De l’information à la dissuasion ?

Après ma rencontre avec les travailleurs en centre de demandeurs d’asile de la Croix-Rouge, j’ai pu constater une certaine désillusion « sur le front » par rapport à certaines mesures prises par les « décisionnaires ». Les anecdotes que j’ai recueillies m’ont permis de faire un constat général, en m’interrogeant sur les points que je livre ici, sur le caractère dissuasif des politiques belges et du CGRA.

Le travail principal du travailleur social en centre de demandeurs d’asile consiste à informer les résidents des centres sur les possibilités qui s’offrent à eux (procédure de demande au CGRA, recourt au CCE). Certains médias et politiques, Fedasil par exemple, parleront de « bénéficiaires » mais il s’agit bien de « résidents ». L’usage du terme exact est important pour les travailleurs de la Croix-rouge « car ça évite de faire des amalgames » livre un directeur de CADA.

Procédure de demande d'asile
Photo du poster de la procédure d’asile affiché dans le centre d’accueil de la Croix-Rouge de Uccle

C’est donc avec pédagogie que les travailleurs sociaux informent les demandeurs d’asile sur la procédure à suivre, schématisant les étapes sur un bloc note. Car en effet, aucune brochure d’information sur la procédure n’est distribué à leur arrivée à l’Office des Étrangers. D’ailleurs, le nombre d’enregistrement des demandes à l’Office a été réduit, une mesure qui a créé une situation de tension au Parc Maximilien. Le temps d’attente pour les demandeurs d’asile, qui arrivent de loin, est donc rallongé et aucune information ne leur est donné sur leurs droits en matière de protection internationale.

Il y a aussi des faits comme notamment le courrier envoyé aux demandeurs irakiens du secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Théo Francken en septembre 2015, stipulant qu’ils avaient peu de chance d’obtenir le statut de réfugié. Visant ainsi à décourager, avant même le début de la procédure, ceux qui cherchent une protection, une vie en paix.

Plus déroutant encore, les descriptions d’audition du Commissariat des réfugiés lors desquels les demandeurs d’origine syrienne seraient interviewés deux à trois fois moins longtemps que des demandeurs d’origine africaine. Un assistant social raconte l’histoire d’une mère guinéenne avec deux enfants, « elle avait des garçons », alors les chances d’obtenir l’asile sont réduites puisqu’ils ne seraient pas sujet à l’excision. Cette pratique quant a elle en dit long sur les critères d’octroi de la protection internationale, ce serait en fait surtout une question de nationalité. Les syriens « on est sûr de leur nationalité, on sait que c’est la guerre chez eux », ont 98% de chances d’obtenir le statut alors que les afghans ou les irakiens ont de moins en moins de chance. Pourtant, on ne peut pas dire que la paix et la démocratie règnent à Bagdad, nie-t-on alors les discriminations ou les menaces de violence dont certains demandeurs d’asile peuvent être victime?

Un assistant social, nouveau à la Croix-Rouge, affirme faire tout son possible pour réunir les pièces du dossier afin que les demandeurs réussissent le « grand oral » de leur « récit d’asile », l’entretien des demandeurs d’asile au CGRA. L’assistant social rappelle que certains demandeurs sont analphabètes et que cela peut donc les désavantager lors de l’entretien pour se souvenir de dates précises dans son parcours.

Toutes ces anecdotes m’ont amené à me poser la question sur le caractère dissuasif des politiques, qui vont à l’encontre des engagements internationaux pris par la Belgique en matière de protection internationale. Je me demande alors quels sont les critères d’évaluation qui permettent de juger si un pays est sûr ou pas ? Face à l’étendue des horreurs et des souffrances dans le monde, il est difficile de faire des choix. Leur critères dépend-il d’un manque de moyens ou est-ce un choix politique ?

Laura Verbeke

La demande d’asile : entre injustice et frustration

Dans les centres d’accueil de la Croix-Rouge, de nombreux résidents se côtoient. Des hommes principalement mais aussi des femmes et un grand nombre d’enfants ou MENA (mineurs étrangers non accompagnés) comme les appellent les travailleurs des centres. Il y a là des familles, des individus seuls, de toutes nationalités et de tous lex âges. Tous cohabitent. La cohabitation se passe parfois relativement bien comme nous le décrit Julian, assistant social au centre d’Uccle devenu un centre spécial MENA : « Ici, c’est facile maintenant, c’est little Kaboul. C’est 75% d’Afghans et ça se passe bien. Globalement les jeunes mangent ensemble, travaillent ensemble et ils s’entendent bien ».  La diversité est très grande au sein même des centres où chacun partage un objectif commun qui est d’obtenir l’asile, mais où les origines, les passés, et les langues sont différentes. Les Syriens côtoient les Afghans, les Irakiens, les Érythréens mais aussi les Guinéens et les Somaliens.

Tous ont entrepris un voyage difficile jusqu’au cœur de l’Europe et tous, une fois arrivés à ce qui semble être le bout du chemin, n’en voient pas encore la fin. Car après les kilomètres traversés vient le parcours administratif dans un pays dont on ignore la langue et le système. La mission des travailleurs de la Croix-Rouge est d’accompagner ces demandeurs d’asile, un travail double qui se veut administratif mais surtout social. Ils les guident face aux obstacles de l’administration, obstacles différents selon les profils et les dossiers. Ce travail peut parfois être rude pour les salariés des centres car l’administration se délègue. Elle a recours à l’attente, à la dissuasion et aux courriers perdus dans un jargon juridique pour perdre les demandeurs d’asile, les balloter entre l’Office des étrangers, Fedasil, le CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides) et la Croix-Rouge. Les résidents ne savent ainsi plus où en est leur procédure et en viennent à confondre le travailleur avec l’administration car il est la seule personne présente auprès du demandeur. Farid, directeur de centre, dit ainsi « Tu ne peux pas ne pas être assimilé à l’État (…). Quand il y a une réponse, c’est normal, l’assistant social, il a des contacts avec le CGRA, c’est un peu normal, c’est lui qui reçoit les courriers et c’est lui qui te le donne … ». Julian, assistant social, nous confie ainsi qu’après une décision négative : « Ils sont souvent dégoûtés comme si c’était ta faute. Ils ont besoin de le montrer. » Mais Chloé, la directrice-adjointe, pense que les résidents ne font pas cet amalgame. Cela peut peser sur la conscience de l’équipe mais Farid déclare : «  On a la conscience tranquille, on sait qu’on n’a aucune influence sur ça. Mais dans leur tête, 90% pensent qu’on a quelque chose à faire avec la procédure en cours. On n’a absolument rien, moi je suis directeur, je n’ai aucun pouvoir sur la procédure, aucun. »

Cette frustration des résidents qui s’exprime face aux travailleurs est nourrie par une certaine discrimination depuis le début de la crise syrienne. Les procédures de demande se traduisent en effet par des conditions de traitement différentes selon la nationalité et les résidents de nationalité syrienne se voient fréquemment privilégiés dans leur demande d’asile. Ils restent peu de temps dans les centres car le délai de traitement se réduit pour eux à trois ou quatre semaines tandis qu’il atteint parfois sept mois pour un Irakien ou un Guinéen. Cela ajoute à l’attente et à la frustration alimentant un sentiment d’injustice, ce qui peut créer des tensions dans les centres et entraver le travail des collaborateurs. Farid s’énerve ainsi : « Les tensions avec les résidents, ça devient fou, même entre eux. L’Irakien est jaloux de l’Afghan ou du Syrien qui voit sa demande directement acceptée. Et les Africains, on a des centaines d’Africains dans nos centres qui se demandent qui ils sont dans ce système. Il y a les demandes d’asile par classe, ce qu’on appelle les demandes à haute probabilité de reconnaissance. C’est par exemple maintenant la Syrie ». Les Syriens constituent donc officiellement une catégorie prioritaire, au détriment des autres individus. L’État fait-il preuve alors de discrimination dans sa politique d’accueil ?

Lesley Chen

L’humanité au rendez-vous

Une photo d’un enfant mort sur une plage, le déclenchement symbolique de la crise migratoire. En naît une polémique médiatique, et le réfugié, quant à lui, devient un enjeu politique. Il existe de nombreux discours, tant négatifs que positifs, sur ce « problème européen récent ». Si tout le monde doit aujourd’hui avoir une opinion sur ce sujet délicat, les travailleurs des centres d’accueil de la Croix-Rouge accompagnent depuis plus de 25 ans les personnes demandeuses d’asile le temps de leur demande en vue d’obtention du statut de réfugié.

Les centres d’accueil, un passage obligatoire pour les personnes qui entrent sur le territoire belge et qui ont introduit une demande d’asile. Après être passée au dispatching à l’Office des étrangers (responsable de la répartition des personnes sur les différents centres), on désigne à la personne le centre d’accueil qu’elle va intégrer dans un premier moment.

Tout d’abord, travailler dans un centre d’accueil veut dire travailler dans le milieu de vie des personnes. Bien qu’il ne sont que de passage, l’aboutissement de la procédure est un moment-clé dans leur vie. Obtenir le statut de réfugié, la mobilisation principale des personnes, source de rêves, d’incertitudes et d’angoisses.

Parmi les principes fondamentaux de la Croix-Rouge et face à la situation actuelle, la neutralité et l’indépendance sont deux objectifs que très difficilement atteignables. Si la neutralité est cependant assurée à l’intérieur des centres et dans les relations interpersonnelles, assurer l’indépendance en tant que département subsidié entièrement, reste plus difficile. Pourtant si vous entrez, même pour la première fois, dans un centre de la Croix-Rouge, vous le ressentez tout de suite.

Dans un tel centre, on parle rencontre, équité, humanité, chaleur humaine, rayonnement. Les travailleurs des centres personnifient ce sujet d’actualité, et le demandeur d’asile redevient ce qu’il est en premier lieu, un être humain. Tous les acteurs de terrain qu’on a pu rencontrer et interroger nous ont transmis cette valeur, qui est l’humanité et qui permet de voir au-delà des problèmes d’actualité. Il est tout à fait possible de parler de la crise migratoire en termes économiques et sécuritaires, possible mais pas obligatoire. Bien que cette crise se déploie à un niveau global, il ne faut pas oublier qu’elle touche aussi des êtres humains individuellement.

Pouvant témoigner d’une expérience de stage en tant qu’assistante sociale au sein du centre d’accueil d’Uccle, je me suis retrouvée sur le terrain moi-même. La réalité que j’ai vécue ces quelques mois a d’abord été une expérience très enrichissante d’un point de vue humain et émotionnel, mais m’a aussi confrontée à l’impuissance entre autres des travailleurs sociaux qui accompagnent le public des demandeurs d’asile. Il est évident que les centres ne peuvent qu’opérer en respectant le cadre donné et que ceci peut parfois être source de frustration. Au lieu de se plier à cette frustration, j’ai pu observer que les personnes opérant sur le terrain la transforment en énergie positive qu’elle dédient aux résidents, des personnes pouvant eux-même donner tellement en retour.

Je tiens à remercier toutes les personnes qu’on a rencontrées dans le cadre de cette enquête et plus précisément les travailleurs et les résidents que j’ai pu rencontrer dans le cadre de mon stage. Tous ces acteurs nous ont accueillies de manière très ouverte et ils avaient tellement de choses à raconter. Votre engagement fait chaud au cœur et peut être source d’inspiration.

Lena Hatto

« Campo » : des places temporaires devenues permanentes

Le gouvernement fédéral a créé des « campo » afin d’accueillir les demandeurs d’asile arrivant en masse en Belgique. Ces camps organisés au départ de manière éphémère continuent à exister encore aujourd’hui.

La Croix-Rouge a dû faire face à une arrivée rapide et massive de migrants durant l’année 2015. L’association a triplé sa capacité d’accueil passant de 3000 places à environ 9000 places actuellement. Afin d’assurer un accueil convenable, elle a dû engager du personnel et trouver de nouvelles infrastructures. Renaud Mommaerts, adjoint à la direction des demandeurs d’asile de la Croix-Rouge, nous a mentionné la création des « campo » : à la demande du gouvernement fédéral, la Croix-Rouge de Belgique a ouvert des places « campo », c’est-à-dire des places dites temporaires pour répondre à l’afflux d’immigrés arrivés dans notre pays. Dans l’optique d’offrir un toit à tout le monde, Fedasil, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, avec l’aide de la Croix-Rouge a, dans l’urgence, aménagé des hangars et a installé des tentes pour accueillir les nombreux immigrés. Cette solution, imposée par le fédéral, garantit un séjour de maximum 15 jours/1 mois dans cet inconfort.

La Croix-Rouge, comme nous le précise l’adjoint à la direction, ne partageait pas l’avis des autorités fédérales. Cependant, la décision, avec une certaine pression de l’État, fut prise dans la mesure où il valait mieux leur donner un toit que de les laisser dans la rue. Par ailleurs, l’association a insisté sur le caractère temporaire de cette solution. On peut se demander si cette solution fédérale n’est pas un message indirect et dissuasif d’autres candidats à l’exil. Ces places « campo » sont un réel retour en arrière quant à l’accueil des demandeurs d’asile. Elles prolongent une politique discriminatoire dont les personnes ont été victimes dans leurs pays d’origine et durant leur parcours migratoire survivants à la violence et la précarité.

Pour cette raison et d’autres encore, la Croix-Rouge ne souhaitait pas les logements « campo ». Avant d’accueillir un réfugié, celle-ci met un point d’honneur à avoir une structure minimale pour le recevoir. La loi « accueil » de 2007 impose une couverture des besoins tels qu’un hébergement, de la nourriture, des sanitaires, de l’argent de poche et un accompagnement individuel. L’association va au-delà de la loi car elle juge cette directive insuffisante. Comme nous l’explique Renaud Mommaerts, la vie dans les hangars est parfois bien compliquée et inconfortable. L’intimité des résidants est bafouée : les sanitaires communs sont sous des tentes à l’extérieur. D’autres problèmes concernant la vie en communauté peuvent également surgir, tels que l’extinction des lampes communes à tout l’entrepôt. Dans cette précarité et promiscuité, des tensions éclatent régulièrement. Les travailleurs sociaux de la Croix-Rouge doivent donc gérer cela en plus de l’accompagnement des individus et du travail quotidien.

Les « campo » sont passés d’un statut temporaire à permanent. La Belgique n’a pas trouvé de solutions de relogement pour tout le monde. De plus, de nouveaux migrants affluent fuyant les conditions très rudes de leur pays, épuisés par un voyage physiquement et moralement pénibles et se retrouvent chez nous dans des conditions de vie, de survie déplorables. Cependant, Renaud Mommaerts nous confie que les migrants s’y acclimatent. Ces camps sont équipés de bonnes connexions WiFi leur permettant de rester en contact avec leur famille et de suivre les actualités de leur pays d’origine. Les hangars sont situés à proximité des grandes villes contrairement aux centres d’accueil classiques situés dans des zones plus rurales. Les demandeurs d’asile sont donc libres de voyager en ville et de profiter d’une vie multiculturelle. Il y a donc une remise en question de la Croix-Rouge et de ces conditions d’accueil. Dans un pays comme le nôtre, peut-on se permettre de laisser ces personnes dans un tel inconfort de manière prolongée?

Claire Billion

L’incertitude de l’emploi dans un contexte d’urgence

L’augmentation substantielle de migrants à laquelle la Croix-Rouge a dû faire face ces derniers mois l’a conduite à mettre en place un travail dans l’extrême urgence. A côté de bâtiments supplémentaires nécessaires à la mise en place de l’accueil, des travailleurs additionnels ont été recherché pour effectuer un travail en contact direct avec les demandeurs d’asile.

En six mois (entre septembre 2015 et mars 2016) les structures d’accueil de la Croix-Rouge ont triplé passant de 3000 à 9000 places ce qui est non-négligeable. L’infrastructure croissante apporte avec elle une augmentation des ressources humaines sur le terrain ce qui me conduit à m’arrêter un court instant sur les salariés supplémentaires engagés lors de temps de crise.

Trouver des locaux en mesure d’accueillir des migrants, engager du personnel supplémentaire, tels ont été les grands défis que les membres du département ADA (Accueil des Demandeurs d’Asile) ont dû surmonter ces derniers mois pour convenablement faire face à l’arrivée massive des migrants.

L’adjoint à la direction du département de l’ADA, Mommaerts Renaud explique : « il a fallu absolument augmenter la capacité à la demande du gouvernement ; comme auxiliaire de l’Etat, c’est un rôle de la Croix-Rouge de venir en aide à l’Etat lorsque celui-ci n’a pas d’autre solution »[1]

La mission de la Croix-Rouge est claire : elle fait partie de l’un des acteurs principaux dans l’accueil et la gestion des demandeurs d’asile et c’est à elle que revient la charge de s’occuper de cet accueil lorsque l’Etat se voit dépassé par un afflux massif de migrants.

Le conflit syrien d’aujourd’hui marque une nouvelle crise politique face à laquelle l’Europe ne peut rester indifférente. Si celle-ci nous préoccupe actuellement, le monde a connu des crises précédentes tout aussi importantes. Mr. Mommaerts l’atteste « Il faut savoir que ce n’est pas la première (crise) qu’on connaît. Moi j’analyse ça comme étant tous les 5 voire tous les 3-4 ans avec des crises un peu cycliques. Donc ça vient : il y a une arrivée massive puis ça diminue : on doit fermer des centres puis ça revient 3 ans, 4 ans, après et ainsi de suite. »[2]

La rapidité étant capitale en période de crise, la Croix-Rouge doit à chaque fois se démener pour hâtivement trouver des personnes prêtes à aller sur le terrain. Mais ces personnes ne sont parfois que peu formées au travail avec des demandeurs d’asile. Qui plus est, elles ne connaissent pas au préalable la durée de leur présence sur le terrain compte tenue que certains des centres fermeront leurs portes lorsque la venue massive de migrants s’estompera.

Ce constat me permet de penser l’incertitude de l’emploi ce qui est paradoxal car avoir un emploi est souvent source de certitude.

Que va-t-il arriver aux travailleurs dépêchés sur le terrain dans une voire deux années ?      Feront-ils encore partie de l’équipe de la Croix-Rouge ou devront-ils de nouveaux éplucher les petites annonces à la recherche d’un emploi ?

Cette thématique m’a fortement questionnée lors de l’entretien avec l’adjoint à la direction et il m’a semblé intéressant de l’évoquer brièvement dans le cadre d’un billet de quelques lignes.

Tshinza Ndaya Rachel

[1] MOMMAERTS R. entretien du vendredi 18 mars 2016.

[2] Ibidem