Au coeur de la Plateforme citoyenne d’aide aux réfugiés de Bruxelles

Notre groupe ayant prévu d’exploiter plusieurs terrains, le mien portait sur la distribution à des fins de remplissage du questionnaire en ligne. Face aux aléas de la technologie, j’ai dû me résoudre à aller effectuer des entretiens sur le terrain. Me voilà donc Samedi 23 Avril à Jette dans les locaux de la « Plateforme citoyenne d’aide aux réfugiés de Bruxelles ».

Ma première impression est que rencontrer des gens donne une toute autre dimension, une bien plus percutante. Imperceptible à travers un questionnaire rempli en ligne ou qui t’est envoyé par mail. Et j’ai l’impression que cette dimension interactive et sociale est renforcée tant pour nous les enquêteurs que les enquêtés.

D’un point de vue personnel, cette journée m’a poussée à revoir ma vision pessimiste et cynique du monde dans lequel nous vivons. Dans cette ère régie par les réseaux sociaux, où le voyeurisme et le narcissisme ont la cote, les personnes s’engageant de manière bénévolesont une exception qui déroge à la règle.

Je pense que pour les enquêtés, nos questions leur ont aussi permis de pouvoir exprimer certaines choses que notre présence rendait propices à exprimer. Ce qui me fait dire que cet individualisme dans notre société a aussi de bons côtés. Car sans lui, les critiques émises par l’entourage de certains enquêtés, ne leur aurait pas permis de s’affranchir du regard de cet entourage afin d’aller s’engager auprès des migrants, sans leurs conjoint(e), enfants, famille.

En effet, au fil des questionnaires la confiance s’installe. Me voilà entre deux réponses en train de faire connaissance, ce qui me permet d’en apprendre un peu plus sur leurs parcours et origines diverses des uns et en sachant un peu plus sur les motivations toutes aussi diverses des autres. Des gens de mon âge, d’autres plus jeunes, et la plupart d’un âge intermédiaire et avancé. Tous animés par la même volonté ; celle d’aider « ceux qui en ont le plus besoin ». Cette aide n’est pas que matérielle (toit, vêtements…), elle aussi d’une nature technique (briefing sur les protocoles à adopter, mise au courant de la législation en vigueur, ajustement face aux nouvelles décisions adoptées…), et morale (traducteurs, dessins, livres…). L’ambiance est collégiale et reste détendue. Ce malgré la gravité de la situation des personnes à qui l’aide est apportée, et le côté presque héroïque des actions réalisées. Par moments, la frustration et une sorte de colère sont aussi palpables. Est évoqué l’exemple de ces : « enfants syriens laissés dans un centre sans traducteur…dans les Fagnes…dans une zone néerlandophone ». « Déjà que les démarches administratives sont compliquées en français et il est difficile d’aider ces personnes sans traducteur ; alors en Néerlandais, je vous laisse imaginer.» « Bien sûr, cela n’est pas fait exprès ! ».  Me dit-on avec un ton ironique et une irritation bien visible.

Après une journée passée dans les locaux de la Plateforme, les deux grandes motivations qui tenaient le haut de l’affiche étaient qu’il était nécessaire de remplir le vide laissé :

  • soit par les politiques, « il est impératif pour la société civile de ne pas rester à la marge de cette crise » ; « dirigé par des fachos [sic], il faut bien que l’on fasse quelque chose vu qu’eux n’ont pas l’air de vouloir le faire»
  • Soit par l’entourage à l’image de cette interviewée, incomprise par ces parents – « immigrés» elle tient à le préciser – qui ne comprennent pas son engagement en faveur des migrants. Qu’elle justifie par le fait qu’elle n’oublie pas ce que furent ces parents, mais aussi parce que ce bénévolat lui apportait des choses qu’elle n’aurait pas pu se payer. À savoir des sourires d’enfant, des remerciements, la joie dans les yeux d’enfants du même âge que les siens.

In fine, ce fut pour moi une expérience enrichissante. À tel point qu’arrivé là avec une perception neutre de ce que font ces bénévoles, j’en suis parti avec une perception positive. Arrivé là comme objet étranger, j’étais devenu un meuble à la fin de la journée. Vouvoyé à mon arrivée, à mon départ je fus tutoyé. Arrivé là pessimiste, j’en repartais optimiste. Arrivé comme enquêteur, j’en suis reparti comme potentiel bénévole.

Idrissa Kaba

Une expérience complexe

« C’est son espace de vie aussi qui ne nous appartient plus pendant quelques heures, c’est bête hein mais euh, donc voilà quand on ne savait pas ce que c’était, on était des gens extrêmement généreux, et maintenant qu’on sait ce que c’est, on l’est moins donc moi c’est une petite réserve que j’ai par rapport à nous, par rapport à l’expérience euh, c’est plus facile d’être généreux quand on ne sait pas ce qu’on va faire que lorsqu’on sait ce que c’est ».

Les propos de ce père de famille bruxellois peuvent paraître forts et laisser croire que son expérience dans l’accueil de trois hommes adultes irakiens chez lui, pour l’espace d’une nuit, s’est mal passée. Or, c’est bien le contraire qui m’a été démontré et dont je ne doute aucunement. Néanmoins, il me semble tout à fait intéressant de soulever la question, à savoir quelle est cette part de « frustration » qu’a pu ressentir cet accueillant après son expérience ? Avec comme second support l’entretien d’un autre accueillant et pour qui l’expérience a été, jusqu’alors, « fructueuse », j’ai voulu dégager quelques facteurs pouvant expliquer et comprendre ce malaise qui a été éprouvé. Mais ne restant que des suppositions, au vu du caractère limité de cette part d’enquête, il ne peut être fait de généralité puisque mon explication ne reflète que mon ressenti durant cette enquête. Ainsi, en comparant les deux échantillons, j’ai relevé certaines différences notables entre elles pouvant être prises en compte :

Le degré de proximité entre accueillant et accueilli : Il est difficile de pouvoir parler de degré de proximité pour la durée d’une nuit. Néanmoins, j’ose imaginer la situation délicate du côté de l’accueilli comme de l’accueillant. Pour le premier, la gêne de se retrouver dans ces circonstances qui ne semble pas habituelles dans leur propre pays d’origine et que tous les accueillants ont perçue. « C’était des gens qui avaient probablement fait plus d’études que nous, euh, qui avaient même un meilleur niveau social que nous dans leur pays, mais qui cherchaient un endroit où l’avenir serait plus sûr pour leur famille » me dit ce même père de famille bruxellois. La fatigue qui se guettait du fait de leur long parcours éprouvant, ainsi que la barrière de la langue qui pèse sur les possibles échanges avec leurs hôtes, et vice-versa. De même que du coté des accueillants, certes en position de plus grande aisance mais qui justement, devant être dosée entre une mise à l’aise et une envie de découvrir ses invités sans que cela soit déplacé.

Le nombre de migrant accueilli lors de l’expérience (groupe / individuel) : L’échange entre migrant et accueillant a été compliqué pour les deux cotés du fait de la barrière de la langue. Sur les trois irakiens accueillis par le père de famille bruxellois, un seul balbutiait quelques mots en anglais et l’échange a pu se faire via celui-ci au nom des trois. Ils sont sortis après dîner tous les trois en ville et ont dormi dans la même pièce où, à l’origine ils devaient être séparés dans deux chambres. Peut être que, le fait que l’autre accueillant ait logé une personne seule, un jeune irakien de 25 ans, l’échange était incontournable et que son « intégration », si je puis dire, était peut être plus facile du fait que l’attention ne soit portée que sur lui.

Le maillon dont fait parti l’accueillant dans la chaîne de parcours du migrant : Le groupe des trois irakiens ont du repartir dans leur pays pour manque de solution trouvée à leur situation, tandis que le jeune irakien se trouve encore aujourd’hui en Belgique et sa situation semble se régulariser. Inconsciemment, le moral sur le sort du migrant que l’on a connu et aidé ne joue t-il pas un motif de frustration quant à l’aide que l’on a apportée ? Le maintien du contact après l’expérience avec le migrant est peut être là aussi un des points éminents. « Moi je suis content du système actuel où comme je te dis, on fait le suivi avec lui […] je pense que je préfère avec un, voire deux de plus, mais qu’ensuite je m’arrêterai là » me dit cet accueillant en parlant de ce jeune irakien devenu aujourd’hui son ami. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille fut les paroles du père de famille bruxellois, me soumettant : « Et l’idée de parrainer, ou de sponsoriser un réfugié qui est en ordre de papier, mais qui va devoir trouver du boulot, s’inscrire peut être à des cours de français ou que sais-je, euh ‘fin, découvrir la réalité bruxelloise quoi, ça c’est, c’est aussi quelque chose qu’on pourrait aider éventuellement ! » Ne serait-ce pas là où était l’aide qu’il entendait vouloir donner ?

Ce que j’ai pu retenir, c’est qu’il n’y a pas eu de « mauvaise » expérience pour ces deux accueillants et qu’ils ne regrettent rien. Mais je ne peux m’empêcher de voir qu’à travers ces deux témoignages, la place de la « gratification » personnelle dans cette aide, soit sans frustration aucune, de ces accueillants, se situerait peut être au moment où les liens ont été tissés avec ces étrangers et que ce n’est qu’à partir de là qu’ils peuvent être satisfaits de leur geste ; accompagné par le savoir qu’ils ne sont plus dans l’urgence, un peu grâce à eux.

Carline Martinez

Un effort de groupe

La crise migratoire pose de nombreuses difficultés et de multiples questions. Pendant que les hommes et femmes politiques se battent pour adopter les mesures qui leur semblent plus adaptées, une masse se mobilise. Jeunes ou moins jeunes, issus de l’immigration ou venant d’un milieu totalement différent, les citoyens bénévoles se lèvent et viennent en aide chaque jour aux réfugiés.

Il est douze heures, je m’apprête à rentrer pour la première fois dans une association venant en aide aux migrants. Les bureaux sont vides, un gigantesque bâtiment se dévoile en montant les escaliers. Quand j’arrive enfin dans la salle d’accueil, je constate quelques personnes autour d’une grande table de réunion typique des entreprises de bureaux. Après quelques mots échangés, une des bénévoles m’explique qu’ici, tout le monde amène ses effets personnels pour améliorer les locaux de l’association. On trouve une vieille cafetière par ci, de la nourriture par là; un bénévole avait même amené un baby foot pour passer de bons moments. Chacun apporte sa contribution pour essayer de construire un endroit où bénévoles et réfugiés peuvent se rencontrer. J’ai réellement pu sentir l’effort de chaque personne présente dans la salle pour fusionner chaque contribution et créer tous ensemble un effort de groupe.

D’autres bénévoles arrivent dans les locaux, tout de suite l’ambiance se rend plus vivante. Tout le monde se connaît, se fait la bise. C’est une vraie communauté de personnes soudées entre elles que j’ai pu observer en ce jour. Quand j’apprends à connaître chaque bénévole en leur posant quelques questions, je réalise que ce sont souvent des personnes très différentes, venant de milieux différents ainsi que d’âges différents, qui ont apprises à se connaître. Les expériences de chaque bénévole sont étonnantes. Une de ces expériences m’a été racontée par une retraitée. Elle m’explique la confusion qu’il y avait eu au Parc Maximilien, voyant des mères se disputer pour des poussettes et des hommes se bousculant pour prendre des rations. La confusion et le cruel besoin d’assistance semble marquer en effet la plupart des bénévoles que j’ai pu interroger à propos de cette crise migratoire. Je poursuis mon enquête pour entendre une note de pessimisme de la part d’une bénévole. « Les politiques ne font rien, voilà ce que vous pouvez en tirer comme conclusion dans votre enquête » me lance une autre retraitée alors que je lui demande si elle souhaiterait participer. Cette lancée paraît elle aussi synonyme d’un manque de confiance et une désillusion envers la politique, observable même chez mes plus jeunes enquêtés dont un jeune homme qui venait à peine de fêter ses 18 ans.

Même si je notais cette distance prise par rapport à la politique, ces personnes venant en aide aux migrants paraissaient toutes fermement croire à un objectif commun : celui de vivre ensemble. Force est de constater qu’à leurs yeux, améliorer les relations entre les personnes vivant dans une même société n’a en fait jamais été aussi important que pendant cette même crise migratoire dans laquelle nous vivons.

Maximilien Geulette

Lack of Cooperation

On the 27th of March 2016 a demonstration was held in which many citizens of Brussels sought the protection of  basic human rights, especially those  regarding refugees.
 They are escaping from war, persecution and starvation. However, Europe does not put enough effort towards safeguarding  their rights. This demonstration saw the participation of more than 3,000 people coming from every corner of the city and from different social classes, parties and cultural background. Everyone gathered around this event in order to provide strong support to the refugees.

This event was promoted by both citizens and organisations such as Plateforme citoyenne de soutien aux refugiés, Solidarity4all and with the support of CIRE, Médecins Sans Frontières,  Amnesty International, Greenpeace, Oxfam-Solidarité and other associations. 
It began at 14:00 at Gare du Nord ( Brussels ) and finished around 18:00 at the same place. It was a very significant, peaceful and productive demonstration.

Although there were many representatives from different associations, organisations and parties – reunited to address this problem – their cooperation seemed far from being always without tensions. 
This statement has been confirmed after interviewing people who work for several organisations and associations in the Parc Maximilien. The result of these surveys is interesting: there are no evidences of a real cooperation. 
One association had the  idea of building a kitchen that could provide hot meal to the refugees settled at the park waiting to be registered at the city council. Another one decided afterwards to join the project in order to help realising this idea. At this point we can start tracking the first problems.

Some delegates from the European Parliament came to see the critical situation  at the park. During a meeting with some representatives of the organisations and associations involved in this idea, the second NGO claimed the project of the construction of the kitchen for itself, thus pushing the first one out of their own idea.

The Red Cross opened their doors to the refugees but problems arose when  doors were closed down during the night for security reasons till 8:00 AM. Therefore, many refugees could not go to the Immigration Office as the queue to get to this office began at 3:00 AM leaving no possibility for them to seek both an accommodation and the necessary legal papers.

There was also an apparent lack of cooperation between the State and the associations involved because some proposals were made to the Brussels City Hall in order to keep the situation under control but it did not lead to any significant results. We can find evidence of that in the words spoken by the Mayor of Brussels, Yvan Mayeur, to this deadlock situation: “We can’t do anything because we’re waiting for a solution coming from the State secretary”.

This lack of cooperation might be the direct consequence of interests traceable behind this project. Every person, party and organisation involved seemed to have sought sometimes their own interests and benefits rather than what they publicly stated. Therefore, it can be concluded that the price of this lack of cooperation has been paid only by the refugees – who were supposed to be the beneficiary of the project.

Szymanski Mateusz

Un point de vue québécois

Une enquête n’est jamais simple, les refus sont nombreux et le temps presse…

Heureusement j’ai pu compter sur mes contacts pour récolter une dizaine de questionnaires. Grâce à eux, j’ai pu discuter avec eux et leur donner le questionnaire que mon équipe et moi-même avons préparé. Ils m’ont ensuite donné d’autres contacts et voilà que l’enquête avance !

Lors de mon enquête de terrain, j’ai eu la chance de rencontrer différentes personnes qui ont des vécus et des expériences touchant l’immigration. J’avais un intérêt particulier à entendre ce que les personnes qui vivent l’immigration au quotidien avaient à partager, car je vis moi aussi l’immigration au quotidien, mais d’une toute autre façon. Je suis fille d’immigrant, mon père étant d’origine africaine, et je vis actuellement en Belgique alors que je suis française. Lors de mes rencontres, j’ai fait la connaissance d’un jeune homme québécois d’origine libanaise qui était de passage sur Bruxelles pour quelques mois afin de visiter ma colocataire qui est aussi québécoise. Ce jeune homme m’a tout particulièrement impressionnée. Alors que je m’attendais à passer simplement du bon temps entre amis, j’ai eu le plaisir d’en apprendre plus sur ses activités auprès des réfugiés syriens arrivant à Montréal et de découvrir son monde où les valeurs d’entraide, de générosité et de compassion sont les mots d’ordre. Ce jeune homme a commencé à aider les réfugiés arrivant au Québec en offrant des services de traduction de l’arabe vers le français et du français vers l’arabe. Alors qu’il était de passage sur Bruxelles pour quelques mois, il a pris l’initiative personnelle de continuer son engagement en proposant son aide à différents organismes qui parrainent des réfugiés. Cette rencontre m’a personnellement inspiré, car j’ai réalisé que l’engagement personnel d’une personne n’est jamais impossible. Si une personne a un réel désir et une motivation d’aider un groupe d’individus tels les réfugiés, rien ne l’en empêchera. Ce jeune homme a décidé que l’aide qu’il peut apporter aux réfugiés et la différence qu’il peut faire ne s’arrêterait pas parce qu’il changeait de pays et même de continent pour quelques mois. Malgré qu’il ne connaissait pas la communauté arabe de Bruxelles comme il connaît celle de Montréal, bien qu’il n’avait aucun contact dans le domaine ici, il a réussi à continuer son implication grâce à sa motivation. Il a décidé de mettre cette aide au centre de sa vie et a adapté son mode de vie en conséquence. Enfin, ce qui est d’autant plus impressionnant, est qu’aujourd’hui, alors qu’il est de retour à Montréal, il a ouvert sa propre entreprise de traduction. Son expérience en tant qu’interprète pour réfugiés a directement influencé son choix de carrière. Je suis toujours en contact avec lui. Il m’apprend encore beaucoup sur l’aide entre peuples et me rappelle qu’il est toujours possible d’aider les gens autour de soi.

Laura Tsafack

Eveil citoyen

La solidarité c’est comme la musique. Ça donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée. D’accord, c’est Platon parlant de musique, mais c’est ce qu’évoquait en moi cette profusion d’altruisme.

J’ai observé, j’ai lu, j’ai aidé aussi, un peu. C’est dingue. Les gens sortent de chez eux un bon matin et se disent « aujourd’hui je vais donner du temps à une personne qui vient de l’autre bout de la Terre ». Des bénévoles. Ils viennent aider au parc Maximilien, au Hall Maximilien, devant l’Office des étrangers. Ils traversent le pays aussi, je veux dire la Belgique. Parfois ils passent même la frontière, ils vont jusque Calais. Ils font des kilomètres pour aider des réfugiés. Ceux qu’on voit dans les journaux, ceux qui triment sur la route, ceux qui sont bloqués aux frontières. Ceux qui fuient la guerre. Ceux qui attendent durant d’interminables heures qu’on leur accorde le droit de rester sur un sol où règne la paix, entre deux attentats, on n’est plus en paix nulle part au fond. Mais c’est mieux que les bombes, les prisons d’État, les attentats quotidiens.

J’ai parlé avec Bruno, un idéaliste me semble-t-il. Il est affilié à Amitié Sans Frontière, un collectif qui organisent diverses actions relatives aux réfugiés. Tout comme moi et de nombreux autres, Bruno est subjugué par l’élan de solidarité citoyenne qui se déploie en Belgique. L’accueil des réfugiés, ce n’est plus, et heureusement quand nous voyons le débat que cela engendre, une affaire d’État. C’est aussi, moi, vous, eux. C’est beau à écrire, à lire. Mais avant tout c’est la vérité. Dès septembre 2015, conscientisée, une opinion publique s’est mobilisée et a été favorable à l’accueil des réfugiés, j’ai bien dit publique, pas médiatique, ni politique. Des esprits se sont mis à penser, des cœurs se sont mis à grandir. Des citoyens se sont souvenus qu’ils avaient un rôle à jouer vis-à-vis de citoyens d’autres contrées. Puis il y a eu la fermeture du parc. J’ai cru à la fin cet engouement pour l’aide. Mais j’ai eu tort.

Aujourd’hui, des citoyens engagés continuent à aider les réfugiés, certains luttent même à leurs côtés. Et quand je dis citoyens, je ne dit pas simplement, tout belge reconnu par l’État, je parle aussi de tous les autres, ceux qui endossent ce rôle, qui remplissent les devoirs, sans avoir les droits qu’ils revendiquent en vain. Je parle aussi des bénévoles qui ne font pas la Une, de ceux qui ouvrent leurs maisons, de ceux qui donnent des vêtements, de ceux qui offrent leurs talents, leurs compétences et bien d’autres choses pour permettre à ces citoyens venus d’ailleurs, poussés hors de chez eux, de trouver une terre d’accueil et non une terre hostile. Des collectifs, des associations sont nées, et continuent à éclore à travers le pays pour épauler les réfugiés, et d’ailleurs bien d’autres démunis. Si la « crise migratoire » comme la nomme les polémistes c’est aussi ça, et bien, quelle aubaine pour la citoyenneté !

Je lève mon verre de bière, oui de bière belge, il paraît que c’est une première dans le monde cette mobilisation citoyenne. Si c’est faux, tant pis. Je suis fière de ce que je constate, de ce que j’entends pour l’instant en Belgique, en dehors des propos politiques, des comptes-rendus médiatiques. La solidarité est en marche, la citoyenneté s’éveille, la peur de l’immigration s’amenuise, qui sait.

I MDM

Faire tomber les préjugés

Vendredi, huit heures du matin,devant mon miroir. Comment m’habiller pour aller dans un squat ? Comment m’habiller pour aller passer ma première journée d’observation dans le centre de sans-papier Place Stéphanie ? Il faudra qu’ils aient confiance en moi, qu’ils veulent m’intégrer et me faire découvrir leur monde. J’opte donc pour un jeans et des baskets… Relax.

Assise dans le tram, je commence à m’interroger sur ce que je vais trouver là-bas. Je m’imagine un endroit sale et sombre, peuplé d’hommes transpirant l’alcool et l’ennui… Voilà la triste image que m’inspirait un squat avant de mener cette enquête.

Arrivée place Stéphanie, je ne peux m’empêcher de relever le paradoxe … Un squat qui côtoie le grand luxe des magasins de l’Avenue Louise. On frôle l’ironie. Et puis le voilà, le moment où tous mes préjugés s’effondrent. J’entre dans « La Maison des Migrants », et contrairement à tout ce que je pouvais m’imaginer, je suis accueillie par des gens charmants et souriants dans un endroit propre et entretenu. Après m’être présentée et avoir expliqué le but de ma visite, on m’a assigné Saad, un jeune marocain sans-papier, comme guide pour toute la journée.

Au fil de la visite du centre et de ses habitants, chacu des préjugés que j’avais pu avoir, construit par les médias et par l’imaginaire social « bien pensant » de notre société, furent détruit un par un. Les migrants sans-papier que j’ai eu l’honneur de rencontrer sont des personnes sympathiques et dynamiques, ouvertes à la culture européenne, rêvant de plus d’intégration et d’autonomie dans notre pays. Ils ne sont pas ici comme des parasites voulant profiter du système comme on l’entend si souvent. Mais comme des hommes et des femmes,en quête d’un monde meilleur et prêt à tout pour l’obtenir, même si pour cela, il faut passer des mois voire des années dans une situation précaire et injuste.

Marine Poliart

Une envie de bien faire

Ayant précédemment eu l’occasion d’effectuer de nombreux entretiens semi-directifs dans le cadre de mon parcours académique, j’étais particulièrement intéressé à l’idée d’opter pour un nouveau type de méthode de collecte de données.

John et moi avons ainsi découvert pour la première fois la méthode de l’observation dans un point d’information Fedasil qui s’occupait également de conseiller les individus sur le retour volontaire et de faire le nécessaire pour s’assurer qu’ils puissent arriver dans leur pays d’origine (ou un pays voisin dans des cas comme la Syrie) sans encombre.

La salle d'attente vue de l'extérieur
La salle d’attente vue de l’extérieur (photo prise par Xavier Poulain)

Nul besoin de décrire physiquement les lieux ou l’ambiance de travail, le billet de John remplit déjà parfaitement cette fonction. J’aimerais plutôt vous faire part de cas concrets – anonymisés bien sûr – auxquels j’ai eu l’occasion d’assister et qui m’ont réellement permis de me rendre compte de la plus-value apportée par une méthode d’observation.

Le premier fut celui d’un ressortissant pakistanais qui avait déjà effectué une visite dans ce centre d’information quelques semaines au préalable. Malheureusement, et d’après le récit qui m’a été conté par le personnel Fedasil ainsi que les membres de la sécurité (qui, comme John l’a souligné, jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement quotidien), ce monsieur était à court d’option et au bout du rouleau. C’est en partie la raison pour laquelle il s’était apparemment violemment emporté contre un conseiller Fedasil lors de son précédent rendez-vous.

IMG_20160413_114622
Le guichet d’accueil et les gardes de sécurité (photo prise par Xavier Poulain)

Pour éviter toute mauvaise surprise, des mesures spéciales avaient été prises dès que les gardes de sécurité l’ont reconnu à l’entrée : il a donc d’abord dû patienter hors du bâtiment, avant d’être reçu dans une partie séparée de l’open space, dos aux bureaux des autres conseillers (afin de l’isoler un maximum) et avec les deux gardes de sécurité non loin. J’étais moi-même présent juste à côté et la tension se sentait très clairement dans tout le bureau. Heureusement ce monsieur, qui était venu cette fois avec un ami parlant français, était cette fois beaucoup plus calme et une solution a donc pu être trouvée à l’amiable sans incident.

Le second cas marquant était celui d’un ressortissant syrien. Ce dernier désirait rentrer en Turquie (là où il avait laissé le reste de sa famille ayant fui le régime) avant d’entreprendre un long et dangereux périple à travers l’Europe. Son statut de réfugié lui avait été refusé (en première et en seconde instance) et il n’avait donc d’autre choix que de rentrer en Turquie.

Les problèmes sont apparus lorsqu’il fut nécessaire de contacter l’ambassade de Turquie afin d’obtenir des documents administratifs indispensables à son retour. La traductrice de Fedasil expliquait qu’il avait tenté par tous les moyens de les obtenir lui-même mais qu’il n’y était jamais parvenu. Le conseiller Fedasil s’est heurté aux mêmes difficultés (site internet non fonctionnel, standard téléphonique surchargé) mais a continué à faire preuve d’une réelle volonté d’aider ce monsieur malgré ces obstacles. Une solution n’a pas été trouvée ce matin-là mais le conseiller a promis de continuer d’essayer de rentrer en contact avec l’ambassade plus tard via d’autres moyens.

Globalement c’est ce désir profond de réellement aider les individus, quelle que soit leur situation, leur histoire (ou leur irascibilité) qui m’a personnellement frappé. Les divers conseillers font preuve d’une volonté de fer malgré des histoires parfois traumatisantes, ont une « envie de bien faire » à toute épreuve, et sont vraiment désireux de redorer leur image. En tant que fonctionnaire, ils doivent en effet faire face aux stéréotypes liés à la profession d’agent de l’Etat, et doivent de surcroît traiter de la question du retour volontaire étroitement liée à la thématique controversée de la crise migratoire qui fait l’objet du présent blog.

Un tel ressenti n’aurait pas été perçu – ou en tous cas pas si extensivement – si nous avions eu recours à d’autres types de méthodes, et l’expérience m’a clairement fait réaliser les nombreux avantages que présente l’observation de terrain. Elle n’en reste pas moins complémentaire à des entretiens plus classiques qui permettent quant à eux d’obtenir plus d’informations factuelles et ciblées sur la question de recherche.

Xavier Poulain

Des conséquences parfois inattendues

*Les prénoms utilisés dans cet article sont fictifs afin de garantir l’anonymat des personnes*

Prendre la décision d’accueillir quelqu’un chez soi n’est pas facile, surtout lorsqu’on sait que la personne en question a fait face à des événements dramatiques.

Le thème de la sécurité ou de la dangerosité est toujours soulevé par l’entourage des personnes qui prennent la décision d’aider. Cependant, pourquoi devrait-on avoir peur de quelqu’un qui fuit une menace ? Ce sont les prioris des gens qui alimentent cette peur d’autrui. Pourtant une expérience vécue vaut plus qu’une opinion.

Dans le cadre de notre enquête, j’ai eu l’occasion de rencontrer Marianne, une jeune femme belge qui a accueilli chez elle un jeune soldat iranien qui venait d’arriver en Belgique.

En accueillant quelqu’un chez soi, dans ces circonstances, on ne pense pas vraiment aux potentiels risques. En effet, Marianne, ayant accueilli ce jeune homme, avoue qu’elle était fortement touchée par la crise, que la décision d’accueillir quelqu’un était une décision impulsive due au désir d’aider. Elle voulait faire quelque chose de concret, sans douter ni avoir peur. Elle a reçu chez elle un garçon qui lui a permis, comme elle dit, d’enrichir la vision qu’elle avait des migrants. Elle a pu voir la réalité d’une personne si jeune ayant été confrontée à la guerre. Malgré la barrière de la langue, ils sont arrivés à se comprendre et à partager des bons moments ensemble.

A la fin de son séjour d’accueil, ils ont gardé contact via les réseaux sociaux. Cependant, peu de temps après Marianne ne s’attendait pas à recevoir autant d’appels réguliers du garçon, ainsi que des visites imprévues dans son immeuble. Marianne ne se trouvait pas dans son immeuble au moment de ces visites et sut que le garçon avait sonné par le biais de ces voisins. Ces derniers événements ont éveillé chez Marianne un sentiment d’insécurité. Elle se trouvait face à un dilemme : lui rouvrir sa porte sachant qu’elle ne pouvait plus l’accueillir ou ne pas ouvrir. Plus tard, Marianne apprit que le garçon avait « décidé de partir du centre et de faire un peu à sa guise, » comme elle dit.

Même si l’expérience de Marianne n’a pas été celle qu’elle attendait, elle est prête à la réitérer. Dépourvue d’a priori, elle a fait une expérience qui lui a permis d’enrichir sa vision de la crise migratoire.

Alejandra Arteaga

CPAS, BAPA et associations

Les agissements du groupuscule Sharia4Belgium en Belgique, les attentats du 10 Janvier  au Bureau du Journal Charlie Hedbo et du  13 novembre  2015 à Paris ou encore la médiatisation de la crise migratoire, autant d’évènements qui ont remis la question du parcours d’intégration obligatoire sur le devant de la scène.  Ce parcours  a été adopté avec succès en Flandre en 2004, mais il a été  boudé à Bruxelles et en Wallonie. À présent, il semble jugé utile face aux migrants qui affluent, qu’il faut accueillir et encadrer afin de garantir une intégration effective afin d’empêcher une dépendance au système social. De cette idée, a été créé le BAPA (Bureaux d’Accueil pour Primo-Arrivants) à Bruxelles et, dans la foulée, la Wallonie s’est doté d’un système du parcours d’intégration obligatoire.

Cependant, en y regardant de plus près, j’ai trouvé intéressant le positionnement des acteurs politiques sur cette question. Néanmoins, ce qui m’a le plus interpellée, c’est l’impression que j’ai eue d’une absence d’opinion de la société civile, plus précisément des CPAS et du tissu associatif en charge de l’accueil des primo-arrivants. Pourtant, ces acteurs de terrain œuvrent concrètement, et quotidiennement à l’insertion sociale de l’individu. Ils sont les mieux placés pour partager leurs difficultés de terrain, à savoir les éléments qui garantissent la réussite ou l’échec d’un tel processus et les moyens qui leur manquent.

Si l’on regarde le BAPA, l’on pourrait penser à une énième structure d’accueil des primo-arrivants, alors que les CPAS et des associations, comme Convivial, réalisent le même objectif depuis de nombreuses années. À quelques exceptions près, le CPAS octroie le revenu d’intégration sociale.  Toutefois un manque de collaboration institutionnelle  n’entraîne pas un risque de perdre le titre de séjour. Dès lors, devrait-il y avoir une coopération accrue entre ces deux institutions ou devrait-on renforcer le soutien et les pouvoirs des CPAS ?  En lien de causalité, la fresse se fait déjà l’écho du manque des moyens et de l’urgence de créer un deuxième BAPA, tellement le nombre des bénéficiaires est important.

Helvine Wendo