pourrons dire que cet engagement, même s’il ne répond pas complétement à une logique purement caritative, représente bien un « saut dans le monde du bénévolat ». Même si cette action a pu être facilitée par le caractère non-contraignant de leurs missions, elles ont néanmoins accepté de prendre part à ce programme et de ce fait, se sont plongées dans le mouvement d’accueil aux réfugiés. Par leur participation, elles se situent bien dans le bénévolat, même si elles ne le revendiquent pas.

* Prénoms changés pour conserver l’anonymat

Léa Cavignaux

Quels obstacles à la création et à la réussite des tandems ?

Le projet “ Sois mon ami” est né de l’idée d’intégrer les réfugiés au sein de la société belge. Une intégration qui ne voulait pas procéder d’une aide unilatérale et verticale des participants vivant en Belgique envers les réfugiés, mais plutôt d’un échange horizontal entre les deux, afin qu’une réelle amitié puisse s’instaurer.

La connaissance approfondie du programme, que nous avons acquise grâce aux questionnaires et aux entretiens effectués, nous amène à une réflexion légitime : est-ce que cet objectif a été achevé ou sa réalisation est-elle encore distante ?

Bien que le nombre d’inscrits au programme soit élevé, le nombre de tandems qui ont vu le jour en décembre et ont persisté jusqu’aujourd’hui est limité. Quel est donc l’obstacle principal qui empêche la rencontre entre les participants ?

Parmi les raisons que l’on peut envisager, une attention particulière doit être dirigée vers les participants réfugiés, en effet les inscriptions au programme sont possibles à travers la page Facebook du projet « Sois mon ami » ou directement en se présentant au Hall Maximilien de la Plateforme Citoyenne. On constate que, si d’une part la page Facebook est rédigée uniquement en anglais et que tous les réfugiés n’ont pas accès à internet, de l’autre, la plupart des réfugiés inscrits au programme sont ceux qui participent régulièrement aux activités de la Plateforme. La première difficulté à laquelle le projet « Sois mon ami » doit faire face est donc celle de pouvoir avoir accès aux réfugiés plus éloignés, à ceux qui ne parlent pas anglais et préfèrent rester avec les personnes de leurs propres origines mais aussi à ceux qui n’en ont pas connaissance ou ne peuvent pas se rendre à la Plateforme.

Cependant, la langue ne semble pas être le seul obstacle. En effet, les participants réfugiés inscrits au programme et capables de communiquer en anglais n’ont souvent pas beaucoup d’intérêt à rencontrer leur binôme, cela s’explique par le fait qu’ils se considèrent déjà partie de la société belge, grâce à la maitrise de la langue et grâce aux rencontres rendues possibles par les activités de la Plateforme.

L’entretien avec un réfugié, bénévole à la Plateforme, témoigne de cette affirmation. Il nous raconte ne pas avoir voulu rencontrer le tandem qui lui était proposé puisqu’il se sentait déjà parfaitement intégré à Bruxelles, n’ayant pas ressenti le besoin de connaitre un inconnu pour avoir un nouvel ami. Comme lui, beaucoup d’autres participants, nous explique la coordinatrice du programme, sont des réfugiés qui participent aux activités de bénévolat de la Plateforme. En effet ils représentent une aide précieuse pour la Plateforme étant donné que la traduction est essentielle pour pouvoir offrir les services basiques aux nouveaux arrivants. Si quelqu’un d’entre vous a eu l’occasion d’aider ou seulement de passer par le Hall Maximilien, il aura surement été surpris par la parfaite intégration entre bénévoles réfugiés et bénévoles locaux. L’amitié et le partage de cultures étaient manifestes, et les réfugiés plus ouverts et avec une bonne maîtrise de la langue anglaise ont eu la possibilité de s’intégrer et de rentrer dans la vie des citoyens belges.

Nous avons également eu la possibilité d’interviewer un réfugié, bénévole à la Plateforme, qui a instauré une réelle amitié avec son binôme. La passion pour l’art a été le principal facteur, qui a fait qu’un simple café se soit transformé par la suite en un concert vu ensemble, une pièce de théâtre et de nombreuses expériences de vie partagées. Le participant réfugié nous explique ne pas avoir participé au programme pour se sentir intégré dans la société. « I just wanted to have one more friend » est la raison qui l’a poussé à rencontrer son tandem. D’ailleurs la Belgique lui a déjà permis de réaliser son rêve : jouer du luth et être connu pour sa musique.

Dans ce cas, le projet « Sois mon ami » a permis la naissance d’une vraie relation d’échange, mais il n’a pas réussi dans son objectif d’intégrer une personne marginalisée et avec un réel besoin d’entrer en contact avec les citoyens belges et leur style de vie. Et c’est ceux-là qu’il faut accompagner et aider à permettre de rencontrer leur tandem. Pour pouvoir rendre effectif l’échange, il est donc envisageable d’arriver à toucher et à impliquer les réfugiés les plus éloignés, qui, malgré la barrière de la langue, sont désireux de s’intégrer au sein de notre société.

 

Veronica Lari

Les réactions de l’entourage face à l’engagement dans le programme « Sois mon ami »

La vague migratoire que connaît l’Europe aujourd’hui remue notre société, et parfois nos à priori. C’est en tous cas l’effet qu’a le programme « sois mon ami » sur les participants vivant en Belgique, qui tous nous ont parlé de « j’ai réalisé que », de « je ne m’attendais pas à ça », de « ça pourrait vraiment être moi à sa place ». Grace à ce contact direct avec un réfugié, les participants nous montrent que les informations dont les médias nous abreuvent forgent des préjugés dans notre société qui n’ont pas lieu d’être. On nous a parlé d’images diffusées qui donnent l’impression d’être face à une réelle invasion du type « World War Z », de catégories du droit international (réfugiés politiques ou économiques) qui ne correspondent pas à la réalité, ou encore de normes de salubrité trop rigides créant un frein à l’installation des réfugiés.

Autrement dit, il semblerait que pour beaucoup des participants belges, le programme « Sois mon ami » leur a ouvert les yeux sur des détails du quotidien des réfugiés, des détails inaccessibles pour la majorité des citoyens belges, mais des détails qui pourtant peuvent faire changer d’avis sur la crise migratoire et l’accueil de ces réfugiés chez nous.

Mais qu’en est-il de l’entourage de ces participants ? Comment les parents, colocataires, amis ou enfants réagissent à l’idée que leur proche soit en contact direct avec un réfugié, l’invite chez lui, et ce dans le contexte de l’image qu’a le réfugié aujourd’hui – image, malheureusement, souvent d’homme agressif, envahissant, non intégré, somme toute dangereux et dont il faut se méfier. Certains nous ont parlé de leur famille, déjà engagée de tous les côtés par rapport à la cause des migrants, ce qui les a encouragés à s’inscrire au programme « sois mon ami ». Mais d’autres nous ont parlé de disputes avec des amis proches, de méfiance de la part des membres de la famille, qui ne comprennent pas, ou n’ont pas les mêmes valeurs. Dans ces cas-là, on se demande d’où vient cette idée qu’il est irréprochable aux yeux de certains d’aider les plus démunis du pays, mais que l’aide aux étrangers, et qui plus est une aide personnelle et intime (et non par exemple simplement financière), soit capable de jeter un froid entre deux amis de longue date. Est-ce l’image relayée par les médias ? Par nos politiciens ? Par notre éducation ? Dans tous les cas, c’est avec les réactions de l’entourage que l’on se rend compte à quel point cette image négative est présente dans notre société. Mais c’est avec des programmes comme « sois mon ami » que l’on réalise également que ces images négatives se combattent et sont capables de changer. Ainsi, on nous a aussi parlé de situations où l’engagement de l’un a poussé son entourage à s’engager à son tour, de situations où ces tandems créés par « sois mon ami » ont fait ouvrir les yeux sur la situation migratoire non pas au participant uniquement, mais à sa famille aussi. On nous a parlé encore de collocations où dorénavant le binôme réfugié est le bienvenu, l’ouvrant alors à tout un potentiel groupe d’amis, un pas indispensable vers l’intégration dans la société belge où il s’est installé.

Le programme « Sois mon ami » a cela de particulier qu’il crée une relation proche entre un réfugié et un participant local, de sorte que l’on n’est pas face à un réfugié mais face à une personne tout simplement, un potentiel ami, une situation comme celle où un ami pourrait nous demander d’aider son frère qui s’installe dans notre ville. Dès cet instant-là, tout l’imaginaire du réfugié abrité sous une couverture disparaît, pour le participant comme pour son entourage, et ce pour laisser place à tout le potentiel présent dans la rencontre avec l’autre.

 

Joséphine de Tonnac