Notre enquête sur le DASPA à Bruxelles : quelques généralités

Nous avons réalisé une enquête sur le dispositif d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants (DASPA). Ce billet vise à clarifier certains termes techniques pour faciliter la lecture de nos autres articles.

Les objectifs de ce dispositif sont énumérés dans le décret du 18 mai 2012. Le DASPA vise à l’intégration des élèves primo-arrivants dans l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française. Ces élèves doivent être insérés de façon optimale dans le système éducatif. En outre le DASPA propose un accompagnement adapté aux besoins spécifiques de ces élèves, notamment en ce qui concerne l’apprentissage de la langue et la formation d’une culture scolaire. Finalement, ce dispositif vise à offrir à ces élèves les mêmes chances qu’aux autres de s’émanciper par l’éducation.
Dans la pratique, les élèves ne restent qu’un an dans les classes de français langue étrangère (FLE). Cette période peut être prolongée de 6 mois si l’équipe enseignante le juge nécessaire.

Pour être considéré comme primo-arrivant, un élève doit être âgé de minimum 2 ans et demi et de maximum 18 ans. Il doit, soit avoir introduite une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ou être déjà reconnu comme tel, soit il est mineur accompagnant une personne ayant introduit une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ou étant reconnu comme tel, soit l’élève est un ressortissant d’une pays bénéficiaire des programmes du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économique, soit être reconnu comme apatride. Finalement, l’élève doit être arrivé sur le territoire belge depuis minimum une année.

Mathieu Boudart, Michaël Boumal, Grégoire Dromelet, Pierre Reisenfeld, Julie Van Ham, Hadrien Velazquez

DAPSA : réseau officiel vs. réseau libre confessionnel

En Belgique, deux réseaux d’enseignement occupent le terrain. Ils sont le résultat de la longue « guerre scolaire » qui a traversé le pays. Le « pacte scolaire » qui en a résulté en 1959 établit encore le paysage de l’enseignement aujourd’hui. Dans chaque commune se trouve donc au moins une école pour chacun des deux réseaux d’enseignement. La population a ainsi le choix entre les écoles dites « officielles » et les écoles catholiques (ou autre !), correspondant à ce que l’on appelle l’enseignement « libre confessionnel ».

Alors, cette caractéristique belgo-belge entre-t-elle en compte dans la mise en place du DASPA ? Pas spécialement. Pour mettre en place une classe DASPA, il faut en faire la demande auprès du Ministère ; que l’école pose sa candidature. En pratique, à Bruxelles, les autorités veillent à ce que l’équilibre soit respecté au mieux dans l’attribution. Le compromis à la belge est donc toujours d’actualité. En Wallonie, les conditions sont un petit peu différentes, comme nous avons pu le voir dans un autre billet.

En revanche, la dimension idéologique (et le clivage « catholique/laïc » qui pourrait en découler) ne semble pas prépondérante dans la décision d’accueillir des élèves primo-arrivants. Il y a bien une école catholique où la direction a justifié sa candidature par la dimension « lassalienne » (ndlr : dérivé de Saint Jean-Baptiste de La Salle, saint patron des enseignants) qui animait sa politique. C’était dans « une réelle volonté d’accueillir tout le monde », nous dit-on. Mais si cette volonté d’accueil universel nous a plusieurs fois été donnée en argument par le personnel d’établissements catholiques, celle-ci ne s’est vue justifiée qu’une seule fois par l’argument religieux.
A l’Institut de la Providence d’Anderlecht, on y trouve une explication beaucoup plus pragmatique. « C’est historique », m’explique le coordinateur DASPA. « Ce sont des écoles qui avaient depuis toujours un public étranger très fort. Ici dans l’école, il y a toujours eu des classes de français intensif, même s’il n’y avait pas de loi DASPA ou ‘passerelles’. C’était la même chose, mais ça ne s’appelait pas pareil, parce qu’on était dans les années 80 et que dans le quartier de la gare du midi, il y a toujours eu beaucoup d’Espagnols, et puis de Portugais, et puis de Marocains ». La candidature de ces écoles reflète donc davantage une volonté de poursuivre sur cette voie car elles bénéficient d’une expérience dans l’enseignement du ‘FLE’ (ndlr : Français Langue Etrangère). C’est la suite logique pour perpétrer ce qui se fait depuis longtemps.

Quid du cours de religion ? Dans l’enseignement officiel, le choix est laissé à l’élève de suivre un cours de religion ou de morale non confessionnelle (ou encore un cours de « rien », diraient certains aujourd’hui). Dans l’enseignement catholique, le programme compte bien évidemment un cours de religion … catholique. Une grande partie des élèves primo-arrivants est pourtant musulmane. Cela pose-t-il un problème ? « Non », me répond le coordinateur d’une école catholique. « A l’inscription, on les prévient ». Il me confie ensuite que le programme de religion n’est pas vraiment appliqué en DASPA. « Concrètement, ça nous sert plutôt à faire deux heure de français supplémentaires … ». L’accent est surtout mis sur les aspects culturels comme Pâques ou Noël. Le cours se concentre sur une analyse comparée des différentes religions pour favoriser l’ouverture d’esprit et la connaissance de l’autre, dans un objectif de vivre-ensemble. « Jamais on n’a sorti une Bible ou quelque chose comme ça », conclut-il.

La présence et l’opposition supposée des deux réseaux d’enseignement semblent donc davantage être un vieux vestige des batailles idéologiques de « la Belgique de papa », et leurs représentants respectifs actuels ont le bon goût de ne pas faire de l’accueil primo-arrivant, déjà difficile, un nouveau casus belli ou faire-valoir.

Michaël Boumal

École, migration, intégration : des petites histoires porteuses d’espoir

La surexposition médiatique et sensationnaliste de l’immigration donne la sensation que l’« On est en train d’être envahi », ou qu’« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Dans son rapport au parlement européen, le journaliste Pierre Wolf montrait que 86% des êtres humains n’étaient jamais sortis de leur lieu d’origine. 66% des migrants partent d’un pays en voie de développement vers d’autres pays en voie de développement et seulement un sur trois se déplace du sud vers le nord. Les chiffres du PNUD en 2009 montrent que les migrants représentent les 3% de la population mondiale, contre 10% en 1913.

Pour ce travail, je me suis rendu sur le terrain, dans une école primaire à Jette, une commune assez méconnue pour moi. Ce n’est qu’en arrivant qu’on pouvait apprécier cette mosaïque de visages venus de quatre continents, des enfants tous en train de jouer ensemble, mettant en pratique tout ce que politiciens, institutions internationales et médias ne semblent pas arriver à faire.

J’ai rencontré des professeurs, qui montraient un grand sens de la multiculturalité et j’ai pu voir leurs yeux quand ils parlent de leurs élèves. J’ai pu constater que les possibilités de développement du racisme sont minimales dans un contexte d’ouverture à la diversité, d’entraide avec les nouveaux venus, les primo-arrivants. J’ai compris la valeur des activités extrascolaires dans les processus de socialisation, de la réaffirmation de la confiance en soi après des trajets de vie particulièrement difficiles et de sa propre construction identitaire.

Les professeurs expliquent comment à travers des programmes de localisation de cartes sur internet, ils parcourent avec les nouveaux élèves les lieux qu’ils ont du traverser durant leur voyage, de leur ville d’origine jusqu’à Bruxelles où se trouvait une famille amie.

Tous les élèves semblent rester impressionnés, comprenant les dimensions du sacrifice qu’ils ont du accomplir avec leurs familles pour être là, assis à côté d’eux. Ce mécanisme crée de l’empathie, de la compréhension et du respect envers le primo-arrivant.

Avec des autres nouveaux élèves qui ont vécu déjà dans d’autres pays d’Europe, ils appliqueront un système semblable, mais dans ce cas, l’élève montre lui même au professeur et à ses camarades où se trouvait sa maison, la route vers son ancienne école et des lieux qu’il aimait dans sa ville.

Je suis resté marqué par ce moment où les professeurs ont répondu à l’unisson qu’ils ne quitteraient jamais leur école pour aller travailler dans une autre école avec plus de moyens, parce que la diversité y est très faible et leur liberté dans l’enseignement et dans la capacité de créer des contenus serait limitée.

Même avec l’accord entre l’Union Européenne et la Turquie, Frontex, Calais, les balles de caoutchouc en Espagne, la situation dans certaines frontières et les murs qui s’élèvent un peu partout dans le monde, cette expérience dans une école de Jette m’a donné l’espoir de voir comment, dans des petits espaces concrets, dans des micromondes, dans le ventre du monde, existe le sens de la justice, du respect et de l’amour pour l’autre.

Joaldo Dominguez

 

« Crise migratoire » et enseignement dans les classes DASPA

L’école fondamentale annexée Bruxelles II, au nord de la capitale belge, compte trois classes DASPA, des classes passerelles dédiées à l’accueil des enfants primo-arrivants dans le système scolaire belge. Ses enseignants sont unanimes : depuis le début de la récente « crise migratoire », ils recensent de plus en plus de réfugiés de guerre parmi leurs élèves. Auparavant, dans leurs classes, il y avait surtout des enfants dont les parents étaient venus en Belgique pour des raisons économiques, pour trouver un travail. Aujourd’hui, une part conséquente des effectifs des classes DASPA de cette école du nord de Bruxelles est constituée de Syriens ou d’Afghans ayant fui avec leurs familles un quotidien de violences. Certains élèves de ces classes passerelles ont perdu un parent, parfois même les deux, suite aux conflits armés qui font rage dans leurs pays. D’autres ont effectué toute une partie de leur exode tout seul alors qu’ils n’ont pas plus de 12 ans. Il faut savoir que les mineurs non accompagnés ont plus de chances d’obtenir l’asile politique, du moins, c’est ce que pensent certains parents qui ne rêvent que d’une chose, permettre à leurs enfants de vivre une vie meilleure, moins violente et plus prospère. C’est donc dans un contexte particulier que travaillent les professeurs des classes DASPA depuis quelque temps, comme en témoignent par ailleurs les dessins de leurs nouveaux élèves, dans lesquels les chars et le sang remplacent les super héros ou les paysages ensoleillés.

Un rang
Affiche dans l’une des salles de classe de l’école fondamentale annexée Bruxelles II sur laquelle figure la définition d’un rang. Marius Bihel.

« Un rang, c’est une suite de personnes placées les unes à côté des autres, disposées sur une même ligne ». Cela peut sembler évident, c’est l’une des premières choses que l’on apprend au cours de notre scolarité. Cependant, pour certains élèves des classes DASPA, au-delà de l’apprentissage de la langue ce sont aussi les règles de l’école qu’il faut parfois découvrir. En effet, dans l’une des classes de l’école fondamentale annexée Bruxelles II, un enfant d’une dizaine d’années a fui la Syrie avec sa famille au début de la guerre civile qui ravage le pays depuis cinq ans. Cet élève avait à l’époque environ cinq ou six ans. Après un long périple à travers le Moyen-Orient, l’Afrique du nord, la Méditerranée et l’Europe, il est scolarisé pour la première fois en Belgique. Les professeurs des classes DASPA ne se contentent donc pas de donner des cours de français ou de mathématiques. Ils doivent également enseigner des règles de vie pour favoriser l’adaptation des enfants à une nouvelle institution mais aussi à une nouvelle culture et à un nouvel environnement.

Le mardi qui a suivi les vacances de printemps nous avons eu l’opportunité d’effectuer une journée d’observation dans les classes DASPA de l’école annexée Bruxelles II. Pour les « Primos 2 » (âgés de 10 à 12 ans), au programme du jour : le champ lexical des émotions. Comme exercice le professeur demande aux élèves de faire des phrases avec les mots qu’ils viennent d’apprendre durant la leçon. La plupart ne parlaient pas français quand ils sont arrivés en septembre et ont fait des progrès fulgurants. L’une des élèves lève la main et déclare fièrement : « Je suis contente parce que les vacances sont finies ». Le professeur donne ensuite la parole à un autre enfant qui a dû fuir la guerre, il dit : « Je suis triste parce que j’ai quitté ma maison». L’enseignant demande ensuite à cet enfant s’il aimerait rentrer dans son pays lorsque la guerre prendra fin. Ce dernier acquiesce. Vient le moment de la récréation, nous discutons avec le professeur de cette dernière intervention. Il est formel. Ces enfants qui ont fui les horreurs de la guerre, ainsi que certains des parents avec lesquels il a eu l’occasion de discuter, ne souhaitent qu’une chose, pouvoir rentrer chez eux.

Aider des enfants qui ont connu la guerre, les difficultés de l’exil, et qui parfois découvrent l’école en plus de devoir apprendre une nouvelle langue, tout en s’adaptant à une nouvelle culture et à un nouvel environnement : tel est le quotidien de ces enseignants de classes DASPA ces derniers temps. De toute façon, quel que soit le passé et les raisons de la venue en Belgique de leurs élèves, l’objectif de ces professeurs reste le même : favoriser l’épanouissement de ces enfants sans les pousser à mettre de côté leurs origines.

Marius Bihel

L’histoire de Jawad

Durant cette enquête dans une école faisant de l’intégration sans faire partie du programme DASPA, c’est le côté humain qui m’a le plus sauté aux yeux, tant au niveau des professeurs que des élèves. La rencontre, l’histoire et le nouveau quotidien de Jawad m’ont particulièrement marqué.

Jawad a 12 ans. Il est arrivé en Belgique en septembre avec ses parents et ses deux petits frères de 8 et 10 ans. Issu d’une famille assez aisée et chrétienne,  Jawad habitait à Damas. Jawad et ses frères suivaient des cours dans une école privée qui étaient pour la plupart donnés en anglais. Début juillet, ils ont dû fuir le pays. Ils ont mis 2 mois pour arriver en Belgique. Passés à pieds par la Turquie, ils ont ensuite traversé l’Europe en bateau jusqu’en Italie, où ils sont entrés en France pour enfin arriver en Belgique après deux mois de voyages.

Le titulaire de sa classe raconte qu’au début, cela n’a pas été facile avec Jawad. Il était fort introverti, n’essayait pas de parler à qui que ce soit et ne montrait aucune motivation pour apprendre et s’adapter, s’intégrer. Pour ses petits frères, ce fût apparemment plus facile. Selon les professeurs, c’est normal, plus les enfants sont jeunes, plus ce sont « des éponges », plus ils apprennent et donc s’intègrent vite. Pour Jawad, il a fallu plus de temps. Depuis son arrivée, Jawad a été intégré dans une classe avec des élèves de son âge, il suit les cours au même titre que les autres malgré son retard en français. Les enseignants ont pris du temps au début de l’année pour raconter l’histoire de Jawad aux autres élèves de sa classe. D’après son titulaire, ses camarades de classe l’aident énormément à progresser. Quatre fois par semaine, un professeur d’adaptation le prend à part pour lui apprendre le vocabulaire, la grammaire, en passant d’abord par l’oral. Ces professeurs d’adaptation n’utilisent pas de méthode précise, selon eux, c’est « juste une question de bon sens ». Le reste du temps, Jawad suit un programme normal, comme les autres. Selon ses professeurs, c’est important qu’ils se sentent directement intégré, qu’ils ne se sentent pas différent. Il a un bulletin comme les autres, est évalué comme les autres et a le même travail qu’eux, même s’il est parfois adapté en fonction de ses difficultés. Les différents professeurs qui s’occupent de lui l’ont laissé prendre ses marques à son aise.

Aujourd’hui, nous sommes en avril et cela fait déjà 8 mois que Jawad est en Belgique. Il vit avec sa famille chez des amis syriens arrivés il y a plus longtemps dans le quartier. Leurs amis d’accueil ne parlant pas spécialement français, une professeure libanaise de l’école aide les parents pour l’administratif. Jawad, quant à lui, s’est petit à petit intégré dans sa classe. Il commence à s’exprimer dans un français assez correct, il lui manque encore du vocabulaire, son titulaire lui traduit encore des mots en anglais pour qu’il comprenne mieux, mais d’après lui, c’est incomparable avec le début d’année. Jawad part bientôt en voyage pendant une semaine avec sa classe à Texel au Pays-Bas.  Il me dit qu’il est un peu stressé mais qu’il a surtout hâte de partir avec toute sa classe.

Le parcours de Jawad est similaire à celui d’énormément de primo-arrivants dans les écoles de Bruxelles. Il n’est pas toujours évident pour les professeurs de s’adapter pour donner la meilleure formation possible à ces enfants, par manque de temps, manque de formation mais surtout par manque de moyens. Cependant, ce qui m’a énormément marqué, c’est la motivation de ces professeurs à donner leur temps et de faire au mieux pour aider ces enfants à s’épanouir et ne plus se sentir différents.

Coline Van Deursen

Dans la classe de Kawthar

C’est dans une classe minuscule, qui accueillait auparavant le local de la logopède, qu’a commencé ma journée d’observation à l’école fondamentale Bruxelles II de Laeken. Notre terrain d’étude, c’est l’intégration des enfants primo-arrivants dans les écoles francophones à Bruxelles. J’ai pu donc me rendre en visite dans une classe DASPA, formée dans sa totalitè par des élèves primo-arrivants. Dans cette petite classe, Kawthar, l’enseignante qui me met tout de suite à l’aise, et six élèves tous bien différents. Au total, il y a huit enfants dans la classe, entre 6 et 8 ans, mais, ce jour-là, deux sont absents.

Amina commence la séance en écrivant la date. Tous les jours, c’est la charge d’un élève à tour de rôle. Le 12 avril 2016. A cet instant-là, Kawthar m’explique que quelques enfants sont arrivés au début de l’année, des autres au mois de novembre, des autres peuvent encore arriver, mais il n’y a plus de place dans la petite classe. Ils viennent de Syrie, d’Afghanistan, d’Ethiopie, d’Irak, ils forment un échantillon bien représentatif d’une école où les enfants d’origine belge, sont 10 au maximum. La leçon de Madame Kawthar a commencé. Les enfants lisent sans faire de pause une fiche avec les images d’objets de la chambre, ou chaque objet, est lié à son correspondant écrit en toutes lettres. Selon l’enseignante, deux enfants de sa classe passeront dans la classe « normale » l’année prochaine; ils quitteront donc leur classe DASPA. Parmi ces élèves il y en a qui n’ont jamais été scolarisés avant, qui sont nés au milieu d’une guerre et n’avaient jamais tenu un stylo dans leurs mains. Alors, Kawthar fait des petits jeux pour les aider à mieux retenir ce qu’ils apprenent, pour retenir des nouveaux objets. Abdoullay, assis à coté de moi, est souvent distrait, je ne sais pas si c’est à cause de ma présence ou s’il a juste la tête dans les nuages. Je me sens un peu coupable.

Ce qui m’a frappé ce jour-là, c’est d’entendre que les enseignants n’ont aucun programme à suivre, aucune directive de la part de la Communautée française. C’est à eux donc d’inventer le programme. Kawthar m’explique que c’est la première année qu’elle est chargée d’une classe DASPA, et elle l’a demandé, mais pour cela, elle a suivi les méthodes, les conseils des anciens, qui s’occupent de l’enseignement des primo-arrivants depuis des années.

Je me demande donc pourquoi il n’y a pas un programme spécifique? Est-ce que ce sont des élèves de seconde classe? La Communauté française n’est-elle pas préparée à faire face à une telle situation? Mon sentiment est alors que, comme cela semble arriver souvent, les personnes qui sont proches de la problématique et qui la vivent au quotidien, la prennent plus à coeur et donnent le meilleur pour faire réussir tous, sans distinction, même s’ils sont abandonnés par les institutions.

Simeoni Silvia

Deux profs, deux visions différentes

Tout a commencé par la prise de rendez-vous, qui a été assez éprouvante. Après avoir contacté maintes écoles, très peu ont répondu favorablement à ma demande d’interroger des professeurs. Les secrétariats des écoles me disaient d’attendre une réponse par mail venant des écoles, mais la plupart ne m’en ont jamais envoyé. Finalement, une école de Saint-Josse m’a répondu favorablement pour que je puisse interviewer deux de leurs professeures de DASPA.

Ce que j’ai trouvé intéressant est que ces professeures avaient chacune leur vision envers les élèves. La première mettait en avant que, pour elle, son rôle se résumait au plan humain, c’est-à-dire à redonner confiance aux élèves, qui pour la plupart se sentaient perdus dans ce nouveau système scolaire, ce nouvel environnement, ce nouveau pays. Elle avait donc pour intention en quelque sorte de jouer le rôle d’une « deuxième maman », selon ses dires. Elle estimait qu’en utilisant cette méthode, elle pourrait plus facilement déterminer le caractère de l’élève et ses envies afin de le guider au mieux envers son futur parcours scolaire ou professionnel. La deuxième professeure avait une formation de logopède et était donc davantage centrée sur l’apprentissage du français. Selon sa vision, l’élève est surtout influencé par l’environnement dans lequel il vit. Elle estimait que l’utilité d’apprendre le français n’était pas très productive dans le cas où l’élève vivait dans un quartier qu’elle qualifiait de multiculturel, en effet, elle racontait que si un élève vivait dans le quartier de Saint-Josse, il n’avait pas l’utilité d’apprendre le français car les commerçants et les médecins de sa communauté pouvaient lui parler dans sa langue maternelle.

En résumé, ces deux professeures m’ont donné l’impression de s’investir autant qu’elles le pouvaient dans l’enseignement des classes DASPA malgré leurs différences de point de vue et de méthodes pédagogiques.

Nicolas Michels

DASPA: nécessaire ou pas?

Bien qu’elles s’occupent toutes les deux des enfants primo-arrivants, Madame C. et Madame P. ont des avis bien différents quant à l’intégration de ces derniers. Tandis que la dernière trouve cette étape primordiale, la première pense au contraire que les primo-arrivants pourraient s’en passer.

Madame C. trouve que les classes Daspa sont certainement très utiles pour ces enfants qui atterrissent dans un espace qui ne leur est pas familier. Cependant, elle affirme avoir déjà suivi plusieurs enfants primo-arrivants qui ont été directement placés dans le système scolaire classique et qui ont très bien réussi leur intégration. Son principal argument est de dire qu’il s’agit d’enfants et qu’à cet âge, on ne se pose pas beaucoup de questions. Par conséquent, l’intégration scolaire et sociale se fait automatiquement.

Madame P. semble être très impliquée dans le projet des Daspa. D’origine étrangère, elle a toujours eu des difficultés pour réussir le français durant son cursus scolaire. De plus, ses professeurs ne lui ont jamais accordé le temps nécessaire pour comprendre ses difficultés et l’aider à les dépasser. Par conséquent, Madame P. affirme n’avoir jamais réussi à trouver sa place à l’école. Ce système qui obligeait tous les élèves à avancer au même rythme ne lui convenait pas, et elle était loin d’être la seule! Ayant pendant longtemps souffert de cette intégration directement dans le système scolaire, Madame P. était donc convaincue que cette méthode n’aidait en rien les primo-arrivants. Tous ces facteurs réunis vont la pousser à suivre une formation d’institutrice. Son objectif ultime est de pouvoir suivre et aider les enfants primo-arrivants à apprendre le français pour réussir par la suite leur intégration scolaire et sociale. L’une de ses premières convictions est que chaque enfant doit disposer du temps et de l’espace nécessaire afin d’évoluer à son rythme. Pour cela, elle décide de mettre en place sa propre méthode d’enseignement. En quittant leurs pays, leurs cultures, leurs familles, ces enfants entrent dans une phase de deuil selon Madame P. Ce deuil n’est pas facile et chaque enfant réagit différemment face à ce dernier. Il est donc nécessaire d’accompagner l’enfant durant cette période. La classe Daspa diffère des autres car il s’agit d’un lieu d’accueil pour ces enfants. C’est un endroit ou chaque enfant doit réussir à se construire une place ! Une place tout d’abord au niveau de la classe, puis dans la cour de l’école, dans le quartier ensuite, et dans la société plus tard. Il est alors impossible pour Madame P. que l’enfant s’intègre sans passer par la Daspa.

Selon Madame P., il est également nécessaire de mettre en place un système éducatif adapté à ces enfants primo-arrivants. Venant d’horizons différents, la meilleure manière de commencer leur apprentissage est de les pousser à pratiquer la langue oralement. Pour cela, elle s’appuie sur plusieurs supports visuels tel que les dessins, peintures, images, etc. En procédant ainsi, les enfants gagnent petit à petit confiance en eux, et finissent par trouver une langue commune pour communiquer. Il était intéressant durant la journée d’observation que j’ai passée avec elle de voir comment Madame P. se comportait avec les primo-arrivants. En effet, elle double d’effort afin de pouvoir accorder à chaque enfant le temps et l’attention suffisante pour s’exprimer et se sentir à l’aide dans la classe. Elle n’accepte pas le fait qu’un enfant soit isolé des autres ou qu’un autre occupe une place plus importante dans la classe comparé à ses camarades. Bien que ce système ne permette pas l’intégration de tous ces enfants primo-arrivants, Madame P. reste convaincue qu’il reste la meilleure manière d’aider et de faire avancer ces enfants dans ce milieu qui leur est étranger.

Sassry Ould Mahmoud

Une après-midi en classe

C’est après plusieurs péripéties que notre choix s’est finalement arrêté sur les DASPA. Ces classes qu’on appelaient autre fois classes passerelles ou encore dispositif d’accrochage. Une discussion avec le professeur en charge du cours et voilà que l’aventure commence… Maintenant que tout est presque fini c’est bien par le mot « aventure » que je qualifierai mon parcours. En effet, c’est vers l’inconnu que nous nous sommes dirigés, c’est le stress qui nous a submergés mais c’est finalement un chemin semé d’embûche qui raconte une belle histoire que j’ai aujourd’hui à raconter…

Ne sachant pas par où commencer ni même qui contacter c’est vers internet, notre plus fidèle allié, que nous avons décidé de nous tourner. Et me voilà avec une liste de six écoles à contacter. Le stress commence à monter à l’idée de devoir les appeler et les convaincre de m’accorder 1h de leur temps. Prenant mon courage à deux mains, je me lance et prépare un beau petit discours à donner afin de convaincre du mieux que je peux. Cependant, malgré tous mes efforts la recherche semble très peu fructueuse. Mais je ne baisse pas les bras, et enfin, à l’autre bout du fil, une réponse positive se fait entendre. Rendez-vous fixé pour le jeudi 17 mars ! Me voila un peu soulagée…

Arrivant sur les lieux, non sans un peu de stress et d’appréhension, la secrétaire me demande d’attendre que Madame S., professeure dans une classe DASPA, vienne me chercher. Le couloir est immense, orné de cartables et d’affaires d’enfants, tandis que de la cours de récréation se font entendre un grand bruit et des cris enjoués. Dans le couloir jouent deux petites filles d’origines étrangères qui parlent entre elles une langue qui n’est pas le français. C’est à ce moment là qu’une pensée me vient à l’esprit… à cet instant précis, ce ne sont que des enfants, qui jouent innocemment et qui ont l’air si heureux. Cependant, ce sont souvent eux les principales victimes des guerres et des mouvements de population. Ils arrivent en Belgique sans aucune connaissance de ce qui les attend et ne parlant même pas la langue du pays. Je me suis alors dit qu’elles avaient bien du courage pour leur âge et que c’était en fait dans leur monde que j’allais entrer aujourd’hui, que c’était un bout de leur histoire que j’allais apprendre et qu’elles allaient partager avec moi dans quelques minutes. La cloche retentit alors sonnant le fin de la récréation et me sortant de mes pensées…

C’est alors que Madame S. se dirige vers moi avec un grand sourire et me demande de la suivre. Nous échangeons quelques mots sur le chemin de la classe et elle me dit que les enfants ont hâte de me voir et de partager l’après-midi avec moi. Je me sens alors toute excitée et pressée de les rencontrer et de voir comment se déroule leur journée. On rentre dans la classe et Madame S. se met à bouger les bancs car, aujourd’hui dans le programmen c’est video et théâtre ! A peine fini, j’entend les enfants qui arrivent, ils rentrent dans la classe et ma première impression est qu’ils sont super gais et actifs mais aussi qu’ils sont tous très différents tant pour leurs âges que leurs origines. Ceux qui me remarquent en premier accourent vers moi pour me serrer la main et me dire bonjour, c’est là que j’entends les premières hésitations de français, mais je remarque tout de suite que les enfants sont à l’aise et essaient de se faire comprendre du mieux qu’ils le peuvent. On se rend alors compte qu’on est bien dans une classe DASPA.

Le cour commence et ce qui m’a le plus frappé, c’est que ce sont des enfants qui semblent super actifs et très soudés. En effet, ils semblent bouger bien plus que dans une classe dite « traditionnelle » et paraissent s’entraider beaucoup les uns les autres. Ils ont une envie folle d’apprendre et de participer! Les enfants répètent assidûment les paroles prononcées par leur professeur pour améliorer leur prononciation.

Pendant un exercice écrit, l’institutrice en profite pour venir auprès de moi afin de me raconter l’histoire de quelques élèves tout en me les montrant…

Tout d’abord, l’enfant blonde au premier rang n’est là que depuis 3 mois. Elle ne parlait pas un mots de français mais elle n’hésite pas à participer et elle commence même à lire. Ou encore le petit Syrien sur ma droite qui a un niveau incroyable en maths mais qui a beaucoup de difficulté en français. Il est lui aussi très actif et n’hésite pas à donner son opinion. Et enfin, la petite Congolaise qui n’a jamais été à l’école et qui a une vie très difficile à la maison. C’est elle qui est la plus active et le boute-en-train de la classe, toujours prête à faire le clown et à raconter des blagues pour faire rire ses camardes. Elle aussi, elle commence à lire et écrire sans l’aide de personne…

C’est alors que j’ai vu dans leurs regards des histoires et parcours très différents pas toujours faciles pour certains et qui le sont toujours pour d’autres. On peut lire dans leurs yeux d’enfants l’innocence et l’envie d’apprendre,  de s‘améliorer,  l’envie de se dépasser car malgré tout ils savent que leur classe est « différente des autres ». Surtout on peut y lire l’espoir qu’un jour, ce beau pays qui est le nôtre leur ouvrira les portes d’un avenir meilleur dans lequel ils pourront s’épanouir.

                      Ilham Al Majdoub

Mieux comprendre pour mieux aider

L’enquête de terrain est un exercice auquel je n’étais pas habitué, mais qui m’a permis de voir l’envers du décor, de comprendre certaines facettes de cette problématique que je ne soupçonnais même pas. Comme beaucoup, me retrouver face à une nouvelle expérience ne me rassurait pas, mais une fois en contact avec la réalité du terrain l’appréhension a vite fait place à une grande motivation.

Durant les différents entretiens, plusieurs choses m’ont étonné, mais un aspect particulier a retenu mon attention : l’absence d’une cellule psychologique systématique dans les écoles. Certains établissements semblent manquer de ce genre de structures alors qu’elles pourraient grandement aider et faciliter l’apprentissage et l’intégration. En effet, certains élèves provenant par exemple de pays en guerre ont eu un parcours difficile, ont vécu, vu, subi des choses que personne ne devrait vivre, surtout pas des enfants ou des jeunes adolescents. Inutile de faire l’inventaire de ces choses pour comprendre que le mal-être de certains peut leur bloquer bien des portes, que ce soit dans leurs phases d’apprentissage ou dans leurs relations avec les autres.

Bien entendu, certaines solutions existent : le PMS est disponible dans chaque école et les personnes qui y travaillent sont toutes disposées à offrir leurs compétences pour aider ces jeunes gens. Le problème est que cette aide n’est pas automatique, et bien souvent insuffisante. La barrière de la langue est un obstacle de poids, requérant un traducteur qui n’est pas toujours disponible et qui ne facilite pas la confidence. Parler de problèmes intimes ou d’expériences traumatisantes n’est pas aisé lorsque l’on est entouré de plusieurs personnes inconnues qui risquent de ne pas saisir les nuances.

Pour pallier ce problème, beaucoup d’écoles mettent en contact les élèves avec des structures externes, comme par exemple des ASBL. Bien qu’offrant une aide inestimable, cette démarche ne reste que trop rare et dépend toujours de volontés individuelles. Ces expériences restent beaucoup trop différentes d’une école à l’autre, une harmonisation de ces procédés pourrait permettre des résultats beaucoup plus probants. Cela pourrait, par exemple, aider les enseignants à comprendre et à aider au mieux des jeunes gens dont le comportement ne peut pas être compris sans avoir une idée de ce qu’ils ont vécu. Voici un extrait d’un entretien que nous avons eu avec un enseignant d’une classe DASPA et qui illustre assez bien l’intérêt de connaître le passé de certains élèves : « L’exemple d’une jeune fille qui a vu sa meilleure amie se faire violer, elle a difficile et ne comprend pas ce qu’est l’autorité. Elle demande pourquoi elle est à l’école. Parfois, elle réagit très violemment mais lorsque l’on sait le passé qu’elle a eu, on comprend. Elle n’a connu que la violence donc elle va répondre par la violence. »

Grégoire Dromelet